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Où sont-ils donc ?

Le 19 octobre 2017, un télescope d’Hawaï annonçait la découverte d’un objet céleste particulier. Lors de la dizaine de jours pendant lesquels l’objet fut visible depuis la Terre, un ensemble d’observations fut réalisé qui permit de conclure qu’il s’agissait bien du premier corps interstellaire découvert dans notre système solaire. En référence au lieu de sa découverte il fut baptisé ‘Oumuamua, qui dans la langue hawaïenne signifie « messager venu de loin et arrivé premier ». Entre comète ou astéroïde, la communauté astronomique a encore du mal à préciser sa nature. Venu sans conteste d’un système extrasolaire, sa forme étrange très allongée, sa couleur rougeâtre et sa trajectoire très particulière en font un objet à nul autre pareil, tant et si bien qu’une hypothèse alternative a aussi été proposée, celle d’un artéfact extraterrestre. C’est cette thèse qu’Avi Loeb, professeur d’astrophysique à l’université d’Harvard et membre de l’Académie américaine des arts et des sciences formule dans un livre publié dernièrement. Sous le titre : « Le premier signe d’une vie intelligente extraterrestre », l’auteur présente ‘Oumuamua comme une possible relique spatiale créée par une autre espèce intelligente à l’intérieur de notre galaxie. De cette découverte résulte selon lui le besoin d’une nouvelle branche de l’astronomie, que l’auteur propose d’appeler l’astro-archéologie, quoique ce terme controversé, écrit sans tiret, nous renvoi aux élucubrations pseudo-scientifiques liées à la théorie des anciens astronautes, du moins en français.

Vue d’artiste de ‘Oumuamua sous forme d’astéroïde (Image : Wikipedia)

Nous savons depuis la découverte en 1995 par Michel Mayor et Didier Queloz qu’il existe d’autres planètes en dehors de notre système solaire. Actuellement, pas moins de 4500 exoplanètes ont été mises au jour, et, fort de ce constat, il est maintenant assuré que rien que dans notre galaxie on peut assumer qu’il en existe au moins des centaines de milliards. Depuis le Big Bang, 13,8 milliards d’années se sont écoulées. Les astronomes, sont à leur manière aussi des archéologues. Plus loin leurs télescopes portent, plus anciennes sont les galaxies qu’ils observent. Ils peuvent ainsi remonter dans le temps et voir se former des étoiles et des galaxies avant même que notre système solaire ne se soit formé ou que la vie sur Terre n’ait débuté. L’astro-archéologie, telle que suggérée par Avi Loeb, aurait pour but de rechercher des débris technologiques extraterrestre, comme nous cherchons sur une plage un coquillage échoué venu du fin fond de la mer. Ceux-ci peuvent se trouver en orbite autour du soleil ou s’être déposé sur la Terre, la Lune ou d’autres planète. Pour les découvrir il faudrait mettre au point des instruments spécialement destinés à cette recherche. La vie sur Terre de même que notre propre existence rend plus que probable la présence dans ce vaste univers d’autres espèces techniquement intelligentes, même si, comme Enrico Fermi nous pouvons nous poser la question « Où sont-ils donc ? ». Il est donc possible que nous trouvions un jour les vestiges d’une civilisation extraterrestre disparue, avant même de pouvoir réellement entrer en contact direct avec une de ces civilisations actuellement existantes. Bien sûr, la communauté astronomique est loin de partager cette vision et refuse de voir en ‘Oumuamua autre chose qu’un objet naturel, tout au plus simple vestige archéologique du processus de formation d’un autre système planétaire. Mais qui sait ? Comme nous avertit Avi Loeb : «Si j’ai raison, c’est la plus grande découverte de l’histoire de l’humanité».

Les Aigles de Rome et les Barbares

J’ai profité de mon confinement entre Noël et Nouvel An pour me plonger dans une page sombre de l’histoire romaine, celle de la bataille de Teutoburg, qui vit l’anéantissement de trois légions, de six cohortes et de trois corps de cavalerie, au mois de septembre de l’an 9, comme Velleius Paterculus nous le rapporte dans son Histoire de Rome. Une bande dessinée (Les Aigles de Rome) et une série sur Netflix (Barbares), en ont fait leur sujet. Ce que j’ai trouvé remarquable, c’est que ces deux sources ont su tirer parti de toutes les informations historiques et archéologiques à disposition pour les intégrés dans la trame de leur scénario. Chacun de ces récits place naturellement Arminius, le chef de la coalition germanique, au centre de l’intrigue. Ce que l’on sait, c’est qu’Arminius était le fils de Segimer, chef de la tribu des Cherusques, qui fut élevé à la romaine, jusqu’à obtenir un rang d’officier dans les armées. Mise en ligne le 23 octobre 2020, la série de Netflix, nous le montre arraché à son père et à ses amis Folkwin et Thusnelda, pour en faire un quasi-fils adoptif de Publius Quinctilius Varus, légat consulaire commandant l’armée de Germanie, alors que, dans la BD, dessinée et scénarisée par Enrico Marini, un italien né et élevé en Suisse, l’éducation du jeune Germain Ermanamer est confiée par Auguste à Titus Valerius Falco, un centurion émérite, auprès duquel il reçoit le nom romain d’Arminius et devient l’ami de son fils Marcus. Les deux scénarios parviennent à tisser autour d’Arminius un faisceau d’amitié, de rivalité et d’amour entre les protagonistes. Il est à relever que dans les Barbares, les Romains parlent latin et en VO les Germains parlent allemand. Pour l’heure, les deux récits se terminent à l’issue de la bataille menée dans la forêt de Teutoburg. Mais une seconde série est déjà programmée sur Netflix, et un sixième tome des Aigles de Rome en préparation, pour nous offrir une suite.

Masque facial de cavalerie romaine (Photo : Museum und Park Kalkriese)

Dans l’environnement visuel de ces deux narrations, il est à relever qu’un soin tout particulier a été apporté aux accessoires et aux décors, ainsi qu’à l’équipement des combattants, basés sur des données archéologiques, comme le montre le masque d’apparat porté par Lépide dans les Aigles ou par Varus dans les Barbares. Ce masque résulte des recherches effectuées en vue de retrouver le site exact de la bataille de Teutoburg, car si de nombreuses sources antiques décrivent les circonstances dans lesquelles Varus a perdu la vie et les aigles des légions XVII, XVIII et XIX, ces textes manquent de précision quant à la localisation du désastre. En 1627, un pasteur et chroniqueur renomma une zone forestière, près de Detmold, en forêt de Teutoburg et à partir de là tout le monde était sûr que la bataille devait avoir eu lieu là ou dans les environs. Au cours des siècles, 700 théories différentes furent proposées, « mais aucune ne mène au champ de bataille », résumait en 1983 l’archéologue Wilhelm Winkelmann évoquant l’état des recherches. Cependant, à partir de 1987, le major Tony Clunn, membre de l’armée britannique sur le Rhin, à l’aide d’un détecteur de métaux, commence à faire de nombreuses découvertes de pièces et d’armes romaines dans la région de Kalkriese, soit à 70 km de l’ancien lieu présumé, où depuis 1875 se dresse une statue haute de 26m à la gloire d’Arminius. Depuis 1989, des fouilles archéologiques annuelles semblent confirmer la localisation de la fameuse bataille en mettant au jour des milliers de vestiges d’objets romains et d’éléments d’équipements militaires comme des épées, des poignards, des pointes de javelots, des balles de fronde, des flèches, des fragments d’armure, des casques, dont le magnifique masque facial, sans oublier tout l’équipement d’une armée en campagne : chaudrons, haches, clous, marteaux, amphores, etc. En 2000 un parc, puis en 2001 un musée archéologique conçu par les architectes suisses Anette Gigon et Mike Guyer, mettent en valeur le lieu et ces trouvailles archéologiques. Cependant, aujourd’hui encore, de nombreux historiens et archéologues doutent que Kalkriese soit le lieu exact du désastre de Varus.

La fin de la République romaine annoncée par une comète


Sciences naturelles et sciences historiques doivent se compléter pour rendre compte du passé. Ainsi en est-il, par exemple, lorsque la dendrochronologie permet de dater une construction à l’année près, permettant ainsi de valider ou non les données historiques dont on pourrait disposer. Cette même technique, grâce à l’enregistrement des conditions climatiques propices ou non à la croissance d’un arbre qui se matérialise par la création d’un cerne annuel plus ou moins large, permet de connaître les périodes favorables ou non à leur croissance et d’inférer ainsi des conditions climatiques. L’une des périodes les plus défavorable selon le résultat des études dendrochronologiques s’est produite en l’an 43 avant J.-C et l’année suivante, qui fut une des périodes les plus froides de ces 2500 dernières années dans l’hémisphère nord. Par ailleurs, la science a établi que de grandes éruptions volcaniques peuvent induire des effets environnementaux importants par l’injection d’aérosols sulfatés dans la stratosphère, modifiant l’absorption et la réflexion du rayonnement solaire dans l’atmosphère, produisant un effet de refroidissement global du climat. On pensait que l’Etna qui fut en éruption en 44 av.J-C, peu de temps après l’assassinat de Jules César, avait pu engendrer un tel climat en voilant le soleil et en pourrissant les récoltes, comme Plutarque nous le rapporte. Une carotte glacière provenant du Groenland étudiée par des scientifiques du Desert Resarch Institute à Reno, aux Etats-Unis, et du Centre Oeschger de recherche sur le changement climatique à l’Université de Berne, a montré une fine couche de cendres volcaniques coïncidant avec cette période. Or, l’analyse effectuée a révélé que le volcan qui a modifié le climat à partir de l’an -43 se trouve à l’autre bout du monde, en Alaska. Il s’agit du volcan Okmok à 10000 km de Rome.

Denier d’Auguste à la comète

Historiquement, l’année 43 avant J.-C. et les suivantes furent marquées par la guerre civile qui opposa les assassins de Jules César à ses héritiers. Les auteurs de l’étude parue dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) sont convaincus que l’explosion volcanique en Alaska et les changements climatiques abrupts qu’elle a entraînés ont été des facteurs parmi d’autres qui ont conduit à la chute de la République romaine. Mais comme souvent, les médias dans leurs effets d’annonce ne veulent retenir que le côté sensationnel de l’information. Ainsi, ai-je été surpris par des titres comme : «Comment un volcan en Alaska a fait chuter Rome », ou : « Un volcan a eu raison de la République romaine » ; ou encore : « L’éruption d’un volcan en Alaska a contribué à la chute de la République romaine ». La préférence allant aux affirmations plutôt qu’aux suppositions. Si d’un point de vue historique il est intéressant de reconstituer par l’analyse scientifique les conditions climatiques ayant accompagné des événements historiques, il est présomptueux d’imaginer que dans ce cas elles ont pu avoir une part prépondérante dans la fin de la République romaine. Car dans les textes antiques, ces conditions climatiques exceptionnelles ne semblent avoir eu que peu de poids dans les motivations des protagonistes à en découdre, ni à renforcer ou affaiblir l’une des parties en conflit. En revanche, l’apparition d’une comète lors des jeux tenu en l’honneur des funérailles de Jules César en juillet 44 av. J.-C, aura pu contribuer au moins autant, si ce n’est plus, à entrainer la République romaine sur la voie de l’Empire, car cet astre fut interprété comme un signe de la divinité du dictateur et confirma Octave comme son légitime successeur.

Y en avait point comme lui

C’est en faisant les courses du week-end que j’ai appris que Gilbert Kaenel, ancien directeur du Musée cantonal d’archéologie et d’histoire de Lausanne, a subitement quitté ce monde. Il laisse derrière lui une communauté archéologique en deuil, entre autres celles des chercheurs qui après 2007, date des 150 ans de la découverte du site de La Tène, ont repris l’étude du site éponyme du Second Age du Fer. Du début de la pêche aux antiquités lacustres en 1857, jusqu’à la fin des fouilles en 1917, ce site a livré pas moins de 4500 objets aujourd’hui répartis dans une trentaine d’institutions de Suisse, d’Europe et des Etats-Unis. C’est sous sa direction, qu’un vaste projet de recherche du Fonds national suisse de la recherche scientifique a été mis en œuvre, et s’est concrétisé par la publication d’ouvrages réunis sous le titre : « La Tène, un site, un mythe », dont le 7ème tome, consacré à la collection du site conservée au musée d’Archéologie Nationale de Saint-Germain-en-Laye, en France, vient de paraitre.
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Avis mortuaire dans ArcInfo du 25.02.2020

Parmi les autres chercheurs pour qui la disparition de celui que l’on appelait aussi Auguste crée un vide, sont celles et ceux attachés à l’étude du site du Mormont. Sur ce site, daté de La Tène finale, soit vers 100 av. J.-C., près de deux cents fosses, refermant un abondant mobilier ont été fouillées entre 2006 et 2011. Deux volumes des Cahiers d’archéologie romande, sous la direction de Caroline Brunetti, viennent de même de sortir. Pour tous ces ouvrages, qui sont en souscription jusqu’au 31 mars, Gilbert Kaenel fut directement impliqué d’une manière ou d’une autre et eu le plaisir de les voir achevés. Mais au-delà du professeur, du scientifique ou de l’éditeur, il fut également « un observateur avisé, amusé, fasciné et attendri du langage et surtout de l’esprit vaudois », comme le décrivait l’exposition du Musée romain de Lausanne Vidy : « Y en a point comme nous. Un portrait des Vaudois aujourd’hui » que lui avait dédiée Séverine André et son copain Laurent Flütsch à l’occasion de sa retraite officielle en 2015. C’est cette image d’épicurien, de bon vivant, que tous ceux qui l’ont connu conserveront de lui.

Alix chez les Helvètes

Vient de sortir dans le domaine de la bande dessinée « Les Helvètes », 38ème tome des aventures d’Alix. C’est à un périple en territoire helvétique que nous convie le scénario de Mathieu Breda et les dessins de Marc Jailloux, d’après un synopsis original de Jacques Martin, créateur de la série, qu’il avait imaginé avant son décès en 2010. En plus de son jeune compagnon grec Enak, Alix sera accompagné par Audania, une jeune femme, fille du druide et chef éduen, Diviciacos, gardée jusque-là en otage dans la maison de César, et de Lucius , fils de Munatius Plancus, un des lieutenant de César lors de la Guerre des Gaules, et futur fondateur des villes de Lugdunum (Lyon) et d’Augusta Raurica (Augst). L’histoire se situe vers l’an 46 av. J-C, soit une douzaine d’année après que les Helvètes eurent brûler leurs 12 villes et leurs 400 villages. Quelque 370’000 Helvètes s’étaient mis en mouvement dans l’envie d’émigrer en Saintonge, avant d’être arrêté par Jules César à Genève, puis vaincu à la bataille de Bibracte. Les 110‘000 survivants furent renvoyés sur les terres qu’ils avaient abandonnées, pour ne pas laisser un territoire vide entre les Germains et la Province romaine de Narbonnaise. C’est ainsi un pays en pleine phase de reconstruction que vont découvrir Alix et ses compagnons.
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Couvertures des deux derniers Alix

Le début de l’ère romaine sur l’actuel Plateau suisse, doit commencer par l’établissement d’une colonie de vétérans, conduit par l’ancien centurion Volentus. La mission d’Alix est de servir d’émissaire auprès des tribus helvètes pour s’assurer de leur loyauté en sacrifiant, au nom de Rome, un trésor à leurs divinités, sur le site sacré de Divoglanna, un nom imaginé par les auteurs pour évoquer le site de La Tène. Il aura comme allié un certain Camilos, dont le nom suggère celui d’un ancêtre de l’influente famille des Camilli dans la future colonie d’Avenches. En plus, au fil des planches, différents aspects de la vie de l’époque sont représentés, comme celui des divers moyens de transports terrestres et fluviaux, des trophées et sacrifices animaux ou humains, des cérémonies romaines ou celtes, des constructions dans les villes et les oppidums. Parallèlement à cette sortie, Christophe Goumand, directeur du Festival international du film d’archéologie de Nyon, en collaboration avec les dessinateurs Marco Venanzi, Frédéric Toublanc et Exem, a conçu un album «L’Helvétie » dans la série des Voyages d’Alix. Sous la forme d’une vulgarisation scientifique, sont présentés, par le texte et l’image, un résumé de la préhistoire de la Suisse avant la conquête romaine, puis plus en détails, différents sites témoins de la présence romaine, comme Martigny, Lausanne, Avenches, Augst ou Windish, constituant un complément documentaire utile à l’aventure. Enfin, signalons qu’à l’occasion de la sortie de deux ouvrages, les Site et Musée romains d’Avenches exposent, jusqu’au 15 mars, une série de planches originales issues des deux volumes.

Pourquoi Rome s’est effondré ?

L’interconnexion des populations occidentales dans le monde globalisé d’aujourd’hui n’est pas sans rappeler celle qui a lié toutes les populations comprissent dans l’espace culturel que l’histoire a retenu comme étant l’Empire romain. Cet empire pu conserver pendant au moins deux siècles l’intégrité de ses frontières grâce à la supériorité logistique et technologique de ses légions bien retranchées derrière le limes. Mais si la puissance de Rome fut aussi grande, elle le doit aussi a une période particulièrement favorable appelée « optimum climatique romain », qui a permis de nourrir et de faire croitre sans difficulté sa population, jusqu’à atteindre 75 millions d’individus. Pour expliquer la fin de cet Empire, on évoque le plus souvent les invasions des peuples dit barbares (car ne parlant ni le grec ni le latin). En fait, loin d’être une cause, cette invasion ne semble avoir été qu’une conséquence de déséquilibres hors du contrôle des empereurs ou du Sénat et du peuple de Rome, suffisamment discrets pour qu’ils aient échappé jusqu’à peu à la réflexion des historiens.
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Destruction par Thomas Cole

Dans « Comment l’Empire romain s’est effondré », Kyle Harper, professeur d’histoire à l’Université d’Oklahoma démontre que plusieurs vagues de grandes pandémies conjuguées avec l’arrivée d’un changement climatique, le petit âge glaciaire de l’Antiquité tardive, furent des causes bien plus importantes que les grandes invasions. Etonnamment, c’est là où l’on pensait que l’Empire romain avait été le plus efficace, c’est-à-dire dans la construction de routes sur l’ensemble de son territoire, le développement des villes et leur réseau d’adduction d’eau et d’égouts qui serait la cause de son effondrement. Sans connaissances approfondies en médecine la promiscuité des populations à l’intérieur des villes ainsi que le réseau dense des échanges par voies terrestres et maritimes, favorisèrent la propagation d’au moins trois épidémies de pestes particulièrement mortelles. D’abord les pestes dites antonines en l’an 165 et de Cyprien en 251 voient la population de l’Empire stagner, avant de diminuer considérablement lorsque survint la peste bubonique de Justinien à partir de 541. La détérioration du climat, amenant une succession de mauvaises récoltes et des famines, la démographie ne put compenser les pertes dues aux épidémies. En l’espace de deux siècles, la population de la ville de Rome passa ainsi de près d’un million d’habitants à seulement 20’000. Ce qui est arrivé à Rome pourrait bien aussi nous arriver. Nous ne sommes pas définitivement à l’abri d’un effondrement dû au réchauffement climatique associé à de nouvelles maladies décimant les populations.

Médiation culturelle et culture inclusive

De nos jours on ne peut plus concevoir la gestion d’un musée sans y intégrer une équipe de médiation culturelle. Le temps est révolu où le visiteur était en stabulation libre dans des salles d’exposition muettes sous la surveillance d’un gardien bien souvent plus Cerbère que guide dans l’orientation de sa déambulation. Le rôle des médiateurs culturels est de prévoir un ensemble d’actions permettant au public d’entrer en relation avec les objets exposés en utilisant un langage accessible et compréhensible par tous, en évitant, autant que faire se peut, le jargon scientifique et universitaire. Dans l’idéal, le médiateur culturel accompagne le visiteur dans sa découverte des expositions permanentes ou temporaires, ou en rédigeant des guides ou des cartels détaillés devant permettre à tout un chacun d’entrer en relation avec les objets du patrimoine conservés qui présentent un intérêt historique, artistique, archéologique, esthétique, scientifique ou technique. Cette accessibilité pour toutes et tous au patrimoine est un enjeu d’autant plus difficile à mettre en œuvre lorsqu’il s’agit de faire le lien avec des publics qui pour diverses raisons dues à l’âge, au handicap ou à des problèmes plus généraux de compréhension du langage ont des besoins différents de la majorité des autres visiteurs.
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Couverture du guide « Le Laténium en langue facile »

C’est pour répondre à cette mission, que le département de médiation culturelle du Laténium à Hauterive, près de Neuchâtel, a décidé d’intégrer dans ses objectifs le vaste projet de la « Culture inclusive ». Le but de ce projet vise à ce que les offres culturelles soient accessibles à tous les membres de la société, y compris les personnes en situation de handicap. Il ne s’agit pas seulement de permettre un accès aux salles aux personnes en fauteuil roulant ou à mobilité réduite, mais également à celles avec des déficientes visuelles et auditives ou avec des problèmes cognitifs, ainsi qu’aux jeunes enfants. A partir d’avril 2016, après la mise en œuvre de projets pilotes dans le canton de Berne, a été introduit en Suisse alémanique un label « Culture inclusive ». Décerné par Pro Infirmis, ce label est une reconnaissance pour les institutions qui font un effort particulier envers les visiteurs en situation de handicap.  Comme première mesure concrète pour répondre à ce label, le Laténium, en collaboration avec Forum Handicap Neuchâtel, vient de publier un guide : « Le Laténium en langue facile. Du Moyen Âge aux premiers hommes ». Cet ouvrage veut aider toutes les personnes rencontrant des difficultés à lire et à comprendre de parcourir avec plus de facilité les salles de l’exposition permanente grâce à l’usage d’un vocabulaire simplifié. Comme le disait Leonard de Vinci « la simplicité est la sophistication suprême ». Pour assurer cette simplicité des personnes en situation de déficience cognitive ont directement collaborés à la mise en forme finale. Un vernissage de ce guide est prévu le dimanche 4 mars prochain, au parc et musée d’archéologie de Neuchâtel. Avec cette démarche, le Laténium, devient le premier musée de Suisse romande labellisé « Culture inclusive ». Ce guide constitue une première étape en vue d’inclure davantage dans l’avenir le public à besoins spécifiques dans les activités de médiation culturelle du musée.

Le retour des momies

L’intérêt pour les momies ne se dément pas, comme ce blog s’en est fait récemment l’écho en parlant des expositions de Bâle et de Delémont à leur sujet. Une vague médiatique suscitée par la découverte le 13 juillet des corps momifiés d’un couple valaisan disparu en 1942 sur le glacier de Tsanfleuron entre les cantons du Valais et de Berne est là pour le démontrer. La semaine dernière, dans le massif français du Mont-Blanc ce sont une main et une jambe, conservées par la glace qui ont été mise au jour  et qui pourraient appartenir à des passagers victimes d’un accident d’avion de la compagnie Air India en 1966. Ces vestiges du siècle dernier viennent à propos pour nous rappeler que la montagne est susceptible de délivrer des documents bien plus anciens, aidée en cela par le réchauffement climatique. Les neiges dites éternelles de nos sommets ne le seront bientôt plus. Les climatologues prévoient que d’ici 20 ans les glaciers auront perdu 30% de leur substance et que d’ici la fin du siècle ils auront tous fondu.
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Jambière en cuir néolithique à l’emplacement de sa découverte sur le Schnidejoch. Cliché de 2007. © Service archéologique du canton de Berne, Urs Messerli.

La fonte des glaciers concerne tout particulièrement les archéologues qui depuis la découverte d’Ötzi en 1991 ont pris progressivement conscience de l’urgence de procéder à des recherches en haute altitude. Durant l’été caniculaire de 2003, alerté par une randonneuse, le Service archéologique du canton de Berne a découvert, sur le col du Schnidejoch entre Sion et Thoune, un carquois à flèches en écorce de bouleau.  Poursuivant leurs recherches les années suivantes, les archéologues bernois ont mis au jour des centaines d’autres objets, dont une jambière en cuir (voir photo ci-dessus) perdue par un hypothétique Schnidi ayant vécu au Néolithique vers 3000 avant J.-C. Le bilan de ces travaux a été publié en 2015 dans un ouvrage en deux tomes. D’octobre 2013 à fin 2016, le projet kAltes Eis, initié par l’archéologue Leandra Naef, a fait l’inventaire à l’aide des méthodes GIS de tous les sites potentiels dans le canton des Grisons, ce qui a amené la découverte de nombreux restes, comme celui de la momie d’un jeune chamois. En conclusion de toutes ces recherches, il s’avère que si les vestiges du passé ne sont pas découverts et mis en sureté très rapidement après avoir été libérés de leur gangue de glace, ils pourraient se perdre ou être abîmés à jamais, surtout les objets en matériaux organiques comme le bois, le cuir et les fibres animales ou végétales, de même que les momies humaines ou animales. Un rappel est donc adressé à tous les alpinistes et randonneurs des Alpes à prendre la peine de signaler toutes découvertes de cette nature aux autorités et spécialistes concernés.

Les Palafittes suisses ont un nouveau guide

En fin d’après-midi du jeudi 11 mai, le Laténium a été le cadre d’une cérémonie officielle, celle de la présentation d’un nouveau Guide d’art et d’histoire de la Suisse, édité par la Société d’histoire de l’art en Suisse (SHAS) et le Swiss Coordination Group UNESCO Palafittes, intitulé : Les Palafittes suisses. Depuis qu’en 2011 les « Sites palafittiques préhistoriques autour des Alpes » ont été inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO, il manquait une information claire et facilement accessible pour le grand public sur ces sites classés. C’est maintenant chose faite avec cette publication en quatre langues, français, allemand, italien et anglais. Comme le décrit son quatrième de couverture, « ce guide donne un aperçu de la découverte et des recherche entreprises sur les palafittes, de la fin du XIXe siècle à aujourd’hui. Les sites suisses et leurs vestiges y sont présentés par le biais de vingt itinéraires de promenades et musées, à travers trois régions du Plateau ». Une version électronique avec liens interactifs est également disponible au même prix que l’édition papier. Pour juger de l’importance des sites helvétiques dans le contexte des Palafittes, il faut savoir que sur les 111 sites qui font partie de l’objet sériel classé au patrimoine mondial, 56 se trouvent en Suisse et les 55 autres sont répartis entre la France, l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche et la Slovénie.
GuidePalafittes
Les artisans du guide « Les Palafittes suisses »

D’un certain point de vue, ce guide, par rapport aux autres ouvrages de la série, représente une gageure : celle de décrire des vestiges que l’on ne peut pas voir, sinon par l’imagination ou en plongeant le regard sous les ondes de nos lacs, ce qui n’est pas à la portée du plus grand nombre. C’est certainement pour palier à ce manque de visibilité que le réalisateur Philippe Nicolet et son entreprise NVP3D, sous les conseils avisés de Pierre Corboud, co-auteur du guide, développe le projet d’un documentaire en 3D sur l’archéologie des villages littoraux de la Suisse occidentale. Un teaser de ce film a été présenté en avant-première au Laténium à la fin de la cérémonie de présentation du guide et peut être visionné à partir du site Internet de NVP3D. Cela devrait contenter un autre public acquis aux nouvelles technologies qui dès 2011 avait déjà pu se faire une idée du potentiel archéologique lacustre à l’aide d’une application dédiée «Palafittes Guide », téléchargeable sur Apple Store et Google Play. Mais pour les amateurs et les spécialistes qui voudraient en savoir encore plus et entrer dans le détail de chaque gisement, le site de l’association Palafittes permet grâce à sa base de données d’obtenir des renseignements sur 410 autres sites associés en Suisse, en plus des 56 sites classés.

Errare humanum est

En faisant mes achats ce dernier samedi à la Coop, je me suis vu remettre une série de pochettes contenant chacune cinq vignettes à coller dans un album au titre accrocheur : « Voyage dans le monde du savoir ». Comme je suis toujours curieux, même à mon âge, je n’ai pas hésité à acheter pour 3fr.50 l’album de 64 pages pour coller les images offertes et entrer, moi aussi, dans « le monde du savoir » en compagnie de Felix. Je commence tout naturellement à explorer le domaine qui m’est le plus familier : l’histoire. En parcourant les textes, je découvre avec surprise que Néfertiti est devenue un pharaon d’Egypte (elle n’était que l’épouse du pharaon Akhenaton), que Rome était une colonie (de quelle nation ?) avant de se transformer en une gigantesque puissance mondiale, que César s’est déclaré le souverain unique de Rome (alors qu’il n’a jamais pris ce titre) , que l’Empire romain a connu sous Auguste une période de paix qui dura 40 ans (c’est oublier toutes les campagnes militaires sous son règne), que les amazones étaient des gladiatrices célèbres chez les Romains (je pensais qu’elles allaient se faire voir chez les Grecs), que les premières incursions de pirates remontent au 14ème siècle en Egypte (avant ou après J.-C ?), que la ville de Coire est la plus ancienne ville de Suisse (sur quel fondement ?), que la grande mosquée de Djenné (classée dans les édifices remarquables) se trouve au Soudan (pas au Mali ?), et je m’arrête là pour ne pas lasser les lecteurs. Première conclusion après ce rapide survol : ce n’est pas parce qu’une chose est écrite qu’elle est forcément juste, d’autant moins si on lit attentivement le texte pour y dénicher toutes les fautes de syntaxe et d’orthographe, dues sans doute à une traduction fautive et une mauvaise relecture.
CoopMondeDuSavoir
Image de la page d’accueil Internet du « Monde du savoir »

Mais en plus, il y a des images pour accompagner le texte. Comme le dit l’auteure de cet ouvrage, Christina Braun, dans un entretien publié dans le journal Coopération, elle s’est attachée à établir une association idéale entre les textes et les images. J’ai ainsi commencé à coller les images reçues avec mes achats du week-end pour constater que le choix des illustrations n’est pas des plus sélectif. Rien que sur les deux pages consacrées à la Rome antique, une pièce en or du roi Fréderic VIII du Danemark côtoie deux pièces en or présentant des profils d’épouses impériales romaines (est-ce pour nous signaler que les Danois utilisent aussi des lettres latines ?), que la vignette 100, liée au texte « Qui était César ?» présente une statue de l’empereur Auguste, et que celle en relation avec le texte « Qui était le premier empereur ? », où l’image d’Auguste aurait été vraiment à sa place, on découvre une statue de l’empereur Nerva.  De plus ces deux statues ne sont pas des vestiges de l’Antiquité car elles font partie de l’ensemble de statues d’empereurs romains illustres mises en place à Rome en 1932 le long de la Via dei Fori Imperiali par le régime fasciste de Benito Mussolini. Plus loin, dans la partie « les héros et leur époque », l’ouvrage pose la question « Qu’est-ce qu’un murmillo ?» (traduction en français: mirmillon) ; je n’ai pas encore la vignette 113 qui doit l’illustrer, mais l’image du casque posé au-dessus du cadre de la question est manifestement celui d’un hoplite grec stylisé et pas du tout celui d’un gladiateur romain.  Seconde conclusion, à défaut de plonger dans un réel « monde du savoir » comme nous le laisse entendre la publicité faite autour de cette action de la Coop, les enfants, ainsi que leurs parents, pourront au moins découvrir une chose s’ils y prêtent attention, c’est que l’erreur est humaine.