Monthly Archives: October 2018

Immersion lacustre avec « emersion »

Après l’annonce et la remise des certificats d’inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 2011, puis la présentation d’un guide des Palafittes suisses en 2017, le Parc et Musée cantonal d’archéologie de Neuchâtel, connu sous le nom du Laténium, à Hauterive NE, s’illustre à nouveau dans le cadre d’un événement directement en relation avec la mise en valeur des « Sites palafittiques préhistoriques autour des Alpes ». Inaugurée mardi dernier, une fresque photovoltaïque de 18m de long, permet d’avoir un bon aperçu de l’état de conservation de l’un des cinq sites palafittiques neuchâtelois inscrit au Patrimoine mondial. A la façon d’un plongeur, mais sans difficulté, on peut visualiser un panorama embrassant environ 180 m2 de la station lacustre de « Bevaix / l’Abbaye 2 » qui dans son ensemble couvre une surface d’un peu plus d’un hectare. Le site se situe à 50m du rivage par deux mètres de fond. Les centaines d’objets qui y ont été récoltés témoignent d’un point de vue typologique de toutes les phases du Bronze final. De fait, les datations dendrochronologiques des 11 pieux datés, s’étalent entre 1057 et 880 avant J.-C. Pourvu de cette installation le Laténium mérite d’autant mieux son rôle de Centre d’interprétation des palafittes du pourtour alpin et la Médaille de la médiation archéologique que lui a décerné, il y a quelques semaines, l’Union internationale des sciences préhistoriques et protohistoriques (UISPP).
emersion
Comme un air d’aquarium

L’idée de cette fresque trouve son origine dans l’esprit de l’ingénieur et aérostier Fabien Droz. Par ses contacts établis avec Laure-Emmanuelle Perret, responsable des technologies au sein de la division photovoltaïque du CSEM, et avec Fabien Langenegger, archéologue à l’Office du patrimoine et de l’archéologie (OPAN), est né un projet baptisé « emersion » conçu en partenariat entre l’association Compáz et le Laténium, pour réaliser une valorisation des palafittes de manière originale et novatrice. Le panorama subaquatique photographié par Fabien Langenegger dans les eaux froides mais moins turbides du mois d’avril, est constitué par l’assemblage d’une mosaïque d’une centaine de clichés pris avec un rail de traveling tous les 30 cm sur une vingtaine de mètres. Le visiteur peu ainsi découvrir à l’échelle 1:1 ce qu’il pourrait voir sous l’eau s’il avait le droit et les capacités de plonger à cet endroit, ce qui n’est pas accordé à tout le monde. Car pour des raisons évidentes de protection le site lui-même est interdit à la plongée. Cette interdiction n’a cependant pas empêché des personnes mal intentionnées de se rendre sur les lieux, et, sans se faire remarquer, de démonter et dérober les rails laissés sur place. Pour l’anecdote, c’est le premier vol sous l’eau enregistré par la police neuchâteloise. Les éléments de cette fresque sont installés contre les parois méridionales de l’ancien bassin piscicole dont le plan d’eau, situé à 432 m au-dessus de la mer, restitue l’altitude du lac de Neuchâtel avant les travaux de la Correction des eaux du Jura qui conduisirent à une baisse de 2m70 de son niveau vers 1880. Face à cette réalisation, on constate qu’elle n’est pas seulement esthétiquement très réussie, mais qu’elle est également très utile. Les 19 panneaux solaires qui la constitue fournissent l’électricité nécessaire pour alimenter en énergie l’ensemble des salles consacrées à la Préhistoire, soit l’équivalent d’un tiers des besoins en éclairage du musée. Cette œuvre d’art technologique devrait pouvoir se conserver dans cet état au moins une quinzaine d’année et contribuer à la durabilité de la construction du Laténium déjà distinguée par le label Minergie.

Tomb Raider à Prêles

Cette histoire commence pour moi à fin août par la lecture d’un petit article du Migros Magazine, intitulé « La fille d’Indiana Jones » célébrant la passion d’une jeune fille de 13 ans pour la détection dite de loisir. J’ai d’abord été surpris et presque choqué de voir en une du journal une publicité aussi évidente faite à une activité généralement réprouvée par les membres de ma profession. Mais ensuite je fus rassuré en poursuivant ma lecture de savoir que « les objets présentant un intérêt historique sont systématiquement confiés aux bons soins des services d’archéologie cantonaux ». De même, j’apprenais dans cet article qu’une découverte importante avait été faite par son beau-père, mais que c’était pour l’heure « encore un secret, qui ne sera dévoilé qu’à la sortie d’une publication scientifique consacrée à sa trouvaille ! ». Un secret pourtant bien visible comme je le constatais en visionnant la vidéo de présentation de la découverte sur la chaîne YouTube de la sympathique émule de Lara Croft.
Le 18 septembre, un communiqué de presse du canton de Berne annonçait qu’en octobre 2017, une main en bronze parée d’un bracelet en or avait été découverte par deux particuliers aux abords du village de Prêles, de même qu’une lame de poignard en bronze et une côte humaine, le tout daté entre 1500 et 1400 av. J.-C. Tous ces objets furent remis dès le lendemain au service archéologique du canton de Berne, mais pour des raisons qui le regardent, ce service ne procéda à des fouilles complémentaires qu’en juin 2018, amenant à la découverte sur les lieux d’un doigt manquant à la main, d’une épingle, d’une spirale en bronze et de plaques d’or détachées du bracelet enserrant le poignet de la main, le tout associé à la tombe d’un homme adulte. Cependant les archéologues constatèrent également qu’entretemps des fouilles clandestines avaient été opérées, laissant supposer que d’autres objets se trouvaient dans cette tombe, d’où l’ouverture d’une procédure pénale par la justice du canton de Berne.
MainNMB
La main de Prêle exposée au NMB

La découverte d’un objet archéologique faite en dehors d’une zone archéologique ne peut être que fortuite et assez rare puisque rien n’indique au préalable sa présence. Du reste, la grande majorité des objets mis au jour par les détectoristes relèvent de ce qu’eux-mêmes qualifient de « merdouilles », soit des objets n’ayant aucun intérêt sinon celui de polluer le sol.  En enlevant tous les déchets métalliques des terrains qu’ils prospectent les détectoristes font ainsi œuvre de dépollueurs et évitent un danger potentiel pour l’environnement et les animaux. Quant aux rares antiquités ainsi découvertes, elles doivent être annoncées auprès de l’autorité compétente, comme le signale la plupart des législations cantonales qui se réfèrent à l’article 724 du Code civil suisse. C’est ce que les découvreurs de la main de Prêles ont bien fait.  De ce fait, pratiquer la détection de loisir en dehors des zones archéologiques dûment répertoriées et protégées ne peut pas être considéré, de prime abord, comme une activité illégale, puisqu’après le refus de la motion Rossini au Conseil National, il n’existe pas de disposition fédérale à l’encontre de l’usage des détecteurs à métaux. Il revient donc aux cantons de prendre les mesures appropriées pour réglementer l’usage de ces appareils. Il se trouve que le canton de Berne est de ceux qui veulent encadrer leur usage selon les principes directeurs définis par la Conférence suisse des archéologues cantonaux (CSAC). Comment pourrait-on idéalement encadrer les activités des détectoristes ? Peut-être qu’une autre activité réglementée par l’état comme la chasse ou la pêche pourrait servir d’inspiration. Pour pouvoir prospecter, les détectoristes devraient être en possession d’un permis annuel payant de détection et se conformer aux directives du service archéologique cantonal. Chaque zone que le prospecteur aimerait sonder devrait être annoncée au préalable au propriétaire du bien fond ainsi qu’à l’autorité de surveillance, indépendamment de sa qualité de zone archéologique. Cela permettrait, en cas de découvertes ultérieures, de savoir quels sont les individus ayant prospecté dans la zone. Les gardes-faunes, gardes forestiers, policiers et gendarmes en présence d’un détectoriste pourraient ainsi procéder à des contrôles sur le terrain et vérifier que chaque personne en possession d’une autorisation s’acquitte bien de ce devoir de renseignement en remplissant scrupuleusement un carnet de découvertes. Les données de ce carnet pourraient du reste être exploitées pour compléter les cartes archéologiques. Pour s’assurer d’une bonne compréhension des enjeux patrimoniaux d’une telle procédure, les détectoristes seraient également appelés à suivre au préalable un cours de sensibilisation organisé par les services cantonaux ou des associations en charge du patrimoine. On devrait même envisager une participation obligatoire, au moins une fois par année, à une campagne de prospections organisée par le service cantonal ou par une organisation comme le Groupe de travail prospection suisse (GTP). Cela permettrait d’associer les détectoristes à la connaissance du patrimoine aux recherches archéologiques en cours et créerait une saine relation et émulation entre amateurs et professionnels. En attendant la suite de cette affaire et l’étude de la découverte, la « main de Prêles » est actuellement exposée au Nouveau Musée de Bienne (NMB) jusqu’au 17 octobre.