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Barrage et patrimoine ne font pas bon ménage

C’est un fait constant et qui se répète comme un refrain : barrage et patrimoine ne font pas bon ménage. Faut-il permettre la construction du barrage d’Ilusu dans le sud-est de la Turquie, sachant que l’on ne pourra pratiquement rien sauver du riche patrimoine historique et archéologique situé autour de la localité de Hasankeyf. Epineuse question lorsque intérêts économiques et intérêts culturels s’opposent, comme pot de fer contre pot de terre. Ce qui est sûr, c’est que ce qui a pu être fait pour les temples d’Abou Simbel ou de Philae ne pourra pas l’être pour la forteresse de Hasankeyf. Et pour l’heure, selon le maire kurde d’une des localités menacée par le projet, même le déplacement de la population n’est pas encore réglé.

Piliers de pont sur le Tigre

Pourtant, malgré de nombreux problèmes non résolus dans ce dossier, la ministre suisse de l’économie, Doris Leuthard, vient de donner son accord de principe à la garantie contre les risques à l’exportation aux entreprises suisses intéressées au projet. La principale raison évoquée pour justifier cette décision c’est que si ce ne sont pas des entreprises suisses, autrichiennes et allemandes qui réalisent ce barrage, et les contrats lucratifs qui vont avec, ce seront les Chinois, qui eux n’ont pas de scrupules de nature écologique lorsqu’il s’agit de faire des bénéfices.
Au même moment, à Berne, le Conseil des Etats vient d’adopter une révision de la loi sur la protection de l’environnement qui permettra de simplifier les prescriptions en matière d’études d’impact sur l’environnement, ce qui devrait permettre, selon les initiateurs de la révision, de limiter l’usage du droit de recours des organisations habilitées par la loi actuelle à défendre les intérêts de la nature, du paysage et du patrimoine. Gageons que si le projet actuel de classement parmi le patrimoine mondial de l’Unesco des stations lacustres aboutit, rien, dans la nouvelle loi en préparation, ne fera vraiment obstacle à la destruction d’un village lacustre si un projet économique l’impose.

Tout sur Toutânkhamon et les autres

Une envie de voir ou de revoir l’une ou l’autre tombe de la Vallée des Rois ? Rien de plus facile. Il suffit d’aller sur le site du Theban Mapping Project et l’envie peut immédiatement être satisfaite. Du reste, c’est à une exploration méthodique de l’ensemble de la rive occidentale du Nil en face de la ville de Thèbes, aujourd’hui Louxor, que nous invite à faire l’équipe de Kent R. Weeks. Issu d’un projet de l’Université américaine du Caire remontant à 1978, la mise en ligne de la documentation a commencé en 2005. Chaque tombe est présentée avec son plan et une série d’images. De plus on peut entendre le Professeur Weeks en faire la description avec, si besoin, une transcription de son commentaire.

Vue de l’intérieur de la tombe de Toutânkhamon (image TMP)

Le site Internet du TMP démontre qu’il est actualisé car il fait état de la découverte en 2005, d’une nouvelle tombe dans la Vallée des Rois, sans pour autant l’avoir intégrée, pour l’instant, à la base de donnée. Cette tombe, mise au jour par une équipe de fouille de l’Université de Memphis sous la désignation KV63, est la première tombe découverte depuis celle de Toutânkhamon (KV62) en 1922, par Howard Carter. Comme dans d’autres lieux du patrimoine mondial, l’ensemble de la Vallée des Rois reçoit un tel flux de visiteurs, 7000 par jour en moyenne, qu’un plan de gestion pour la sauvegarde durable du site a été établi par l’équipe du TMP à la demande des autorités égyptiennes. Parmi les mesures prévues par ces dernières selon une annonce faite récemment par Zahi Hawass, secrétaire général du Conseil suprême des Antiquités égyptiennes, figure la construction à l’identique de la tombe de Toutânkhamon, à l’image de ce qui a été réalisé pour la grotte de Lascaux.

La Grande Muraille protégée

La Grande Muraille a été édifiée dès la fin du 3ème siècle av. J.-C. par le premier empereur Qin Shi Huang-ti pour protéger la Chine du Nord des incursions des Mongols. D’une longueur initiale de plus de 6000 km, l’ouvrage n’est plus conservé que sur 2500 km. Un système de télédétection aérienne sera prochainement mis en œuvre pour en faire un relever complet et en connaitre sa dimension exacte. De nombreuses dégradations ont été constatées ces dernières années, dues au vandalisme et à une certaine exploitation touristique. C’est pour cela qu’aujourd’hui, 1er décembre 2006, entre en vigueur une nouvelle règlementation visant à protéger la Grande Muraille, contre les déprédations de la Chine moderne. Dorénavant, il ne sera plus possible de traverser en véhicule le tracé du mur, de graver ou de graphiter les parois, de creuser le sol ou d’arracher une brique au monument sans encourir une amende allant de 50’000 à 500’000 yuans. C’est la première fois que la Conseil des Affaires d’État de la République populaire de Chine promulgue une loi visant à protéger un site de l’héritage culturel. Parallèlement à cette mesure, d’autres règlementations alourdissent les sanctions prévues pour les personnes portant atteinte à des sites naturels, notamment par la construction d’hôtels, afin de protéger la beauté du paysage, la végétation et les environs de ces sites. Ainsi, même en Chine perçue comme un pays jusque là peu sensible à l’environnement, des lois visant à promouvoir les principes du développement durable se mettent en place.

La Grande Muraille de Chine
Une petite section de la Grande Muraille

La Grande Muraille est visitée chaque année par 4 millions de visiteurs. Pour ceux qui, malgré tout, voudraient témoigner de leur passage en laissant leur griffe sur le lieu, un facsimilé d’une partie du mur d’une longueur de 80m de longueur et de 7,5m de hauteur a été construit près de Badaling à 60km de Beijing. Pour 999 yuans (environ 150 francs), il est possible de réaliser un grafitto sur l’une des 9999 briques de marbre imbriquées dans cet ouvrage. Une opération plus lucrative que patrimoniale. Les astronomes affirmaient, avant les vols spatiaux, que la Grande Muraille était la seule réalisation humaine visible de l’espace à l’œil nu. En la cherchant sur Google Earth on se convaincra aisément que cette assertion est fallacieuse. Cette allégation était pourtant relayée depuis des années dans les manuels scolaires des petits chinois. Il a fallu attendre le vol orbital du premier taïkonaute, Yang Liwei, qui a reconnu ne pas avoir vu la muraille de l’espace, pour que le ministère de l’éducation songe à retirer cette affirmation des manuels.

La télédétection au service de l’archéologie

Question : Qu’y a-t-il de commun entre la ville de Venise, les chutes d’eau d’Iguazu, les temples d’Angkor et les gorilles d’Afrique centrale ?

Réponse : ce sont tous des éléments inscrits à l’inventaire du patrimoine mondial et qui peuvent entrer en ligne de compte dans le projet intitulé « Partenariat ouvert pour l’utilisation des technologies spatiales dans la surveillance des sites du patrimoine naturel et culturel de l’UNESCO ».

Temple d'Angkor Wat

Temple d’Angkor Wat vu par Google Earth

Ce « Partenariat ouvert » est issu d’une collaboration initiale entre l’agence spatiale européenne (ESA) et l’Unesco, auxquels se sont joints d’autres agences spatiales, des instituts de recherche et des organisations non-gouvernementales, pour offrir aux pays qui le souhaitent une surveillance par images satellites de leur patrimoine naturel et culturel. Parmi les projets en cours, plusieurs concernent directement l’archéologie. Ainsi, le contrôle des zones archéologiques protégées dans la forêt tropicale au Guatemala, l’inventaire des kourganes dans les montagnes de l’Altaï entre la Russie, le Kazakhstan, la Mongolie et la Chine ou l’observation et la surveillance de la ville d’Uruk en Irak. Comme chacun peut s’en rendre compte par lui-même en consultant Google Earth, les images satellites à haute résolution, disponibles à certains endroits, permettent de voir des détails au sol de dimension inférieure au mètre. On parvient ainsi à établir facilement des cartes topographiques et des plans de site, là où il est normalement difficile, voire impossible, d’en dresser de manière conventionnelle. De plus l’analyse et l’actualisation des images permettent d’observer toutes modifications dans l’état du sol, ce qui conduit à contrôler et à lutter plus efficacement contre les fouilleurs clandestins. L’ensemble des images collectées permettra une intégration rapide des données patrimoniales dans les systèmes d’information géographique (SIG) dont le développement s’est fortement accéléré ces dernières années notamment grâce à une informatique de plus en plus performante, tant au niveau des appareils que des logiciels.

Le roman de la momie

Il y a quelqu’un qui risque de s’attirer quelques ennuis. C’est le particulier qui a passé aujourd’hui ce message sur un site d’annonces gratuites : « 2000 € – Vends mèches de cheveux de la momie de Ramsès II ». Ce n’est sans doute pas une offre mensongère puisque des prélèvements de cheveux du pharaon, ainsi que des fragments de résine et de bandelette qui l’embaumait ont été effectués sur sa momie entre 1976-1977, pendant son séjour en France pour la guérir d’un mal qui le rongeait: des champignons. Ces restes n’auraient pas dû être conservés après analyse et rendus à l’Egypte.

site d'annonces

Une petite annonce étonnante!

Peut-on vendre de tels vestiges? D’un point de vue moral, il est clair que la réponse doit être clairement non. Cependant la conservation d’un corps humain derrière une vitrine n’est elle-même pas moralement plus défendable : il en va du principe de la paix des morts. Mais en faisant abstraction de ces problèmes d’éthique, que risque le vendeur ? Selon les lois sur le trafic illicite des antiquités la personne qui a conservé ces prélèvements à l’insu du propriétaire, le gouvernement égyptien, a commis un délit, et dans ce cas, il doit être poursuivi et condamné. Mais il faut savoir que dans la plupart des lois sur le trafic illicite des antiquités il existe un délai de prescription plus ou moins long en fonction des pays. Généralement en Europe cette loi prévoit un délai de prescription de 30 ans. Ainsi, le détenteur de ces reliques pourrait les vendre en toute impunité puisque son forfait, ou plus exactement, celui de son père, n’a pas été éventé avant l’expiration de ce délai, pour autant que le prélèvement date de 1976 et non de 1977.

Menaces patrimoniales en Irak

L’Irak se trouve au cœur de la Mésopotamie, le pays entre les deux fleuves, le Tigre et l’Euphrate. C’est également la région du début de l’histoire et de la civilisation, une terre ayant accouché de la première écriture et des premières villes. La guerre en Irak est une vraie catastrophe pour notre héritage culturel. Cela a commencé dès les premiers jours de la prise de Bagdad par le pillage du musée d’archéologie sous le regard indifférent des troupes étasuniennes. Plus que le vol et la destruction de nombreux objets déposés au Musée archéologique de Bagdad, c’est également tous les vestiges encore présents dans le sol irakien qui sont aujourd’hui menacés.


Retour des touristes à Ur en Irak (image: confluence.org)

Tout ce que le régime tyrannique de Saddam Hussein avait réussi à préserver, à savoir l’héritage unique des cultures mésopotamiennes, a commencé à souffrir dès 1991 et la première Guerre du Golfe, en raison des bombardements intensifs de l’aviation alliée. Mais ce n’est rien par rapport à ce qui se passe aujourd’hui. Le laisser faire de l’administration actuellement en place, conduit a un pillage systématique des 1500 sites connus, ainsi que de 10’000 sites inconnus de la communauté archéologique, mais pas des pilleurs. Dans un pays ravagé par l’insécurité et la pauvreté cette richesse archéologique offre à une population acculée aux expédients un moyen de gagner quelques revenus pour le plus grand profit du marché international des antiquités. Un faible espoir subsiste cependant: celui de voir appliquer la résolution 1483 de l’ONU qui interdit le commerce et l’exportation des antiquités irakiennes et pour laquelle Interpol a créé une cellule spéciale. On peut rêver.

L’histoire commence à Sumer

Les archéologues ont dans leur mission le devoir de garder la mémoire du passé. Et cela peut leur valoir, de temps à autre, de ne pas plaire à tout le monde. C’est ainsi qu’au début du mois, une archéologue turque de 92 ans, Muazzez Ilmiye Cig, une spécialiste reconnue des civilisations hittite et sumérienne, a failli être condamnée dans son pays pour insulte et provocation à la haine raciale et religieuse. Son crime: un commentaire historique sur le port du voile dans la société musulmane. Il apparaît, à la lecture des tablettes cunéiformes en terre cuite, que le foulard était porté à Sumer, il y 5000 ans, pour distinguer des femmes mi-prêtresse, mi-prostituée qui dans des temples se consacraient à l’éducation sexuelle des jeunes gens, ce qui justifiait, pour la spécialiste, son refus de porter le voile. Un avocat, qui ne pouvait admettre cette troublante vérité, décida de porter plainte. Heureusement pour Mme Cig, qui risquait jusqu’à trois ans de prison, le procureur chargé de l’affaire n’a pas reconnu le délit et les juges l’ont acquittée.

Inanna
Inanna

L’archéologue doit observer des faits pour en tirer des conclusions. Il apparaît également que rien n’est plus ambigu qu’un mot, et que parfois, rien ne vaut une image. J’aurais donc aimé illustrer mon propos par la représentation d’une sumérienne voilée. Or si les textes utilisés par Mme Cig pour asseoir son discours parlent, dit-elle, dans le sens de son interprétation, rien ne permet, sur une base iconographique de confirmer ses dires. Traduttore, traditore, comme disent les italiens. Comment, sans illustration interpréter le sens exact d’un mot issu d’une langue morte ? Je sais, en tant que céramologue, comme il est difficile de lier de manière univoque une forme de poterie à son nom grec ou latin, et cela malgré la lecture des textes. Les représentations que l’on trouve de la déesse Inanna, déesse de l’amour chez les Sumériens, que les prostituées sacrées devaient symboliquement incarner, ne portent jamais le voile, mais une coiffe caractéristique. Quel est le nom sumérien de cette coiffe ? Pourrait-elle être traduite par le mot voile?