Où sont-ils donc ?

Le 19 octobre 2017, un télescope d’Hawaï annonçait la découverte d’un objet céleste particulier. Lors de la dizaine de jours pendant lesquels l’objet fut visible depuis la Terre, un ensemble d’observations fut réalisé qui permit de conclure qu’il s’agissait bien du premier corps interstellaire découvert dans notre système solaire. En référence au lieu de sa découverte il fut baptisé ‘Oumuamua, qui dans la langue hawaïenne signifie « messager venu de loin et arrivé premier ». Entre comète ou astéroïde, la communauté astronomique a encore du mal à préciser sa nature. Venu sans conteste d’un système extrasolaire, sa forme étrange très allongée, sa couleur rougeâtre et sa trajectoire très particulière en font un objet à nul autre pareil, tant et si bien qu’une hypothèse alternative a aussi été proposée, celle d’un artéfact extraterrestre. C’est cette thèse qu’Avi Loeb, professeur d’astrophysique à l’université d’Harvard et membre de l’Académie américaine des arts et des sciences formule dans un livre publié dernièrement. Sous le titre : « Le premier signe d’une vie intelligente extraterrestre », l’auteur présente ‘Oumuamua comme une possible relique spatiale créée par une autre espèce intelligente à l’intérieur de notre galaxie. De cette découverte résulte selon lui le besoin d’une nouvelle branche de l’astronomie, que l’auteur propose d’appeler l’astro-archéologie, quoique ce terme controversé, écrit sans tiret, nous renvoi aux élucubrations pseudo-scientifiques liées à la théorie des anciens astronautes, du moins en français.

Vue d’artiste de ‘Oumuamua sous forme d’astéroïde (Image : Wikipedia)

Nous savons depuis la découverte en 1995 par Michel Mayor et Didier Queloz qu’il existe d’autres planètes en dehors de notre système solaire. Actuellement, pas moins de 4500 exoplanètes ont été mises au jour, et, fort de ce constat, il est maintenant assuré que rien que dans notre galaxie on peut assumer qu’il en existe au moins des centaines de milliards. Depuis le Big Bang, 13,8 milliards d’années se sont écoulées. Les astronomes, sont à leur manière aussi des archéologues. Plus loin leurs télescopes portent, plus anciennes sont les galaxies qu’ils observent. Ils peuvent ainsi remonter dans le temps et voir se former des étoiles et des galaxies avant même que notre système solaire ne se soit formé ou que la vie sur Terre n’ait débuté. L’astro-archéologie, telle que suggérée par Avi Loeb, aurait pour but de rechercher des débris technologiques extraterrestre, comme nous cherchons sur une plage un coquillage échoué venu du fin fond de la mer. Ceux-ci peuvent se trouver en orbite autour du soleil ou s’être déposé sur la Terre, la Lune ou d’autres planète. Pour les découvrir il faudrait mettre au point des instruments spécialement destinés à cette recherche. La vie sur Terre de même que notre propre existence rend plus que probable la présence dans ce vaste univers d’autres espèces techniquement intelligentes, même si, comme Enrico Fermi nous pouvons nous poser la question « Où sont-ils donc ? ». Il est donc possible que nous trouvions un jour les vestiges d’une civilisation extraterrestre disparue, avant même de pouvoir réellement entrer en contact direct avec une de ces civilisations actuellement existantes. Bien sûr, la communauté astronomique est loin de partager cette vision et refuse de voir en ‘Oumuamua autre chose qu’un objet naturel, tout au plus simple vestige archéologique du processus de formation d’un autre système planétaire. Mais qui sait ? Comme nous avertit Avi Loeb : «Si j’ai raison, c’est la plus grande découverte de l’histoire de l’humanité».

Les Aigles de Rome et les Barbares

J’ai profité de mon confinement entre Noël et Nouvel An pour me plonger dans une page sombre de l’histoire romaine, celle de la bataille de Teutoburg, qui vit l’anéantissement de trois légions, de six cohortes et de trois corps de cavalerie, au mois de septembre de l’an 9, comme Velleius Paterculus nous le rapporte dans son Histoire de Rome. Une bande dessinée (Les Aigles de Rome) et une série sur Netflix (Barbares), en ont fait leur sujet. Ce que j’ai trouvé remarquable, c’est que ces deux sources ont su tirer parti de toutes les informations historiques et archéologiques à disposition pour les intégrés dans la trame de leur scénario. Chacun de ces récits place naturellement Arminius, le chef de la coalition germanique, au centre de l’intrigue. Ce que l’on sait, c’est qu’Arminius était le fils de Segimer, chef de la tribu des Cherusques, qui fut élevé à la romaine, jusqu’à obtenir un rang d’officier dans les armées. Mise en ligne le 23 octobre 2020, la série de Netflix, nous le montre arraché à son père et à ses amis Folkwin et Thusnelda, pour en faire un quasi-fils adoptif de Publius Quinctilius Varus, légat consulaire commandant l’armée de Germanie, alors que, dans la BD, dessinée et scénarisée par Enrico Marini, un italien né et élevé en Suisse, l’éducation du jeune Germain Ermanamer est confiée par Auguste à Titus Valerius Falco, un centurion émérite, auprès duquel il reçoit le nom romain d’Arminius et devient l’ami de son fils Marcus. Les deux scénarios parviennent à tisser autour d’Arminius un faisceau d’amitié, de rivalité et d’amour entre les protagonistes. Il est à relever que dans les Barbares, les Romains parlent latin et en VO les Germains parlent allemand. Pour l’heure, les deux récits se terminent à l’issue de la bataille menée dans la forêt de Teutoburg. Mais une seconde série est déjà programmée sur Netflix, et un sixième tome des Aigles de Rome en préparation, pour nous offrir une suite.

Masque facial de cavalerie romaine (Photo : Museum und Park Kalkriese)

Dans l’environnement visuel de ces deux narrations, il est à relever qu’un soin tout particulier a été apporté aux accessoires et aux décors, ainsi qu’à l’équipement des combattants, basés sur des données archéologiques, comme le montre le masque d’apparat porté par Lépide dans les Aigles ou par Varus dans les Barbares. Ce masque résulte des recherches effectuées en vue de retrouver le site exact de la bataille de Teutoburg, car si de nombreuses sources antiques décrivent les circonstances dans lesquelles Varus a perdu la vie et les aigles des légions XVII, XVIII et XIX, ces textes manquent de précision quant à la localisation du désastre. En 1627, un pasteur et chroniqueur renomma une zone forestière, près de Detmold, en forêt de Teutoburg et à partir de là tout le monde était sûr que la bataille devait avoir eu lieu là ou dans les environs. Au cours des siècles, 700 théories différentes furent proposées, « mais aucune ne mène au champ de bataille », résumait en 1983 l’archéologue Wilhelm Winkelmann évoquant l’état des recherches. Cependant, à partir de 1987, le major Tony Clunn, membre de l’armée britannique sur le Rhin, à l’aide d’un détecteur de métaux, commence à faire de nombreuses découvertes de pièces et d’armes romaines dans la région de Kalkriese, soit à 70 km de l’ancien lieu présumé, où depuis 1875 se dresse une statue haute de 26m à la gloire d’Arminius. Depuis 1989, des fouilles archéologiques annuelles semblent confirmer la localisation de la fameuse bataille en mettant au jour des milliers de vestiges d’objets romains et d’éléments d’équipements militaires comme des épées, des poignards, des pointes de javelots, des balles de fronde, des flèches, des fragments d’armure, des casques, dont le magnifique masque facial, sans oublier tout l’équipement d’une armée en campagne : chaudrons, haches, clous, marteaux, amphores, etc. En 2000 un parc, puis en 2001 un musée archéologique conçu par les architectes suisses Anette Gigon et Mike Guyer, mettent en valeur le lieu et ces trouvailles archéologiques. Cependant, aujourd’hui encore, de nombreux historiens et archéologues doutent que Kalkriese soit le lieu exact du désastre de Varus.

Entre lac et montagne

J’étais en train de me préparer à allumer un feu, quand mon œil a été attiré par une date imprimée sur la feuille de journal que j’allais froisser : 3795 av. J-C., au printemps. C’est ainsi, très fortuitement, que j’ai découvert le feuilleton publié dans ArcInfo du mercredi 7 octobre au vendredi 20 novembre 2020, tiré du livre « Là où lac et montagne se parlent » écrit par Didier Burkhalter. En recherchant dans la pile des vieux journaux et dans les archives du journal sur Internet, je suis parvenu à lire les 33 épisodes de ce feuilleton découpant les 12 chapitres du roman publié en février 2018 par les éditions de l’Aire. Le récit se compose de deux parties. Les chapitres impairs racontent l’histoire d’une famille néolithique vivant il y a 5800 ans, tandis que les chapitres pairs concernent les membres d’une autre famille au cours du 20ème siècle et jusqu’en 2025. Pour qui connait le parcours de vie de l’ancien conseiller fédéral, on réalise que cette seconde partie dresse entre les lignes et très directement, le portrait des membres de sa famille et de sa belle-famille, ainsi qu’elle nous confie certaines réflexions sur le monde actuel ou en devenir, à travers le point de vue d’un ancien président de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. La première partie, celle qui m’a interpellé, décrit les visions d’une jeune femme aveugle, Aga, qui voit à travers les siècles et au-delà des générations. Son clan se compose de son compagnon, Orao, de ses enfants, Ama, Amo et Oragar, et de sa petite fille, Amega, parmi les premiers habitants d’un village palafittique situé au bord d’un lac.

Réflexions entre lac et montagne

Le cadre de vie de ce clan est explicitement décrit par Didier Burkhalter dans son premier chapitre comme celui du site « d’Hauterive-Champréveyres, sur la rive nord du lac de Neuchâtel aux mille nuances ». L’auteur nous montre dans cette partie du récit ce qu’il a pu retenir de ses fréquentes visites au parc et musée d’archéologie du canton de Neuchâtel, connu sous le nom du Laténium, situé près de son domicile. Pour commencer, l’intervalle de dates évoqué dans ses six chapitres préhistoriques, de 3815 av. J.-C. à 3775 av. J.-C., correspond précisément aux dates de constructions et d’occupation du village néolithique relevées par la dendrochronologie. Au cours du récit, on apprend à connaître Oragar, le premier pêcheur, qui « ne quitte son village que pour voguer sur le lac avec la pirogue qu’il a construite de ses mains et qu’il entrepose fièrement sous la plus grande maison, entre les pilotis ». On reconnait dans ce passage la grande maison reconstituée du Bronze final édifiée dans le parc du musée, sous laquelle se trouve bien abritée une pirogue monoxyle reconstruite. Cette embarcation va servir de trait d’union avec la période contemporaine, puisqu’à la suite d’une tempête, cet esquif sera perdu, avant qu’un autre pêcheur, Justin, aperçoive de manière insistante « les restes d’une sorte de pirogue que l’eau envahissante voudrait disputer au temps ». Par la suite, dans l’histoire du loup recueilli par Ama et apprivoisé par Amo, on peut y voir, en plus de son nom, un clin d’œil à la découverte de la canine de Champréveyres, vieille de 15’000 ans, qui atteste de la domestication déjà ancienne du chien à cette époque. De même, lorsque Amo « ramène au village des pointes de flèches taillées dans du cristal de roche venant des Alpes » il y a un rapport direct avec la découverte en 1999, d’une pointe de flèche en cristal de roche, faite lors du chantier du Fun’ambule, alors que Didier Burkhalter était Conseiller communal de Neuchâtel et maître d’œuvre du projet en tant que directeur des travaux public de la ville. Cette pointe de flèche est maintenant exposée au début de la visite des salles du Laténium. Là où lac et montagne se parlent de Didier Burkhalter évoque donc en filigrane l’exposition permanente du musée et son parc situé « Entre Méditerranée et Mer du Nord ». Mais il veut surtout nous démontrer la permanence du regard et des visions que des générations humaines séparées par le temps, mais non par l’espace, peuvent ressentir en voyant les montagnes se refléter dans les ondes bleues ou vertes de notre lac.

La femme préhistorique est aussi humaine

Les éditions Allary viennent de publier un livre « L’homme préhistorique est aussi une femme ; Une histoire de l’invisibilité des femmes ». Le titre part d’une évidence : il y avait aussi des femmes dans la Préhistoire. Mais l’auteure de cet essai, Marylène Patou-Mathis démontre comment, pendant 150 ans, les préhistoriens et anthropologues ont minoré, ignoré et rejeté l’importance des femmes dans l’évolution de l’humanité. A côté de l’homme chasseur, artiste ou guerrier, la femme se trouvait dans les publications archéologique assujettie à des taches féminines comme la reproduction, l’éducation des enfants, la cueillette des végétaux et la préparation en cuisine de la nourriture. Pourtant, des études récentes, comme celle présentée dans ce blog, démontrent qu’il n’y a pas de déterminisme biologique dans leurs aptitudes entre les sexes. Toute personne entrainée obtient des résultats comparables quel que soit son genre. Cependant, dans la langue française, selon l’Académie, le masculin l’emporte sur le féminin, même si les sociétés humaines nous offrent différentes configurations sociales. A côté du patriarcat actuel dominant, il a existé des sociétés basées sur le matriarcat, comme l’illustre les mythiques Amazones. De même, si les arbres familiaux de notre société sont construits de manière patrilinéaire, d’autres sociétés sont matrilinéaires et transmettent leur filialisation à travers les mères.

Réunion de femmes préhistoriques au musée des Confluences de Lyon

Nous devons admettre que devant une gravure, une sculpture ou une peinture pariétale il n’y a aucun moyen de l’attribuer sans équivoque à un homme plutôt qu’à une femme. Il apparaît même que la majorité des mains négatives observées dans l’art pariétal du Paléolithique supérieur, comme dans la grotte de Gargas, seraient féminines, si on se base sur l’indice de Manning. L’exogamie qui conduit les femmes à quitter leur famille pour aller vivre dans la communauté de leur époux, a favorisé les échanges de savoirs et de savoir-faire entre les groupes. Une observation que je peux attester dans la dispersion des céramiques de la Culture cordée. Admettons aussi que la détermination du sexe à partir des ossements n’est pas toujours évidente. Ainsi le squelette de « l’Homme de Menton », daté de – 24 000 ans, connu pour son crâne recouvert de coquillages et d’ocre, s’est révélé être une femme, après une étude approfondie de sa morphologie et est dorénavant appelé « La Dame du Cavillon ». Une incertitude du même genre pèse sur la très célèbre « Lucy ». En l’absence d’analyse génétique, les paléoanthropologues doivent admettre que seul 30% des squelettes sont distinguables du point de vue de leur sexe. Mais, les dieux ont progressivement remplacé les déesses, la Grande Déesse a fait place à un Dieu mâle unique, tant et si bien que dans l’histoire de notre société le rôle des femmes a été effacé et négligé, au profit des seuls mâles. Ainsi, il faut sortir des clichés et des préjugés. La découverte d’arme(s) dans une tombe n’implique pas forcément celle d’un homme comme en témoigne des sépultures Scythes ou Vikings. Et rien ne prouve que la taille du silex fût réservée aux hommes ou que la maîtrise du feu soit une découverte masculine. En mettant en évidence tous les biais cognitifs qui donnent à un sexe le pouvoir sur l’autre, ce livre nous encourage à rechercher ensemble la meilleure voie possible vers une complémentarité totale des genres. A l’exemple de l’ethnie San d’Afrique du Sud dont l’auteure est aussi une spécialiste, en plus des populations néanderthaliennes.

Réactualisation de la « damnatio memoriae »

Un débat de portée internationale agite en ce moment les bonnes consciences. Faut-il déboulonner les statues des personnes liées à la traite négrière et à l’esclavage ? La question se pose de manière particulièrement aiguë depuis le 7 juin dernier, lorsqu’un groupe d’activistes du mouvement Black Lives Matter a abattu la statue du marchand Edward Colston, avant de la précipiter dans les eaux sombres du vieux port de la ville de Bristol en Angleterre. A Neuchâtel, c’est la statue de David de Pury, généreux bienfaiteur de sa ville natale, qui est menacée du même sort. Une pétition pourvue de 2550 signatures a été déposée au mois de juillet à la chancellerie communale demandant que ce monument disparaisse de l’espace public pour être remplacé par une «plaque commémorative en hommage à toutes les personnes ayant subi et subissant encore aujourd’hui le racisme et la suprématie blanche». Cette semaine, à Zurich, c’est la figure d’Alfred Escher, considéré comme un des fondateurs de la Suisse moderne, qui est visée. Bien que lui-même n’ait pris aucune part directe à ce type de commerce, il doit selon le même genre d’activistes, assumer la part infamante de sa fortune héritée de son grand-père et son père. La question se pose autrement plus sérieusement pour des personnalités comme Louis Agassiz ou Carl Vogt qui prônaient de manière « scientifique » la hiérarchisation des races.

Place et monument de Pury en 1855

Dans l’histoire de la Rome antique, cette pratique visant à effacer des mémoires et des célébrations des personnalités entrées en déchéance, s’appelle la « damnatio memoriae ». Elle se traduit, par exemple, par la destruction des statues et le martelage des inscriptions portant le nom honni, voire, dans le cas de certains empereurs, allant jusqu’à la dégradation ou à la refonte de monnaies portant leur effigie. Dans la pratique cette procédure ne visait pas à une véritable disparition d’un nom dans l’histoire mais constituait seulement un acte symbolique pour marquer la réprobation publique du personnage et sa déchéance sociale. Si on examine attentivement le passé des nombreuses personnalités éminentes qui ont reçu après leur disparition le privilège d’être honorées par un monument public ou un nom de rue, je gage que bien peu passeraient sans critique l’épreuve de la probité à l’aune de la morale et de l’éthique contemporaines. Et en ce qui concerne les empereurs romains, en appliquant la grille de lecture actuelle, on ne verrait pas de grandes différences entre un bon princeps et un tyran. Tous mériteraient d’être condamnés sévèrement par la Cour européenne des Droits de l’Homme à Strasbourg ou la Cour pénale internationale de la Haye.

Plongée dans les musées sous-marins

La Grèce a inauguré le 1er août son premier musée sous-marin. Il s’agit de l’épave d’un navire qui git à près de 30 mètres de profondeur, transportant des milliers d’amphores près de l’îlot de Peristera, au large de l’île d’Alonissos, dans l’archipel des Sporades du Nord. Les amphores, dont la plupart sont intactes, révèlent les dimensions de l’ancien navire, soit au moins 25 m de long et 10 m de large. D’après le contenu de la cargaison constitué essentiellement d’amphores vinaires, ce gros navire marchand aurait coulé vers l’an 425 avant notre ère au cours d’une traversée entre la ville de Mende, en Chalcidique, dans le nord de la Grèce, et l’île de Skopélos. Le navire transportait aussi une abondante vaisselle de banquet à vernis noir d’origine athénienne. Le site fut découvert en 1985 par un pêcheur et des fouilles subaquatiques effectuées depuis 1991 ont permis de l’étudier. En ouvrant ce site, le but avoué des autorités est d’attirer en Grèce les amateurs de plongée. Les touristes qui ne pratiquent pas la plongée auront droit à une visite virtuelle, à l’aide de lunettes VR, dans un centre d’information terrestre situé à Alonissos. A terme, les autorités grecques comptent rendre accessibles aux touristes pratiquant la plongée sous-marine quatre autres sites d’épaves antiques.

Plongée au milieu des amphores (photo: ministère grec de la Culture)

Ce soudain intérêt de créer un musée sous-marin en Grèce, est sans doute à mettre en relation avec le succès des réalisations de l’artiste britannique, Jason deCaires Taylor. C’est en 2006 qu’il inaugure sur l’île de Grenade, le parc de sculptures sous-marines de Molinere Bay son premier lieu d’exposition sous-marin. Depuis lors, l’artiste a conçu une dizaine d’autres spots de plongée dont le spectaculaire Museo Subacuatico de Arte de l’isla Mujeres, près de Cancun au Mexique, et l’émouvant Museo Atlantico sur l’île de Lanzarote aux Canaries. Vu l’intérêt du public pour ce genre de réalisations, d’autres localités situées au bord de l’eau ont eu l’idée de créé leur musée sous-marin. A défaut d’œuvres-d ’art, ou d’épave, la Jordanie a coulé à plus de 20 m de profondeur, 19 pièces de matériel militaire dans le golfe d’Aquaba en mer rouge, et ouvert en juillet 2019, un musée militaire sous-marin. Mais s’il faut chercher un vrai site précurseur, c’est celui du parc archéologique submergé des champs phlégréens de Baia, près de Naples, créé en 2002. Ce parc peut être visité en barque ou en snorkeling. Un nouveau secteur ouvert à la visite a été inauguré au mois de juillet de cette année. Et pour ceux qui ne veulent ou peuvent se mettre dans le bain, grâce à l’application « Dry visit – Baiae Underwater Park », téléchargeable sur Apple Store et Google Play, ils peuvent plonger virtuellement, au sec, parmi les vestiges de ce secteur de la ville submergée de Baia.

Moi, au cœur du temps

La première phrase d’introduction à ma thèse commençait ainsi : « Plonger au cœur du temps, faire revivre le passé, tel est le souhait de l’archéologue». En écrivant ces mots je rêvais consciemment de disposer d’un tunnel du temps comme celui popularisé par la série « Au cœur du temps » pour vérifier sur le terrain toutes les hypothèses et conjectures que j’allais devoir présenter. Fouiller et sortir du sol des objets abandonnés, perdus ou rejetés par des personnes depuis longtemps disparues, m’apporte toujours une sensation très forte d’immersion dans le temps, d’autant plus que je me trouve dans l’espace qu’ils ont eux-mêmes fréquenté. Mais contrairement aux dimensions spatiales, l’axe du temps est à sens unique, et il nous sera sans doute à jamais impossible de revenir en arrière, dans la quatrième dimension.

Exposition « Le temps et moi» et série « Au cœur du temps », en affiches

C’est à une réflexion sur la subjectivité du temps que nous propose la nouvelle exposition du musée romain de Lausanne-Vidy : « Le temps et moi». Alors que le monde entier a été contraint à une pause forcée en raison du coronavirus, les concepteurs nous invitent avec intelligence à nous plonger dans le tunnel du temps et à en explorer différentes facettes. D’abord, le temps des physiciens, des géologues et des astronomes qui en forme la trame générale depuis l’explosion du Big Bang, il y a 13,8 milliards d’années, puis la création du système solaire et de la Terre, il y a 4,6 milliards d’années, puis l’évolution de la vie sur notre planète, depuis 3,5 milliards d’années, qui a produit notre espèce, Homo Sapiens, dernière représentante des différentes espèces d’hominidés qui ont peuplé notre monde depuis 7 millions d’années. Et comme on n’arrête pas le progrès, on réalise que les objets du quotidien de notre vingtième siècle peuvent déjà apparaitre étranges aux yeux de la génération du troisième millénaire. A chacun de se plonger dans son propre passé pour y extirper des souvenirs enfouis dans les tiroirs de sa mémoire, ou sur les images pieusement conservées dans ses albums de photographies. Face à ces rapides changements, la philosophie d’Épicure, que résume la formule « Carpe Diem » semble encore plus d’actualité que du temps d’Horace, et nous permet d’envisager avec sérénité la fin de notre fugace existence. En définitive, visiter cette exposition ouverte jusqu’au 18 avril 2021, ce n’est pas tuer le temps, mais prendre du bon temps.

La fin de la République romaine annoncée par une comète


Sciences naturelles et sciences historiques doivent se compléter pour rendre compte du passé. Ainsi en est-il, par exemple, lorsque la dendrochronologie permet de dater une construction à l’année près, permettant ainsi de valider ou non les données historiques dont on pourrait disposer. Cette même technique, grâce à l’enregistrement des conditions climatiques propices ou non à la croissance d’un arbre qui se matérialise par la création d’un cerne annuel plus ou moins large, permet de connaître les périodes favorables ou non à leur croissance et d’inférer ainsi des conditions climatiques. L’une des périodes les plus défavorable selon le résultat des études dendrochronologiques s’est produite en l’an 43 avant J.-C et l’année suivante, qui fut une des périodes les plus froides de ces 2500 dernières années dans l’hémisphère nord. Par ailleurs, la science a établi que de grandes éruptions volcaniques peuvent induire des effets environnementaux importants par l’injection d’aérosols sulfatés dans la stratosphère, modifiant l’absorption et la réflexion du rayonnement solaire dans l’atmosphère, produisant un effet de refroidissement global du climat. On pensait que l’Etna qui fut en éruption en 44 av.J-C, peu de temps après l’assassinat de Jules César, avait pu engendrer un tel climat en voilant le soleil et en pourrissant les récoltes, comme Plutarque nous le rapporte. Une carotte glacière provenant du Groenland étudiée par des scientifiques du Desert Resarch Institute à Reno, aux Etats-Unis, et du Centre Oeschger de recherche sur le changement climatique à l’Université de Berne, a montré une fine couche de cendres volcaniques coïncidant avec cette période. Or, l’analyse effectuée a révélé que le volcan qui a modifié le climat à partir de l’an -43 se trouve à l’autre bout du monde, en Alaska. Il s’agit du volcan Okmok à 10000 km de Rome.

Denier d’Auguste à la comète

Historiquement, l’année 43 avant J.-C. et les suivantes furent marquées par la guerre civile qui opposa les assassins de Jules César à ses héritiers. Les auteurs de l’étude parue dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) sont convaincus que l’explosion volcanique en Alaska et les changements climatiques abrupts qu’elle a entraînés ont été des facteurs parmi d’autres qui ont conduit à la chute de la République romaine. Mais comme souvent, les médias dans leurs effets d’annonce ne veulent retenir que le côté sensationnel de l’information. Ainsi, ai-je été surpris par des titres comme : «Comment un volcan en Alaska a fait chuter Rome », ou : « Un volcan a eu raison de la République romaine » ; ou encore : « L’éruption d’un volcan en Alaska a contribué à la chute de la République romaine ». La préférence allant aux affirmations plutôt qu’aux suppositions. Si d’un point de vue historique il est intéressant de reconstituer par l’analyse scientifique les conditions climatiques ayant accompagné des événements historiques, il est présomptueux d’imaginer que dans ce cas elles ont pu avoir une part prépondérante dans la fin de la République romaine. Car dans les textes antiques, ces conditions climatiques exceptionnelles ne semblent avoir eu que peu de poids dans les motivations des protagonistes à en découdre, ni à renforcer ou affaiblir l’une des parties en conflit. En revanche, l’apparition d’une comète lors des jeux tenu en l’honneur des funérailles de Jules César en juillet 44 av. J.-C, aura pu contribuer au moins autant, si ce n’est plus, à entrainer la République romaine sur la voie de l’Empire, car cet astre fut interprété comme un signe de la divinité du dictateur et confirma Octave comme son légitime successeur.

Porte ouverte sur l’art celtique

La nouvelle exposition temporaire du Laténium : Celtes, un millénaire d’images a pu enfin ouvrir ses portes au public le 12 mai 2020, par suite de la décision du Conseil fédéral de réouvrir les musées suisses un mois plus tôt qu’initialement prévu. Comme l’indique son texte de présentation, cette exposition nous « emporte dans des temps sans écrits, peuplés d’images énigmatiques et de créatures fabuleuses, pour illustrer le foisonnement des expressions artistiques sur le continent européen au cours du dernier millénaire avant l’histoire. Avec ses objets ornés de décors curvilignes, ses formes en mouvement et ses perspectives éclatées, l’art celtique s’épanouit à l’époque de La Tène, dès le 5e siècle avant notre ère. Ses motifs et ses figures activaient les récits, les mythes et les légendes de ces sociétés orales, marquées par la théâtralité. Ils révèlent un univers de métamorphoses défiant les lois de la nature, où s’estompent les frontières entre l’animal, le végétal et l’humain, alors que le ciel et la terre semblent communiquer avec le monde souterrain. »

Entrée dans l’exposition (photo : Marc Juillard/Laténium)


Cette exposition réalise une adaptation par l’équipe du Laténium d’une exposition crée par le musée archéologique de Münich (Archäologische Staatssammlung München) et présentée au Kelten Römer Museum de Manching en Bavière du 5 juillet 2018 au 26 février 2019, puis au Centre archéologique européen de Bibracte du 13 avril au 11 novembre 2019. Elle a été conçue dans le cadre du réseau « Iron Age Europe », un partenariat international initié par le Laténium, qui réunit des institutions dédiées à la recherche scientifique et à la valorisation publique de l’archéologie de l’âge du Fer de Suisse, de France, d’Allemagne, d’Autriche et d’Espagne. Les près de 200 pièces présentées proviennent pour l’essentiel des très riches collections celtiques de l’Etat de Bavière, que complètent des objets empruntés dans de nombreux autres musées, en Suisse, en Italie et en Slovaquie. Malgré son nom, et ses riches collections, ce n’est que la deuxième fois depuis son inauguration en 2001, que le Laténium consacre une exposition temporaire centrée sur l’époque de La Tène. Percer le voile de mystère qui enveloppe le monde celtique et son art flamboyant et curviligne est à découvrir au Laténium jusqu’au 10 janvier 2021 avant d’être reprise l’année prochaine au Keltenmuseum de Hallein (Autriche).

Mégalithes d’ici et d’ailleurs

Prévue pour être visitable du 9 mars au 16 mai 2020, la nouvelle exposition «Mégalithes d’ici, Mégalithes d’ailleurs », présentée par le Laboratoire d’archéologie préhistorique et anthropologie de l’Université de Genève a dû fermer ses portes peu de temps après son ouverture en raison de la crise pandémique actuelle. En attendant une visite dans le monde réel, c’est à une visite virtuelle de cette exposition que les archéologues de l’UniGE convient les personnes intéressées. L’exposition est organisée en cinq sections. La section introductive permet d’apprendre que le phénomène mégalithique s’étend dans le temps et l’espace, soit depuis 6000 ans et dans le monde entier.  Une frise chronologique et une carte permet de s’en rendre compte très rapidement. Cette partie centrale permet aussi de préciser certaines définitions, comme de faire la différence entre : tertre, cairn et dolmen. A partir de là, quatre zones mégalithiques sont, tour à tour, à découvrir :  le Proche-Orient, entre la Turquie et la Jordanie, en passant par la Syrie et le Liban ; l’ouest de la France, avec les sites bretons, dont les vestiges remarquables de l’île de Guénioc ; l’Indonésie, avec l’édification actuelle de dolmens sur l’île de Sumba ; la région de Genève, enfin, avec la présentation des récentes découvertes effectuées sous le mandat de l’Office fédéral des routes (OFROU) lors de la construction autoroutière du Grand-Saconnex  au Pré-du-Stand. Après l’exposition « Pierres de mémoire, pierres de pouvoir », présentée il y a un peu plus de dix ans, les chercheurs de la Faculté des Sciences du le Laboratoire d’archéologie préhistorique et anthropologie  donnent au grand public une nouvelle occasion d’en savoir plus sur  le mégalithisme.
Skyscape512
Coup d’œil en direct à l’intérieur de Stonehenge

Pour ceux qui après cela aimeraient découvrir le mégalithisme directement à Stonehenge, un des lieux emblématiques du phénomène, ils devront eux aussi attendre un peu pour accéder à ce désir. En effet, conformément aux directives du gouvernement britannique, le site reste lui aussi fermé dans l’intérêt de la santé publique. Mais, alors que le cercle mégalithique est clos, English Heritage nous invite à y entrer en jetant un coup d’œil en vue directe entre ses pierres via l’application Skyscape. Grâce à ce dispositif mis en ligne l’année dernière, il est possible de voir en temps réels les mouvements du soleil, de la lune et des planètes au-dessus du monument. De jour, la vue à 360° du lieu, via une webcam, est actualisée toutes les cinq minutes, ce qui permet de se rendre compte des conditions météorologiques du site et de constater qu’il ne pleut pas tous les jours dans le sud-ouest de l’Angleterre. Grace aux onglets carrés situés au sommet de l’image on peut aussi observer le dernier lever et coucher de soleil. De nuit, l’image du ciel passe d’une représentation photographique à une représentation générée par ordinateur, qui affiche avec précision l’emplacement en direct des étoiles et de la Lune ainsi que des cinq planètes visibles à l’œil nu par les constructeurs de Stonehenge, à savoir Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. Enfin, last but not least, des informations supplémentaires peuvent être obtenues d’un clic, comme le nom donné aux différentes pierres, la trajectoire précise de la Lune et des planètes ou la direction exacte que devait indiquer, au Néolithique, l’astre du jour au moment des solstices.