Entre lac et montagne

J’étais en train de me préparer à allumer un feu, quand mon œil a été attiré par une date imprimée sur la feuille de journal que j’allais froisser : 3795 av. J-C., au printemps. C’est ainsi, très fortuitement, que j’ai découvert le feuilleton publié dans ArcInfo du mercredi 7 octobre au vendredi 20 novembre 2020, tiré du livre « Là où lac et montagne se parlent » écrit par Didier Burkhalter. En recherchant dans la pile des vieux journaux et dans les archives du journal sur Internet, je suis parvenu à lire les 33 épisodes de ce feuilleton découpant les 12 chapitres du roman publié en février 2018 par les éditions de l’Aire. Le récit se compose de deux parties. Les chapitres impairs racontent l’histoire d’une famille néolithique vivant il y a 5800 ans, tandis que les chapitres pairs concernent les membres d’une autre famille au cours du 20ème siècle et jusqu’en 2025. Pour qui connait le parcours de vie de l’ancien conseiller fédéral, on réalise que cette seconde partie dresse entre les lignes et très directement, le portrait des membres de sa famille et de sa belle-famille, ainsi qu’elle nous confie certaines réflexions sur le monde actuel ou en devenir, à travers le point de vue d’un ancien président de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. La première partie, celle qui m’a interpellé, décrit les visions d’une jeune femme aveugle, Aga, qui voit à travers les siècles et au-delà des générations. Son clan se compose de son compagnon, Orao, de ses enfants, Ama, Amo et Oragar, et de sa petite fille, Amega, parmi les premiers habitants d’un village palafittique situé au bord d’un lac.

Réflexions entre lac et montagne

Le cadre de vie de ce clan est explicitement décrit par Didier Burkhalter dans son premier chapitre comme celui du site « d’Hauterive-Champréveyres, sur la rive nord du lac de Neuchâtel aux mille nuances ». L’auteur nous montre dans cette partie du récit ce qu’il a pu retenir de ses fréquentes visites au parc et musée d’archéologie du canton de Neuchâtel, connu sous le nom du Laténium, situé près de son domicile. Pour commencer, l’intervalle de dates évoqué dans ses six chapitres préhistoriques, de 3815 av. J.-C. à 3775 av. J.-C., correspond précisément aux dates de constructions et d’occupation du village néolithique relevées par la dendrochronologie. Au cours du récit, on apprend à connaître Oragar, le premier pêcheur, qui « ne quitte son village que pour voguer sur le lac avec la pirogue qu’il a construite de ses mains et qu’il entrepose fièrement sous la plus grande maison, entre les pilotis ». On reconnait dans ce passage la grande maison reconstituée du Bronze final édifiée dans le parc du musée, sous laquelle se trouve bien abritée une pirogue monoxyle reconstruite. Cette embarcation va servir de trait d’union avec la période contemporaine, puisqu’à la suite d’une tempête, cet esquif sera perdu, avant qu’un autre pêcheur, Justin, aperçoive de manière insistante « les restes d’une sorte de pirogue que l’eau envahissante voudrait disputer au temps ». Par la suite, dans l’histoire du loup recueilli par Ama et apprivoisé par Amo, on peut y voir, en plus de son nom, un clin d’œil à la découverte de la canine de Champréveyres, vieille de 15’000 ans, qui atteste de la domestication déjà ancienne du chien à cette époque. De même, lorsque Amo « ramène au village des pointes de flèches taillées dans du cristal de roche venant des Alpes » il y a un rapport direct avec la découverte en 1999, d’une pointe de flèche en cristal de roche, faite lors du chantier du Fun’ambule, alors que Didier Burkhalter était Conseiller communal de Neuchâtel et maître d’œuvre du projet en tant que directeur des travaux public de la ville. Cette pointe de flèche est maintenant exposée au début de la visite des salles du Laténium. Là où lac et montagne se parlent de Didier Burkhalter évoque donc en filigrane l’exposition permanente du musée et son parc situé « Entre Méditerranée et Mer du Nord ». Mais il veut surtout nous démontrer la permanence du regard et des visions que des générations humaines séparées par le temps, mais non par l’espace, peuvent ressentir en voyant les montagnes se refléter dans les ondes bleues ou vertes de notre lac.


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