Monthly Archives: April 2008

Des archéologues à la NASA

La National Air and Space Administration, mieux connues sous l’acronyme NASA a été fondée le 1er octobre 1958 et célèbre donc cette année ses cinquante ans. Parmi les milliers de scientifiques qui travaillent dans la prestigieuse agence spatiale étasunienne se trouve un archéologue, Tom Sever. C’est à travers son intérêt pour la détection à distance (remote sensing) qu’il fut engagé dès 1982 à la NASA. Les premières utilisations archéologiques des techniques de détection à distance furent mises en œuvre sur le site Anazasi de Chaco Canyon au Nouveau-Mexique. Elles révélèrent les traces d’un important réseau d’anciennes pistes – plus de 300 km de cheminement détectés – celles de nombreuses constructions et les zones d’implantation des champs. En 1987, à l’occasion de la construction d’un barrage sur la rivière Usumacinta entre le Guatemala et le Mexique, l’utilisation d’images satellites permis également la découverte de plusieurs sites Mayas avant qu’ils ne soient détruits. Depuis lors la télédétection a été employée avec succès en de nombreux points du globe.

Tikal

Les ruines de Tikal vues par le satellite IKONOS (Photo: NASA)

L’analyse des observations effectuées par les satellites gravitant autour de la Terre a permis récemment à Tom Sever et à ses deux collègues Dan Irwin et William Saturno de découvrir que les arbres qui recouvrent les sites mayas ont une couleur légèrement différente de la canopée environnante en raison de la présence dans le sol des argiles utilisées dans les constructions disparues. La représentante de l’administrateur de la NASA, Shana Dale, s’est rendue sur place en décembre dernier, comme en témoigne son blog, pour se rendre compte de l’aide que les observations de l’agence spatiale étasunienne peuvent apporter à l’archéologie et à la connaissance du passé du monde maya. Ce qui semble avant tout justifier l’engagement d’archéologues à la NASA c’est d’utiliser leurs informations pour comprendre des situations contemporaines. Ainsi la déforestation importante effectuée dans les années 800 de notre ère en Amérique centrale aurait contribué à assécher le monde Maya ce qui a conduit à la disparition de cette civilisation. Aujourd’hui la déforestation est en œuvre dans de nombreuses régions du globe et on parle de l’apparition de nouvelles sécheresses. Est-ce que l’histoire se répète ? Que pouvons-nous apprendre du passé pour ne pas commettre les mêmes erreurs aujourd’hui et demain ? C’est à répondre à ces questions que peut aussi servir l’archéologie et pas seulement à recueillir des pots cassés.

« Idées et débats » à télécharger

Les Editions du patrimoine sont connues depuis longtemps pour la publication d’actes de colloques professionnels, de textes scientifiques, de monographies ou de guides qui permettent au grand public aussi bien qu’aux spécialistes d’accéder aux connaissances en lien avec le patrimoine justement. Pour rendre cet accès encore plus facile, cet éditeur vient d’avoir la très bonne idée d’inaugurer une nouvelle collection intitulée « Idées et débats », qui va rejoindre la vingtaine que compte déjà leur catalogue. Mais cette fois il ne s’agit pas d’une série faite d’encre et de papier, mais d’une collection diffusée en ligne. Le premier ouvrage s’adresse tout particulièrement aux archéologues puisqu’il a pour titre : « De la restitution en archéologie ».

Idées et débats
Page de couverture

« De la restitution en archéologie » propose de réfléchir sur le sens ainsi que sur la portée scientifique et pédagogique des restitutions. De fait, il présente les conclusions issues d’un colloque ayant eu pour cadre le site français d’Ensérune, dans l’Hérault en octobre 2005. L’ouvrage richement illustré, contient une vingtaine de contributions, chacune pourvue d’un résumé bilingue, français-anglais, pour permettre une réception internationale des textes. Parmi les apports en relation avec la Suisse à relever ceux de Michel Egloff concernant le musée et le parc archéologique du Laténium à Hauterive, de Donald F. Offers sur la ville romaine d’Augusta Raurica à Augst, et de Pierre André à propos de la restitution architecturale à Erétrie par l’Ecole suisse d’archéologie en Grèce. Sous cette forme en ligne cette publication est promise à une plus large diffusion que sur papier et j’espère qu’à l’avenir ce qui est encore l’exception dans l’édition, sera la règle, pour le bien de la diffusion des connaissances et des arbres.

Babylone, Paris, Berlin

Il y a de cela quelques années, mon fils ayant tout juste quatre ans, nous nous étions rendu en famille à Berlin et nous n’avons pas manqué de nous rendre au Pergamon Museum où se trouve, entre autres antiquités, de nombreux vestiges babyloniens dont la célèbre restitution de la porte d’Ishtar et sa procession de lions. Quelques six mois plus tard, toujours en famille, nous nous trouvions au Louvre dans les salles d’Antiquité orientale et en découvrant le lion de briques faïencées de la partie mésopotamienne, à la surprise des visiteurs et pour la fierté de ses parents de la bouche de notre petit bonhomme sorti cette phrase stupéfiante : Paris, c’est comme à Berlin ! Sans le rappel d’aucune grande personne il avait su garder en mémoire les splendeurs de Babylone. Et justement au Louvre, depuis le 14 mars et jusqu’au 2 juin 2008, Babylone est au cœur d’une exposition temporaire organisée conjointement avec le British Museum de Londres et le Pergamon Museum de Berlin. Les 400 pièces présentées ne sont pas venues du musée de Bagdad et pour cause, mais proviennent du monde entier où ces vestiges ont trouvés un asile plus sûr.

Babylone
Paris, c’est comme à Berlin ! L’exposition est conçue en trois parties. La première s’intéresse à la ville de Babylone dans l’antiquité, à sa période de gloire qui va de sa fondation par le roi Hammurabi jusqu’à la mort d’Alexandre le Grand en passant par les fastes de Nabuchodonosor II. La seconde évoque l’héritage symbolique que la ville a laissé, en particulier à travers la Tour de Babel. La dernière raconte la redécouverte de Babylone par les archéologues à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle. Samedi prochain, 19 avril, autour de l’exposition, se tiendra également un colloque intitulé « La Tour de Babylone » qui évoquera les dernières recherches menées sur place avant les Guerres du Golfe et qui devrait donner la part belle à la topographie de la ville et à sa fameuse « Tour des Langues ». Ensuite, après Paris, cette exposition sera présentée au Pergamon Museum de Berlin du 26 juin au 5 octobre 2008. Gageons que parmi les visiteurs se trouvera un enfant qui dira: Berlin, c’est comme à Paris !

Des archéologues dans Second Life

Quels intérêts peuvent avoir des archéologues professionnels à investir un univers virtuel tel celui de Second Life (SL) ? Sans doute celui de prendre contact d’une manière différente avec le grand public et de lui insuffler une part de leur passion ou des résultats de leurs recherches. C’est en tout cas ce que se sont donnés comme but les membres du groupe des « Virtual Archaeologists » fondé il y a deux mois par l’avatar Humperdinka Bade et dont mon propre avatar, Ulysse Alexandre, fait partie. La première réalisation à mettre à l’actif de ce groupe, c’est la restitution, à échelle réduite, du temple d’Amon à Louxor. La cheffe de projet, l’avatar Jachmes Masala, organise régulièrement des visites guidées du monument pour les résidents de SL. Il y a trois semaines, Torin Golding, nom de l’avatar propriétaire du sim Roma, ayant pour thème la Rome antique, a construit un espace pédagogique présentant un chantier de fouille. Les visiteurs, par l’entremise de leur avatar, peuvent ainsi s’initier aux différentes étapes du travail sur le terrain de l’archéologue, en commençant par le maniement de la truelle, de la pelle ou de la pioche, en poursuivant par une explication sur différentes méthodes de datations comme la stratigraphie, la typologie ou la dendrochronologie, pour terminer par la photographie, le criblage à sec ou le tamisage à l’eau des sédiments pour en extraire des petits objets ou des macrorestes organiques. La visite s’achève sur une mise en garde contre les fouilles clandestines et le trafic illicite du patrimoine archéologique.

Fouille archéologique dans SL
Une fouille archéologique expliquée dans Second Life

Les prochains événements mis à l’agenda archéologique des SLiens (habitants de SL) c’est d’abord l’ouverture, vendredi prochain 11 avril, par l’avatar Marso Mayo, d’une dépendance virtuelle du Musée d’histoire naturelle de la ville de Vienne, en Autriche. Ensuite, le samedi 12 avril, à 20h (GMT) l’équipe de l’île Okapi et les archéologues de Berkeley à Çatalhöyük, invite le public virtuel à suivre en direct sur écran-web la conférence que donnera, dans une salle de cours réelle, Ruth Tringham, professeur d’anthropologie à l’université de Berkeley, intitulée « Bridging the gap between Real, Imagined and Virtual at the 9000-year old archaeological site of Çatalhöyük, Turkey ». Sa présentation sera suivie par une visite, sous la conduite de son avatar Ruth Galileo accompagné des avatars de ses étudiants, de la reconstruction virtuelle du célèbre village néolithique. Morale de l’histoire : lorsqu’on est vraiment passionné on ne se contente pas d’une seule vie pour communiquer sa passion : il en faut une seconde.

Stonehenge sous la loupe

Les recherches archéologiques s’intensifient autour du cromlech de Stonehenge, situé dans le sud-est de l’Angleterre, lieu emblématique de l’archéologie britannique, classé en 1986 dans la liste des objets du patrimoine mondial de L’Unesco. Depuis plusieurs années, dans le cadre du Stonehenge Riverside Project , six universités collaborent pour mener une enquête approfondie sur le pourquoi, le quand et le comment de son édification. L’université de Shefield a ainsi mené plusieurs campagnes dans les environs du monument, à Durrington Walls, en relation avec la construction d’une autoroute. Depuis la semaine dernière et jusqu’au 11 avril, Timothy Darwill, de l’Université de Bournemouth et Geoffrey Wainwright, président de la Société des antiquaires, se sont donnés deux semaines pour interroger le monument lui-même. Sous les regards des nombreux visiteurs du site et avec l’accord de l’organisation English Heritage, ils ont ouvert une fosse de 3,5 sur 2,5 mètres pour lever une partie du voile de mystère dont continue à se parer le vénérable monument.
Stonehenge
Stonehenge, emblème de la Préhistoire (photo: Flickr)

Les dernières fouilles en ce lieu remontent à 1964, mais ce seront les premières à utiliser les acquis de l’archéologie scientifique. Selon une des nombreuses hypothèses attachées au monument, Stonehenge aurait été un temple dédié à la guérison, « une sorte de Lourdes préhistorique » d’après Timothy Darwill.  Son équipe recherche en particulier des fragments de dolérite provenant des collines galloises de Preseli, situées à 250 kilomètres de là, restes des 80 menhirs qui formaient le double cercle de pierres bleues érigé vers 2600 av. J.-C et disparu quelques 200 ans plus tard, remplacés par 30 mégalithes en grès. En raison de leur couleur particulière, une tradition populaire prête à ces pierres des vertus thérapeutiques. Avant de disparaître elles auraient pu être débitées pour en faire des talismans, d’où la récolte des fragments. La connaissance des mégalithes avance, comme on le constate, par petits bouts.

Quousque tandem…

En 1912, on annonça en Angleterre la découverte à Piltdown du crâne d’un homme fossile. Il présentait une calotte crânienne très moderne mais était pourvu d’une mâchoire inférieure très simiesque. On venait enfin de découvrir le chaînon manquant entre le Pithécanthrope de Java et l’Homo sapiens, ce qui confirmait la théorie de l’évolution des espèces de Charles Darwin. De plus, l’Angleterre post-victorienne, pouvait s’enorgueillir d’être le berceau de cette nouvelle espèce si proche, par ses capacités crâniennes, donc intellectuelle, de l’homme moderne. En 1950, le site de Piltdown fut même déclaré monument national anglais. Bien que ce résultat ne fût dès l’origine pas admis par tout le monde scientifique, il fallut pourtant attendre 1953 et une des premières analyses au radiocarbone, pour que le faux puisse être certifié. Le crâne et la mandibule se révélèrent être postérieurs au Moyen-âge. Le faussaire, selon l’archéologue Miles Russell, aurait été le découvreur Charles Dawson.

Piltdown Man
Crâne complété de l’Homme de Piltdown (Image : BBC)

En ce jour du premier avril choisi pour l’annonce de fausses nouvelles qui seront démenties demain, on peut se demander comment les archéologues s’y prennent pour distinguer le vrai du faux. On peut s’en faire une petite idée sur le site de la Fondation Gottfried Matthaes de Milan qui vient d’être réactualisé, comme par hasard, aujourd’hui. Comme on le constate, grâce aux analyses typologiques, physiques et chimiques de plus en plus pointues, il est devenu difficile d’être faussaire. Si la supercherie de l’Homme de Piltdown ou Homo (Eoanthropus) Dawsoni a tenu plus de quarante ans, il serait sans doute difficile aujourd’hui de tromper le public aussi longtemps. Pourtant, malgré tout, il en est une autre qui plane peut-être près de chez moi. Les visiteurs du Laténium peuvent voir, vers la fin de leur parcours de l’exposition permanente, un maxillaire supérieur d’une femelle néanderthalienne trouvée en 1964 dans la grotte neuchâteloise de Cotencher. Lorsque je pense aux circonstances de cette découverte, presque unique en Suisse, j’ai un pressentiment. Non pas qu’il s’agit d’un faux maxillaire néandertalien, mais d’une pièce apportée dans la grotte et mise en scène par son découvreur comme dans le cas de l’Homme de Piltdown. Jusques à quand faudra t-il attendre avant qu’une analyse sérieuse ne soit menée sur l’origine exacte de ce fragment? Quousque tandem…ce n’est pas un poisson.