Category Archives: Antiquité

A la découverte de la hyalologie

Le verre est de nos jours un matériau omniprésent. Il se présente sous différentes formes qu’il serait fastidieux et inutile d’énumérer ici. Mais autrefois il en allait différemment, comme les archéologues spécialistes du verre antique ou « hyalologues » nous le démontre.  Si aujourd’hui on assimile parfois ces objets à de la verroterie sans grande valeur, on ne peut pas penser la même chose des artéfacts en verre exhumés lors des fouilles archéologiques des sites pré et proto-historiques. La vitrification sous forme de glaçures sur les céramiques sont observées dès le Vème millénaire en Mésopotamie. Cette technique se développe par la suite en Egypte et au Proche-Orient dans des ateliers primaires producteurs de pâte de verre brut, car ce n’est que là que l’on trouve des sables vitrifiables avec du natron sans adjonction de chaux. De là, dès le Bronze moyen, des ateliers secondaires manufacturent en Europe le verre brut pour le façonner. Les premiers objets en verre apparaissent chez nous de manière importante au Bronze final, vers 1000 av. J-C., sous la forme de perles bleues, qui viennent concurrencer dans les parures des élites la transparence de l’ambre et l’éclat des métaux.  Ces perles proviennent pour une partie d’entre elles d’un atelier secondaire établi à Frattesina en Vénétie, comme le démontre l’analyse faite sur les perles en verre du site d’Hauterive-Champréveyres.
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Bracelets en verre de l’atelier Silicybine en vente au Laténium

Au début de la période de La Tène, au 5ème siècle avant J.-C., d’élégants bracelets en verre apparaissent, que seuls les Celtes produisent et qui commencent d’abord à faire le bonheur des nobles dames de l’époque, comme la princesse de Reinheim. Dans sa thèse de doctorat, soutenue en novembre 2017 et intitulée « L’artisanat du verre dans le monde celtique au second âge du Fer : approches archéométriques, technologiques et sociales », l’archéologue Joëlle Rolland en a fait une étude très complète, puisque, non contente d’avoir fait la recension de 8789 bracelets répartis dans toute l’Europe, qui permet d’en faire de véritables marqueurs chrono-typologiques et sociologiques, elle s’est attachée, dès 2009, à en retrouver le mode de fabrication, grâce à l’aide de l’atelier verrier Silicybine. Un produit qui pouvait sembler de prime abord techniquement simple à réaliser s’est révélé de fait bien plus laborieux à reproduire. Car si les artisans verriers d’aujourd’hui maîtrisent les techniques du verre soufflé, les Celtes ont fabriqués leurs bracelets d’une toute autre manière, soit par filage et étirement de la pâte de verre, comme cela se fait encore de nos jours au Népal ou au Niger. Pour reproduire ces objets un protocole d’archéologie expérimentale fut mis en place et après un apprentissage de plusieurs années, le verrier Joël Clesse de l’atelier Silicybine est actuellement en mesure de fabriquer des reproductions très fidèles, tant par la forme et le décor, d’environ 80% des bracelets en verre celtiques produits entre 475 et 80 av.J-C. La synthèse de ces expérimentations et de ces recherches, dont on peut se faire une idée dans un reportage produit par Libération, devrait se manifester lors de l’exposition temporaire “Bling-Bling” prévue dès le 5 avril 2019 au Musée et Parc d’Alésia.
Note : on connait en archéologie une grande variété de spécialistes comme anthropologue, archéozoologue, céramologue, lithicien, palynologue, carpologue, dendrochronologue, anthracologue, etc… Mais étrangement, il n’existe aucun nom savant pour les spécialistes du verre, d’où ma proposition lors de l’exposition « Archéo A16 » du terme « hyalologue », du grec hualos (verre), qui a donné en français les adjectifs « hyalin », qui a la transparence du verre et « hyaloïde », qui ressemble à du verre.

Une tuile porte-bonheur

Le doute n’est plus permis. Le sanctuaire d’Artémis Amarysia sur l’île d’Eubée se trouve bien à Amarynthos, là où Denis Knoepfler, professeur honoraire à l’Université de Neuchâtel et au Collège de France, l’avait supposé il y a de cela près de cinquante ans, c’est-à-dire dès le moment où sa passion pour les vieilles pierres et l’épigraphie l’on conduit en 1969 sur le parvis d’une petite église byzantine de cette localité. Il a remarqué immédiatement que cette chapelle était constituée en partie de fragments d’un monument antique qui devait se situer dans les environs. Compte tenu du nom de cette localité proche de la ville d’Érétrie, seul ce monument, qui n’avait pas encore été localisé, s’imposait à la sagacité de l’archéologue. Pourtant, à première vue, un problème de taille était encore à résoudre. Selon une description du géographe Strabon, le temple d’Artémis Amarysia devait se trouver à seulement sept stades de la cité antique.
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La tuile et son estampille

C’est là où la connaissance de la langue grecque s’est imposée, car comme ce blog le relatait il y a déjà dix ans, Denis Knoepfler a soupçonné que le copiste qui a retranscrit au Moyen-Age le texte de Strabon a commis une erreur. En effet,  en grec ancien, les chiffres sont indiqués par des lettres. Or la lettre zêta, qui marque le chiffre 7 et la lettre xi qui correspond à 60, sont souvent difficiles à distinguer l’une de l’autre. C’est à partir de cette géniale intuition que l’Ecole Suisse d’Archéologie en Grèce (ESAG) s’est lancée dès 2006 à la recherche du temple perdu. En 2015, les sondages entrepris sur place ont conduit à la mise au jour d’un portique d’époque hellénistique, permettant d’orienter les recherches dans la bonne direction. La campagne de fouilles de cette année, durant les mois d’août et de septembre, s’est enfin soldée par la découverte d’éléments confirmant de manière indubitable que le lieu exploré depuis dix ans était bien celui du sanctuaire recherché. Pour cela il a suffi d’une tuile, pas de celle qui porte la poisse, mais bien d’une belle tuile en terre cuite portant l’estampille Artemidos, l’indication certaine d’une attribution à Artémis.

L’archéologie en blog et en péplum

Il y a exactement dix ans aujourd’hui, je commençais ce blog. Le but de ce blog était de présenter ma vision de l’archéologie et de me faire l’écho des découvertes et des interrogations que l’archéologie peut susciter dans le grand public. Dans ma première note je me réjouissais de la fermeture du Mystery Park à Interlaken en m’étonnant des moyens publics et privés importants mis en œuvre pour sa création, malgré sa thématique plus que critiquable. Depuis, ce parc d’attractions a trouvé les moyens financiers de rouvrir ses portes une partie de l’année sous une nouvelle appellation « Jungfrau Park » cherchant à attirer par des dispositifs ludiques les enfants jusqu’à l’âge de 10 ans. Mais les animations d’origine, relevant de la para-archéologie basée sur les écrits d’Erich von Däniken et regroupées dans l’espace « Mystery World », demeurent accessibles pour les enfants et leurs parents, et tant pis si le contenu reste le même et toujours aussi peu scientifique. Cependant, j’ai pu mesurer, grâce aux statistiques de consultation de mon blog et aux mots clés utilisés pour aboutir sur mes notes, qu’un intérêt pour les civilisations disparues est bien présent, même si ce ne sont pas toujours les informations les plus pertinentes qui semblent être recherchées. Selon les données de l’Office fédéral de la statistique (OFS), de tous les domaines de la culture, les contenus et les services audiovisuels sont très nettement les plus prisés et c’est le plus souvent sous forme de documentaires, de films et de téléfilms, vus à la télévision, au cinéma ou en DVDs que le public peut se faire une image du passé.
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Scène de tournage du Cléopâtre de Mankiewicz

Ayant assisté jeudi dernier à une conférence de Claude Aubert, ancien professeur de latin, réalisateur et éditeur de la revue “12e heure” consacrée au péplum, j’ai pu constater, en raison de la forte affluence du public, la vaste portée de ce thème et l’intérêt qu’il peut susciter. Ce que nous autres archéologues et historiens essayons de transmettre plus ou moins bien à l’aide nos écrits, le cinéaste essaye lui aussi, plus ou moins bien à travers ses images, de décrire le passé. Sa tâche se révèle bien souvent difficile, car voyager dans le temps a un prix. Comme l’a écrit Michel Eloy, spécialiste des films péplum et de l’antiquité, en parlant des décors du Forum romain dans Cléopâtre « il doit tenir compte des nécessités de la production qu’il s’apprête à mettre en scène, du budget et des moyens matériels dont il dispose, de l’environnement du plateau (buildings, antennes TV, etc) et aussi – sans doute – de ce que s’attend à voir le public (arcs de triomphe, colonnes votives, temples de marbre), dans l’imaginaire duquel s’est imposée l’image des maquettes célèbres de P. Bigot (1911) et d’I. Gismondi (1937) : la Rome du IVe siècle de notre ère ». En ouverture de l’introduction à son ouvrage « L’Antiquité au cinéma. Vérités, légendes et manipulations » (2009), Hervé Dumont, historien du cinéma et ancien directeur de la cinémathèque suisse à Lausanne, citait Stanley Kubrick qui affirmait qu’« une des choses que le cinéma sait le mieux faire que tout autre art, c’est de mettre en scène des sujets historiques », c’est-à-dire représenter le passé. Pour notre plus grand plaisir de découverte, il a mis en ligne gratuitement une « Encyclopédie du film historique » qui répertorie plus de 15 000 films et téléfilms, avec illustrations et commentaires. Dans ce flot d’images, quelque 2200 films concernent l’Antiquité et peuvent être qualifiés de « péplum ». Le site Internet d’Herve Dumont représente le fruit de 40 ans de recherches. Ce blog, juste 10 ans de réflexions. Merci de me lire et de parcourir tous les liens que je vous donne au fil de mes notes.

La grande histoire d’Aventicum en 3D

Les Site et Musée romains d’Avenches auront été à l’honneur en ce mois de juillet qui se termine. D’une part ils ont été choisi comme « site du mois » par ArchaeConcept. D’autre part, dans le sillage des manifestations organisées l’année dernière lors du bimillénaire de la cité, un spectacle de sons et lumières désigné sous l’appellation « La Grande Histoire d’Aventicum » a été créé tout spécialement pour mettre en valeur la Capitale des Helvètes. L’idée du projet a germé dans l’esprit de Martial Meystre, directeur d’Avenches Tourisme, séduit par le documentaire de Philippe Nicolet « Aventicum D-Couverte. La capitale des Helvètes dévoile ses joyaux après 2000 ans », film en 3D sur la vie quotidienne dans la cité romaine. Le professionnel du tourisme a proposé au cinéaste de monter un spectacle biannuel sur cette base, en lui donnant carte blanche pour établir le scénario et en faire la réalisation. Le budget devisé à 950 000 francs ne peut que laisser songeur les archéologues qui chaque année peinent à obtenir ceux de leurs interventions. Au final, le premier volet de cette grande histoire, intitulé « L’esclave et le Hibou », se présente sous la forme d’un film d’une durée de 70 minutes projeté en plein air sur trois écrans géants, dont le principal en image 3D haute définition, nécessite comme il se doit actuellement au cinéma le port de lunettes spéciales.
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Le dispositif multi-écrans en place devant les gradins

L’action principale du film « L’Esclave et le Hibou » se situe en l’an 179 de notre ère, à la fin du règne de l’empereur-philosophe Marc-Aurèle et s’inspire d’un récit, l’Âne d’Or, composé par un de ses contemporains, Lucius Apuleius dit Apulée, dans la seconde moitié du IIe siècle. L’intrigue met en scène divers protagonistes, dont l’esclave Fotis, la magicienne Anna, le noble Quintus, le menuisier Lucius et le prêtre Caïus. Le teaser du film est suffisamment explicite pour prendre connaissance ou se rappeler des moments clés de l’histoire qui, in fine, offre une hypothèse à la découverte du buste en or massif de l’empereur Marc-Aurèle, le 19 avril 1939 dans une canalisation située sous le Sanctuaire du Cigognier, trésor archéologique le plus célèbre et emblématique d’Aventicum. L’ensemble du spectacle permet de découvrir en 3D, au fil du récit, quelques éléments majeurs des collections du musée romain, dont un mystérieux objet de bronze appelé dodécaèdre, et, dans la mise en scène en plein air, de porter un éclairage sur certains monuments antiques moins connus que les arènes ou la colonne du Cigognier, comme la porte de l’Est, la Tour de la Tornallaz – seule survivante des 73 tours qui renforçaient l’enceinte de la ville – ainsi que les thermes du Forum. De plus, sont intégrés dans le film, quelques vues aériennes de la ville antique reconstituée en images de synthèse par Neng Xu, et dans la bande son quelques belles pensées de Marc-Aurèle qui nous invitent à le relire.  Si tout va bien, rendez-vous nous est donné dans deux ans pour un nouvel épisode de « La Grande histoire d’Aventicum ».

Hors-jeu olympique à Lausanne

Sur le chantier des nouveaux bâtiments administratifs du Comité international olympique (CIO), les archéologues ont mis au jour les vestiges du port romain de Lousonna, dont l’emplacement exact était jusqu’alors inconnu, mais dont on ne pouvait que pressentir l’existence vue l’importance de la navigation pour le transport des marchandises à l’époque romaine. Ce n’est pas pour rien d’ailleurs que sur la Table de Peutinger, unique copie d’une carte romaine du IVe siècle, le lac Léman est nommé Lacus lausannensis. Vu l’emplacement choisi pour le futur siège du CIO sur les berges du lac, non loin à l’ouest des ruines connues de Lousonna et à deux pas du Musée romain de Vidy, on peut s’étonner que des investigations plus précoces n’aient pas été entreprises sur les 24’000 m2 de la surface prévue pour l’édification de ce bâtiment pour permettre aux archéologues de prendre le temps de dégager ces vestiges important pour l’histoire de la localité. De la céramique, plusieurs monnaies et des pilotis en bois et des enrochements de quai figurent parmi les objets découverts sur le site situé sur les berges de Vidy à Lausanne. Lieu de rupture de charge, le vicus gallo-romain de Lousonna profitait alors d’une situation stratégique privilégiée, à la fois portuaire et routière, propice au transfert de marchandises entre les bassins fluviaux du Rhône et du Rhin.
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Le nouveau siège du CIO prévu à Lausanne (Image : 3XM)

C’est la raison pour laquelle Denis de Techtermann, le président de la section vaudoise de l’association Patrimoine suisse, a exprimé des regrets concernant ce dossier. En effet on peut s’étonner que des dispositions n’aient pas été prévue par les maîtres d’œuvres pour préserver et mettre en valeur, autant que faire se peut, les traces du passé de Lausanne, dont l’existence et le nom dérive directement de ces installations portuaires. Alors qu’à Rome ou à Athènes, deux villes qui ont accueillis les Jeux Olympiques, et dont les infrastructures nécessaires comme le métro, ont permis la découverte de précieux témoins de l’Antiquité on a su intégré les éléments du passé dans les constructions, quitte à prendre du retard dans le planning des chantiers, il semble qu’à Lausanne aucune directive particulière n’aient été prise dans ce sens. Au contraire, sous prétexte de préservation des intérêts privés, ceux du CIO, il est hors de question pour les autorités de faire prendre à la construction, devisée à 160 millions de francs, le moindre retard, ni même de demander aux architectes danois du bureau 3XN de revoir leur projet pour y intégrer d’une manière ou d’une autre les éléments significatifs de ce patrimoine, comme a su si bien le faire, l’architecte Bernard Tschumi, lors de la construction du nouveau Musée de l’Acropole à Athènes. Selon Jan Ammundsen, l’un des architectes partenaires de 3XM, le nouveau siège du CIO a été conçu selon les trois éléments clés :  mouvement, flexibilité et durabilité. Manifestement, en restant sourd et immobile envers les critiques de Patrimoine suisse, en ne voulant pas modifier les bases du projet et en ne contribuant pas d’une manière ou d’une autre à la sauvegarde d’un patrimoine millénaire, le projet du CIO manque à l’évidence de ces trois éléments et doit être dénoncé hors-jeu.

De part et d’autre de la Grande Muraille

Au Laténium, parc et musée d’archéologie de Neuchâtel, à Hauterive, vient de s’ouvrir une nouvelle exposition temporaire consacrée à l’archéologie de la Mongolie. Intitulée « Derrière la Grande muraille » cette présentation s’articule autour de la confrontation entre 209 avant J.-C. et 220 après J.-C. de l’empire chinois dirigé par la dynastie Han, héritière de Qin Shi Huangdi, premier empereur de la Chine, et, les Xiongnu, peuple nomade des steppes de Mongolie, qui en parallèle fonde le premier empire nomade. Résultat de cinq années de préparation, le rapprochement de ces deux cultures donne à voir un grand nombre d’objets d’art issus de collections suisses et françaises. A l’art animalier propre au monde des steppes répond un art mobilier particulièrement riche et somptueux enfouis dans les tombes monumentales que Xiongnu et Han édifièrent sur leurs territoires respectifs. Focalisé sur la présentation en parallèle de ces deux cultures, le titre de l’exposition aurait tout aussi bien pu s’intituler « De part et d’autre de la Grande Muraille ».
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Maquette de la construction de la Grande Muraille

La Grande Muraille, dont la construction débute dès le 7e siècle avant J.-C. , soit bien avant le règne de Qin Shi Huangdi, et qui sera régulièrement entretenue et renforcées jusqu’au 17e siècle, devait empêcher l’infiltration des barbares venus de Mongolie dans l’empire chinois. Mais en regard de l’histoire, cette construction monumentale apparait plutôt comme un point de convergence entre ces deux cultures qu’un véritable obstacle. A preuve, les différentes Routes de la Soie, qui partant de ces deux empires traversent l’Asie Centrale, et qui permettaient aux uns et aux autres de relier les rivages de la Méditerranée distante de 8000 km. L’exposition du Laténium donne également l’occasion de présenter le résultat des trois campagnes de fouilles d’un habitat xiongnu, menées entre 2005 et 2007 à Boroo Gol en Mongolie, par une mission archéologique helvetico-mongole dirigée par Denis Ramseyer, conservateur adjoint du Laténium et commissaire de l’exposition, dont ce blog s’était fait l’écho en son temps.

Balades archéologiques en Romandie

La couverture du numéro 30 de l’Illustré, publié le 22 juillet, vu à la devanture d’un kiosque ne pouvait que m’interpeller. En gros titre sur une image de blocs erratiques de la forêt de Gals on peut lire : « La magie des balades préhistoriques romandes », en sous-titre « Grottes, sentiers, forêts, menhirs : voyage aux sources de notre civilisation » et encore en exergue dans une pastille rouge bien visible « 20 destinations étonnantes ». Je n’achète généralement pas cet hebdomadaire, mais exception à la règle, je ne pouvais pas résister à la tentation d’en savoir plus, d’autant plus que c’est l’Archeoweek sur Twitter. Je me demandais bien quels pouvaient être les vingt sites préhistoriques romands ayant pu retenir l’attention du magazine. En ouvrant la publication on découvre dans le sommaire que la préhistoire s’étend à l’époque romaine : « Des menhirs celtes aux ruines romaines, ce guide vous propose 20 balades en Romandie à travers le temps et l’espace». Cela se présente mal : des menhirs celtes ? Le coup du menhir du livreur Obélix a encore frappé de folie un éditorialiste. Mais trêve de raillerie, je me porte à la page 43 pour découvrir « Le guide balades » dont la page d’ouverture s’ouvre sur une image du menhir de Vauroux vu comme un «Mystérieux géant » auquel s’adresse une question «Quelle signification donner à ces pierres que dressaient les anciens ? ».
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Extrait de la couverture de L’Illustré

Ce n’est en tout cas pas dans ce guide que l’on en trouvera la réponse. Pour cela, il faudrait pouvoir visiter une exposition dans l’esprit de « Pierres de mémoire, pierres de pouvoir ». De plus ce ne sont pas 20 balades préhistoriques qui sont proposées, mais juste quinze, car les autres appartiennent déjà à l’histoire, comme le tour de ville d’Avenches, la voie antique du Pierre-Pertuis, ou les mosaïques des villas d’Orbe-Boscéaz et de Vallon. De même, les sites présentés ne se limitent pas à la Suisse romande, puisque l’on y trouve trois sites en territoire alémanique, dont une grotte dans le canton de Lucerne et la cité romaine d’Augst dans le canton de Bâle-Campagne, site qui a lui seul résume que l’annonce de la une de couverture de l’Illustré est tout à fait trompeuse. Mais je ne peux tout de même pas bouder mon plaisir de découvrir, au creux de l’été, une partie du tourisme archéologique helvétique mis en vedette dans une publication à très large diffusion. J’y ai retrouvé quelques sites que j’aurais  pu moi-même recommander si on m’avait demander d’en faire une sélection, comme le village lacustre de Gletterens, le Laténium à Hauterive, les menhirs de la baie de Clendy près d’Yverdon-les-Bains, le Préhisto-Parc de Réclère ou les fouilles du Banné à Porrentruy qui était du reste le site archéologique du mois de juin. En définitive, la meilleure partie de ce guide se trouve dans l’encarté « En savoir plus » puisqu’il propose aux lecteurs de se procurer les guides édités par Archéologie suisse, qui présentent chacun au moins une centaine de sites archéologiques à visiter.

Aventicum MMXV

Comme le rapporte l’Agence télégraphique suisse, « l’ancienne capitale de l’Helvétie romaine va festoyer durant quatre jours ce week-end, à l’occasion de l’anniversaire de son bimillénaire. Les autorités communales ont souhaité commémorer ce bimillénaire pour mettre en évidence le passé historique d’Avenches. Carillons de cloches, concerts, école de gladiateurs pour enfants, démonstrations, «show» sur les Jeux olympiques antiques, atelier de mosaïque, pas moins de 85 événements gratuits sont au programme. Plus de 250 personnes en costumes animeront un village médiéval placé entre le temple du cigognier et le théâtre romain. Des ateliers de frappe de monnaie, du tir à l’arc, du jonglage, des troubadours feront vivre cet espace, de samedi à lundi».  Signe de l’importance donnée à cette manifestation, Aventicum MMXV recevra vendredi le conseiller fédéral Alain Berset, ministre en charge de la culture, qui inaugurera  « la Promenade des 2000 ans » un circuit reliant les localités d’Avenches, Donatyre et Oleyres. Autre élément marquant en relation avec cet événement,  la réalisation du film «Aventicum, D-couverte» de Philippe Nicolet, que l’on a pu découvrir le lundi 18 mai dans «les docs» de la TSR et que l’on pourra voir en avant-première en 3D, le 27 mai 2015 à 20h, à la salle du théâtre du Château à Avenches. C’est ainsi sous le slogan «Avenches, fier de son passé, ville d’avenir» que l’année 2015 a été placée par la Municipalité.
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Sous l’ombre de la tour du Site et Musée romain d’Avenches (Photo : Wikimedia)

Si comme archéologue je peux me réjouir d’une telle célébration, car il n’est jamais inutile de rappeler le passé, je m’inquiète cependant de sa réelle motivation. D’une part, l’an 15 après J.-C n’est certainement pas la vraie date de la fondation de la ville. Les plus anciennes structures attestées reposent en effet sur des pieux datés par la dendrochronologie de l’an 5/6 après J.-C, et l’on peut raisonnablement penser que la première installation sur le site peut remonter aussi loin que le retour des Helvètes sur le territoire après leur migration stoppée à Bibracte par les légions de Jules César  en 58 avant notre ère. De ce fait, Avenches a déjà plus de 2000 ans. D’autre part, depuis l’ouverture de l’autoroute A1, Avenches s’est très rapidement développé et les chantiers se multiplient dans les zones à bâtir. Ainsi, en l’espace des six dernières années, la population de la localité est passée de 3000 à 4000 habitants, et on en prévoit déjà un millier de plus d’ici peu. Même si Avenches  est encore loin des 20’000 habitants que comptait la capitale des Helvètes à la fin du 1er siècle après J.-C, lorsqu’elle acquit le rang de colonie sous le nom de Colonia Pia Flavia Constans Emerita Helvetiorum Foederata, la localité connaît une croissance exponentielle qui ne peut que menacer à terme le patrimoine encore enfouis aux abords de la ville, d’autant plus si les moyens nécessaires aux fouilles et à l’extension du musée romain ne sont pas accordés aux archéologues. A noter, par exemple, que la conférence “Mourir à Aventicum” donnée par Daniel Castella, archéologue responsable de la recherche et des publications au Site et Musée romains d’Avenches, qui aura lieu samedi 23 mai, à 11h, ne figure pas dans le programme officiel d’Aventicum MMXV. Espérons donc que pour les autorités communales le riche passé romain d’Aventicum a encore un avenir à Avenches, même si pour l’occasion, elles ont préféré organiser une fête essentiellement médiévale.

Jouons à “Veni, Vidi, Ludique”

Le projet « Veni, Vidi, Ludique », soutenu par le Fonds national suisse, s’est concrétisé par trois expositions basées sur le thème des jeux et des jouets dans l’Antiquité. La première exposition qui s’est déroulée au Musée romain de Nyon, de mai à octobre 2014, avait pour thème les jeux et les jouets au cours de la vie. La seconde qui a lieu, au Musée Suisse du Jeu, présente jusqu’au 19 avril 2015, un panorama sur la réception de l’Antiquité dans la production contemporaine des jeux vidéo et de plateau. Enfin, la troisième exposition, qui vient de s’ouvrir au Musée romain de Vallon, s’intéresse à la typologie, aux règles et à la pratique des jeux de société dans l’Antiquité. Ce projet est le résultat des recherches que Véronique Dasen, commissaire de l’exposition et professeure d’archéologie classique à l’Université de Fribourg, en collaboration avec Ulrich Schädler, directeur du Musée et privat-docent dans la même Université, ont menées depuis des années sur divers aspect du sujet.
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Ensemble de dés et jetons (Photo : Musée romain de Lausanne-Vidy)

Au centre de la dernière des trois expositions, on découvre un ensemble d’objets: des pions, quatre billes, un osselet et des fragments d’un plateau de jeu en marbre, mis au jour lors des fouilles de la villa romaine de Vallon ainsi que deux dés et 40 jetons en os de la « cache du joueur » découverts à Lausanne-Vidy. Entre jeu de hasard, de stratégie et d’adresse, ou combinant l’un ou l’autre de ces aspects, les visiteurs sont invités, jusqu’au 14 février 2016, à s’initier au jeu des douze points, au jeu des cinq lignes, au jeu des petits soldats ou aux osselets, par l’intermédiaire de fac-similé des pièces antiques. Ils pourront ainsi mesurer le côté amusant de ces jeux venus du passé dont les règles ne nous sont pas toujours parvenues et que les spécialistes ont cherchés à reconstituer par l’analyse approfondie des sources littéraires, iconographique et archéologique. C’est en cela que le travail documentaire d’Ulrich Schädler se montre fondamental, puisqu’il a relevé de manière systématique les centaines de jeux qui sont gravés sur les seuils et dalles de pierre, des bâtiments, des rues ou des places de la ville d’Ephèse en Asie Mineure. Son étude révèle l’importance que les activités ludiques avaient dans la vie quotidienne dans l’Empire romain et dont les découvertes faites à Vallon et à Vidy sont l’illustration.

D’Agaune à Saint-Maurice

L’année 2015 s’annonce d’ores et déjà placée sous  par la commémoration du 1500e anniversaire de la fondation de l’Abbaye de Saint Maurice d’Agaune. Après une année 2014 déjà marquée par une série d’évènements comme l’exposition du trésor de l’abbaye au Musée du Louvre à Paris du 14 mars au 16 juin, la sortie au mois de septembre d’une application pour smartphone “Abbaye1500” servant d’audioguide de la Basilique et au chemin du pèlerinage, et  la messe de minuit du 24 décembre célébrée en Eurovision à la télévision par l’abbé de Saint-Maurice, Mgr. Roduit, c’est un ouvrage historique en deux volumes qui est à paraître en avril 2015. Cette publication constitue une synthèse des connaissances sur le plus ancien monastère d’Occident toujours en activité et représente le fruit de six ans de travail d’une équipe internationale de plus de trente chercheurs en histoire, en archéologie, en architecture et en histoire de l’art. Le premier volume sera consacré à l’histoire, l’archéologie et l’architecture de l’abbaye, le second à son remarquable trésor de reliques, qui sera présenté dans des locaux plus vastes et selon une nouvelle muséographie. Quant aux archives anciennes, elles ont été numérisées et sont consultables en ligne.
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Site archéologique de l’abbaye

Le dernier numéro de la revue AS-archéologie suisse (37-2014.4), consacre son dossier au monastère d’Agaune au premier millénaire. L’auteure, Alessandra Antonini, archéologue responsable des dernières fouilles, montre que les vestiges archéologiques témoignent d’une histoire plus ancienne que celle du pèlerinage, puisque dès la fin du 2e siècle apr. J.-C., une nécropole s’établit sur le futur site de l’Abbaye, à proximité d’une source consacrée aux Nymphes. Un oratoire accolé à un monument funéraire, sépulture d’un personnage important, marque l’emplacement le plus élevé et devait déjà servir de lieu de culte avant même la dépose à cet endroit, par l’évêque Théodule, aux alentours de 380, des reliques des martyrs de la légion thébaine. Selon la tradition, à la fin du troisième siècle, vers 290, une troupe fut appelée d’Egypte, pour appuyer l’empereur Maximien dans ses combats contre les barbares. Cette légion est dite thébaine, du nom de la ville de Thèbes (actuellement Louksor) en Haute-Egypte. Cette troupe campait près d’Agaune et Maximien voulut contraindre ces soldats chrétiens à agir contre leur conscience en sacrifiant aux dieux et en persécutant d’autres chrétiens. Saint Maurice et ses compagnons refusèrent d’agir contre leurs coreligionnaires et pour ce refus d’ordre, la troupe fut décimée comme le voulait la règle dans l’armée romaine. C’est le 22 septembre 515, sur le tombeau de Saint-Maurice et des martyrs que le roi burgonde Sigismond fonde le monastère d’Agaune qui aura pour effet de modifier le nom de la localité en Saint-Maurice.