Monthly Archives: April 2011

Vrais-faux et faux-semblants au Laténium

Se poser la question du vrai et du faux pour un musée est d’emblée courageux. Car rien de plus désagréable pour un conservateur de musée que d’abriter dans ses vitrines des falsifications, autres que des copies qu’il sait être des fac-similés. Parfois pourtant, ce que l’on croyait authentique se révèle faux, et face à une tromperie, rien à faire, sinon admettre l’erreur. Entièrement conçue par l’équipe du Parc et Musée cantonal d’archéologie de Neuchâtel, ou Laténium, l’exposition qui s’ouvre aujourd’hui, intitulée «L’âge du faux», invite ses visiteurs à distinguer les objets authentiques des contrefaçons. Comme l’annonce la plaquette d’information de l’exposition, «certains de ces objets sont de « vrais » faux ; d’autres ne sont qu’à moitié faux, et nombre d’entre eux sont de vraies trouvailles archéologiques dont l’étrangeté défie la compréhension des spécialistes. Or, pour faire la part des choses, le visiteur doit tenter l’expérience du faux !». Cette exposition m’a ainsi rappelé la visite d’une autre exposition sur le même thème présentée en 1990 au British Museum intitulée : « Fake ? The Art of Deception ». On y voyait des falsifications autrement plus célèbres que celles présentées au Laténium, comme les véritables ossements de l’homme de Piltdown (une copie partielle est présentée au Laténium), ou l’un des fameux crânes de cristal. Pourtant le Laténium a manqué de frapper un grand coup à l’occasion de cette exposition. Il aurait été intéressant de rechercher de tels vrais faux au sein de ses propres collections. Ces dernières abritent peut-être un objet qui aurait pu passer de l’exposition permanente à l’exposition temporaire.

L'âge du Faux
Extrait de l’affiche de l’exposition

En effet, la collection permanente du Laténium présente dans l’une de ses dernières vitrines, ce qui est connu comme le plus vieux vestige humain de Suisse, à savoir: un maxillaire supérieur appartenant à un Néandertalien. Exhumé en 1964 au fond de la grotte de Cotencher, sur la commune de Rochefort dans le canton de Neuchâtel, ce maxillaire a été attribué à une femme âgée d’une quarantaine d’année. Celle que l’on appelle la «Dame de Cotencher» est depuis sa découverte l’une des célébrités du musée, avec Julia, une princesse impériale romaine, dont le buste original est présenté dans l’exposition en regard de son fac-similé en résine, si fidèle à l’original, qu’il est difficile de distinguer le vrai du faux. S’il m’est personnellement impossible de juger en quoi cette mandibule est vraiment néandertalienne (d’autres spécialistes s’en sont chargés), le lieu de mise au jour prête sujet à caution, comme en témoigne le récit de la découverte. Le découvreur n’était pas un archéologue professionnel, mais un collectionneur d’objets archéologiques préhistoriques. C’est au cours d’une visite guidée de la grotte qu’il effectuait lui-même, qu’il a découvert devant témoins cette mandibule dans la coupe stratigraphique exposée. Est-ce juste un petit tour de passe-passe qu’on appelle dans le métier un salage de couche, et dont ce blog s’est déjà fait l’écho? Toujours est-il que cette trouvaille lui a valut une certaine reconnaissance. Ces faits sont connus de nombreux archéologues, notamment à Neuchâtel, d’autant plus que sa collection (acquise par le musée d’archéologie après son décès) mériterait aussi une étude critique. L’équipe du Laténium aurait pu saisir cette occasion pour pratiquer quelques analyses physico-chimiques permettant de déterminer si la mâchoire avait bien passé 40’000 ans dans cette couche archéologique. Le Musée saurait de manière définitive s’il possède là un objet authentique ou une falsification. Un musée ne doit pas avoir peur de pratiquer de tels examens. Ces fraudes font partie de l’histoire de l’archéologie ou de l’art et témoignent d’une époque où ces disciplines étaient confondues avec une chasse au trésor. Le Laténium a jusqu’au 8 janvier 2012 pour prêcher la vérité, sans faux-fuyants. Le musée doit tenter l’expérience du vrai !

Indiana Jones au musée

Le Centre des sciences de Montréal profite du 30e anniversaire de la sortie du premier film de la série  pour présenter en primeur mondiale, à partir d’aujourd’hui 28 avril, l’exposition intitulée « Indiana Jones et l’aventure archéologique ». En se basant sur les quatre films de la série Indiana Jones l’exposition fait le lien entre la fiction et la réalité de 14 sites archéologiques que le célèbre archéologue a parcourus lors de ses aventures. Les visiteurs sont guidés en alternance sur la «Piste d’Indy» et dans des «Zones archéologiques». Pour le parcours de la «Piste d’Indy», Lucasfilm a prêté plus de 200 costumes et accessoires provenant des quatre tournages. Il est ainsi possible de voir, entre autres, la fameuse Arche d’alliance des Aventuriers de l’arche perdue, le squelette en cristal d’Akator sur son trône, la motocyclette de Matt, de même que le chapeau et le fouet du héros. L’expérience de visite est enrichie par une tablette numérique, un compagnon de visite portatif gratuit qui contient deux heures de contenu interactif sous forme de films et de textes. La visite sans la tablette est du reste impossible, puisqu’aucune vignette descriptive n’accompagne les pièces exposées. Une quête virtuelle est également proposée pour permettre à chacun d’expérimenter la science de l’archéologie.
L'aventure archéologique
Extrait de l’affiche de l’exposition

En parcourant les « zones archéologiques », les visiteurs découvrent l’évolution de l’archéologie du premier tiers du 20e siècle jusqu’à nos jours. Les quatre zones archéologiques de l’exposition correspondent aux étapes fondamentales du travail d’un archéologue: la quête, la découverte, l’enquête et l’interprétation. Ces zones regroupent des artefacts et documents archéologiques uniques en provenance du Penn Museum, de la National Geographic Society et de la Ville de Montréal. Parmi les objets les plus impressionnants de l’exposition, on retrouve entre autres une collection d’artefacts en or du cimetière royal d’Ur, une série de neuf récipients magnifiquement décorés de la culture Nazca au Pérou, la plus ancienne carte du monde connue à ce jour, ainsi que la plus ancienne preuve de l’origine de la vinification. «Indiana Jones et l’aventure archéologique» se tient au Centre des sciences de Montréal jusqu’au 18 septembre 2011. L’exposition voyagera ensuite pendant six ans dans une dizaine de villes d’Europe et d’Asie et comme le conclu le trailer sur You Tube accompagnant l’événement, «Indiana Jones et l’aventure archéologique» sera bientôt dans un musée près de chez vous.

Des archéologues dans le ciel et l’espace

Devenir archéologue sur Google Earth. Tel est la proposition faite à ses lecteurs par la revue d’astronomie Ciel et Espace, qui consacre dans son numéro du mois de mai un article sur les archéologues ayant échangé leur truelle contre une souris pour découvrir de nouveaux sites archéologiques. On y raconte ainsi l’aventure de Scott Madry, qui à partir de 2005, à l’exemple de Luca Mori, s’est mis à ausculter les images satellites de la Bourgogne, en lieu et place de photos aériennes. De même que celle de David Kennedy, un australien qui annonça au mois de février de cette année la découverte de 2000 sites en Arabie Saoudite, un pays où il n’est même jamais allé. Luc Lapierre et Lionel Decramer sont, quant à eux, parvenus à suivre le tracé de la voie romaine reliant Toulouse à Narbonne grâce aux images satellites. Enfin, la Nasa elle-même n’est pas en reste puisqu’elle participe a quelques projets dans ce domaine, comme à Angkor ou au Yucatán. Ciel et espace, à titre d’exemples, a édité une page Internet donnant des liens permettant de visiter quelques uns des sites découverts grâce à Google Earth.
Géoportail et INRAP
L’INRAP sur le Géoportail de l’IGN

Ciel et Espace invite aussi à redécouvrir le Géoportail de l’Institut géographique national français (IGN), qui depuis le 17 mars, en partenariat avec l’Institut National de Recherche en Archéologie Préventive (INRAP), a mis en ligne une nouvelle couche d’information comprenant les principales interventions menées par l’INRAP depuis sa création. Pour y accéder rien de plus simple. Une fois sur le Géoportail il suffit d’ouvrir dans le catalogue des couches le dossier “Culture et Patrimoine”, puis cochez la couche “Archéologie préventive”. D’un seul clic, des centaines d’icones INRAP couvrant le territoire français se révèlent et permettent de localiser et d’accéder directement aux divers chantiers. Un clic sur une icone affiche une notice descriptive du site archéologique et les informations disponibles, à savoir : reportages vidéos, visites virtuelles, communiqués de presse, événements. La navigation est facile et l’on prend plaisir à découvrir ainsi l’importance des découvertes réalisées par l’archéologie préventive française. L’équivalent du Géoportail existe également en Suisse. Depuis le 14 avril 2011, l’Office fédéral de la topographie (Swisstopo) offre même un nouveau service internet, portant le nom de « swisstopo web access – WMTS» (WMTS pour Web Mapping Tile Service), permettant d’intégrer facilement la Carte nationale et les images aériennes de la Suisse sur son propre site Internet. Il ne reste plus qu’à l’Association des archéologues cantonaux ou au Comité d’Archéologie suisse de demander à l’Office fédéral de la topographie (Swisstopo) de créer une couche des interventions archéologiques, en plus des réserves d’oiseaux cantonales ou des surfaces agricoles cultivées. Et pourquoi pas y chercher de nouveaux sites.

Noidenolex avant Novum Castellum

La ville de Neuchâtel célèbre aujourd’hui les 1000 ans de son existence historique. C’est en effet le 24 avril 1011 qu’un acte de donation établi par le roi de Bourgogne Rodolphe III au profit de son épouse Irmengarde, lui offre, en plus d’un certain nombre d’autres possessions, le siège très royal (regalissima sedes) de « Novum Castellum ». Bien sûr ce château neuf était déjà construit, et s’il dût y avoir une fondation de ce castel, elle remonte à quelques lustres antérieurs, lorsque le lieu de résidence du pouvoir royal dans la région s’est déplacé de la villa de Colombier à la colline du château de Neuchâtel. Cependant, il n’en fut pas toujours ainsi, car aux cours des XVIIIe et XIXe siècles, les bourgeois de Neuchâtel ont pu croire qu’ils étaient les successeurs en ce lieu des habitants de l’antique Noidenolex ou Noïdenolex.
Millénaire de Neuchâtel
Neuchâtel célèbre son Millénaire.

L’affaire commence à partir d’une erreur de transcription d’un manuscrit des Notitia Galliarum. Ce texte présente une liste des provinces et des civitates de la Gaule romaine. Certaines versions imprimées de ce texte, reprenant l’erreur manuscrite, font mention d’une localité, Noïdenolex dans le pays d’Avenches (Aventicum). Pour la plupart des savants de l’époque, Noïdenolex devait se situer sur la Vy d’Etraz, l’ancienne voie pavée (via Strata) reliant Eburodunum (Yverdon) à Salodurum (Soleure), et l’emplacement le plus favorable semblait devoir être l’actuel quartier de la Maladière, entre Vieux-Châtel à l’ouest et le Nid-du-Crô à l’est. Cet emplacement semblait d’autant plus assuré que de nombreuses inscriptions latines portant la mention de Noidenolex y avait été découverte selon un Mémoire sur le Comté de Neuchâtel rédigé par le Chancelier, Georges de Montmolin (1628-1703), une personnalité politique intègre et irréprochable de la Principauté. De plus, la toponymie même de Vieux-Châtel semblait en fournir un indice. Or, tous ces éléments de preuves épigraphiques furent inventés de toute pièce au milieu du XVIIIe siècle par le vrai auteur du Mémoire apocryphe, Abraham Pury. Il fallut cependant attendre le début du XXe siècle pour que la falsification puisse être définitivement établie, et que Neuchâtel perde ainsi les fondements de ses origines romaines.

La “New Archaeology” est orpheline

Je viens d’apprendre que Lewis Binford, le célèbre archéologue américain, est mort. Il est décédé lundi, mais ce n’est qu’aujourd’hui, au hasard de mes messages sur Twitter, que j’ai pris connaissance de sa disparition. Avec Lewis Binford disparaît l’un des archéologues les plus importants d’un point de vue théorique, et s’il ne fut pas, a proprement parlé, le fondateur de la « New Archaology », il a été l’un des plus efficaces propagateurs de cette nouvelle approche. Une de ses idées fortes est de penser qu’il doit exister une corrélation systémique entre les différentes sortes de vestiges qui se trouvent enfouie dans le sol et le lieu de leur découverte. Il fut aussi un des premiers a utiliser la puissance des ordinateurs et des statistiques dans l’usage de la profession. Enfin, il étendit ses observations archéologiques sur le terrain de l’ethnoarchéologie.
Lewis Binford (1931-2011)
Lewis Binford tel Hamlet

Ses travaux furent une source de réflexion dans ma propre pratique du métier. Il y a quelques années de cela, j’ai eu l’occasion de croiser la route de Lewis Binford, lorsqu’il est passé à Neuchâtel pour rendre visite à mes collègues travaillant sur les vestiges magdaléniens des sites de Champréveyres et de Monruz. C’est dans l’espace étroit du même véhicule que je me suis retrouvé en sa compagnie, avant de partager avec toute l’équipe de Denise Leesch le repas de midi dans un restaurant de la ville. Je n’ai malheureusement pas eu le temps d’échanger avec lui quelques « New Perspectives in Archaology », mais ce blog a pour vocation de les annoncer. Une manière pour moi de rester « In Pursuit of the Past ». Etre, ou ne pas être, telle est la question.

Coca-Cola terminus post quem

Un des principaux concepts de l’archéologie est celui de «fossile directeur» ou de «fossile indicateur». Il s’agit en général d’un objet facilement identifiable qui en fonction de sa forme et de son décor caractéristiques permet d’assurer une datation précise du contexte dans lequel il y été mis au jour. Il en est ainsi de certaines céramiques, comme les tessons à impressions de cordelettes de la Civilisation Cordée, des gobelets en forme de cloche du Campaniforme, ou des céramiques sigillées à travers l’Empire romain. En suivant ce concept, il est hors de doute que la bouteille de Coca-Cola sera pour les archéologues du futur l’un des marqueurs chronologiques des strates attribuables au 20ème siècle, en raison de sa large diffusion à travers le monde, n’en déplaise aux publicitaires travaillant pour la concurrence.
Coca-Cola Evolution
Évolution de la bouteille de Coca-Cola.

Depuis la création de cette boisson, la forme et le décor de la bouteille a subit une évolution perceptible. Les plus anciennes bouteilles, commercialisées dès 1894, étaient de forme cylindrique et obturée d’un simple bouchon de liège, comme les bouteilles de vin. La forme sinueuse que nous lui connaissons actuellement n’apparaîtra que plus tard, mais le premier prototype est rapidement abandonné car sa base trop étroite par rapport au diamètre maximum de sa panse la rendait instable sur les bandes de transports de la station d’embouteillage. D’une forme inspirée par la cabosse contenant les graines de cacao, c’est métamorphosée en suivant les courbes et le galbe d’une femme que nous la connaissons désormais. Il est donc assez naturel qu’un styliste comme Karl Lagerfeld, se soit vu confier, dès l’année dernière, la mission d’habiller à sa manière la bonne vieille bouteille de Coke. Cette année, sa seconde édition du Coca-Cola Light sur fond blanc, sortie le 8 avril, s’apparente à une collection déclinée en trois motifs soit à pois argentés, à rayures roses ou à étoiles noires. Ainsi, si chaque année connait une nouvelle série, la célèbre bouteille, deviendra pour nos collègues du futur, un terminus post quem aussi utile et précis qu’une pièce de monnaie.

La fabuleuse découverte de Brazul

Le dernier numéro de la revue AS d’Archéologie suisse nous apprend qu’au cœur de l’Amazonie, à la frontière entre le Venezuela et le Pérou, une expédition d’archéologues lausannois a découvert en 2008 les vestiges d’une civilisation précolombienne disparue. En 2009, une campagne de fouille, menée en accord avec le Departamento del patrimonio arqueológico du Venezuela, permis de mettre au jour une quantité incroyable de tessons de céramique d’une qualité et d’une facture tout à fait exceptionnelle dans les couches inférieures, alors que les niveaux supérieurs livraient une production mal cuite et plus sommaire. Des datations radiocarbones de l’ensemble des couches permettent de dater le niveau le plus ancien du 2ème siècle avant J.-C., alors que la dernière couche date du 7ème siècle après J.-C.

Expédition à Brazul
Les membres de l’expédition de 2008.

L’emplacement de cette découverte, dénommé « Brazul », selon un mot emprunté à la langue locale, devient ainsi le site éponyme d’une nouvelle grande culture précolombienne, la civilisation brazulienne. Pendant le Brazulien ancien (2ème siècle av. J-C – 5ème siècle apr. J.-C), on voit se développer une culture dans laquelle la poterie semble progressivement prendre la place prépondérante, tant et si bien qu’au Brazulien moyen (6ème apr. J.-C), la production et la consommation deviennent hors de proportion avec les ressources locales. La forêt alentours a été surexploitée, tant et plus qu’en son absence, au Brazulien récent (7ème siècle apr. J.-C.) la poterie connait un rapide déclin, tant en quantité, qu’en qualité, avant de disparaître complètement, dans des circonstances tragiques et sanglantes. Une exposition «Brazul» présente, jusqu’au 1er mai 2011 au Musée romain de Lausanne-Vidy , un film de l’expédition ainsi que de nombreuses pièces de céramique brazulienne, qui permettent de mesurer l’ampleur de cette fabuleuse découverte.