Category Archives: Suisse

À la claire fontaine

Depuis l’exposition à l’Espace Schilling de l’artiste espagnol Desiderio Delgado qui a peint les fontaines de Neuchâtel, je suis devenu plus attentif à la présence des fontaines qui m’entourent. Je réalise progressivement à quel point elles sont encore nombreuses, bien que le plus souvent discrètes. Leur présence, est là pour nous rappeler que l’accès à l’eau courante n’était pas une chose aussi simple qu’elle semble l’être aujourd’hui quand il suffit de tourner les robinets de nos cuisines ou de nos salles de bains. J’ai essayé de me remémorer toutes les fontaines qui a un moment ou a un autre de mon existence ont pu me marquer ou m’attacher et je réalise qu’elles sont bien trop nombreuses pour toutes les citer ici, à moins d’en faire une longue liste prenant toute la place dans l’espace que je réserve à ce texte. Les premières fontaines auxquelles je pense, parmi les plus anciennes, sont celles de la Rome antique. L’Urbs, selon le consul romain Sextus Julius Frontinus, nommé administrateur des eaux de Rome en l’an 98 de notre ère, était une ville de fontaines. La ville disposait de neuf aqueducs alimentant 39 fontaines monumentales et 591 bassins publics, sans compter l’eau fournie à la maison impériale, les bains et propriétaires de villas privées. Chacune des fontaines principales était reliée à deux aqueducs différents, au cas où l’un d’entre eux serait fermé pour cause d’entretien. A ce propos, je me souviens que mon premier travail de séminaire en archéologie classique a concerné l’étude de la Fontaine de Juturne sur le Forum romain.
ExpoDelgado
Flyer de l’exposition Delgado à Neuchâtel

Depuis peu, je fais aussi partie de la Commission des biens culturels de mon canton. Parmi les décisions que les membres de cette commission ont prises dernièrement a été celle de mettre sous protection l’ensemble des six fontaines publiques du village de Lignières, classées toutes ensemble comme un patrimoine sériel, reflet de l’importance de la relation entre l’approvisionnement en eau et la présence d’une population. La plus ancienne fontaine de ce village date de 1750. Elle est aussi celle dont le bassin a la plus grande contenance, puisqu’elle est évaluée à 5000 litres. Ce bassin a été creusé dans un bloc de calcaire mesurant 4m de longueur, pour 2,62m de largeur et 1,20m d’épaisseur, formant une masse estimée à 20 tonnes. La trace laissée par l’extraction monolithique de la pierre est encore visible sur un rocher dans une forêt située à 1km du village. Un chroniqueur de l’époque nous rapporte que c’est à l’aide d’un traineau fait de troncs d’arbre glissés sur des rondins en bois, tiré par 40 paires de bœufs, encadrés par une centaine de personnes que ce grand bassin fut amené au centre du village. Ce travail fut fait, non sans danger, dans le froid et la neige de janvier et dura huit jours. Après cela les habitants du village purent laver leur linge, abreuver leur bétail et se ravitailler en eau à la claire fontaine, avec le sentiment d’un bel ouvrage accompli.

Tomb Raider à Prêles

Cette histoire commence pour moi à fin août par la lecture d’un petit article du Migros Magazine, intitulé « La fille d’Indiana Jones » célébrant la passion d’une jeune fille de 13 ans pour la détection dite de loisir. J’ai d’abord été surpris et presque choqué de voir en une du journal une publicité aussi évidente faite à une activité généralement réprouvée par les membres de ma profession. Mais ensuite je fus rassuré en poursuivant ma lecture de savoir que « les objets présentant un intérêt historique sont systématiquement confiés aux bons soins des services d’archéologie cantonaux ». De même, j’apprenais dans cet article qu’une découverte importante avait été faite par son beau-père, mais que c’était pour l’heure « encore un secret, qui ne sera dévoilé qu’à la sortie d’une publication scientifique consacrée à sa trouvaille ! ». Un secret pourtant bien visible comme je le constatais en visionnant la vidéo de présentation de la découverte sur la chaîne YouTube de la sympathique émule de Lara Croft.
Le 18 septembre, un communiqué de presse du canton de Berne annonçait qu’en octobre 2017, une main en bronze parée d’un bracelet en or avait été découverte par deux particuliers aux abords du village de Prêles, de même qu’une lame de poignard en bronze et une côte humaine, le tout daté entre 1500 et 1400 av. J.-C. Tous ces objets furent remis dès le lendemain au service archéologique du canton de Berne, mais pour des raisons qui le regardent, ce service ne procéda à des fouilles complémentaires qu’en juin 2018, amenant à la découverte sur les lieux d’un doigt manquant à la main, d’une épingle, d’une spirale en bronze et de plaques d’or détachées du bracelet enserrant le poignet de la main, le tout associé à la tombe d’un homme adulte. Cependant les archéologues constatèrent également qu’entretemps des fouilles clandestines avaient été opérées, laissant supposer que d’autres objets se trouvaient dans cette tombe, d’où l’ouverture d’une procédure pénale par la justice du canton de Berne.
MainNMB
La main de Prêle exposée au NMB

La découverte d’un objet archéologique faite en dehors d’une zone archéologique ne peut être que fortuite et assez rare puisque rien n’indique au préalable sa présence. Du reste, la grande majorité des objets mis au jour par les détectoristes relèvent de ce qu’eux-mêmes qualifient de « merdouilles », soit des objets n’ayant aucun intérêt sinon celui de polluer le sol.  En enlevant tous les déchets métalliques des terrains qu’ils prospectent les détectoristes font ainsi œuvre de dépollueurs et évitent un danger potentiel pour l’environnement et les animaux. Quant aux rares antiquités ainsi découvertes, elles doivent être annoncées auprès de l’autorité compétente, comme le signale la plupart des législations cantonales qui se réfèrent à l’article 724 du Code civil suisse. C’est ce que les découvreurs de la main de Prêles ont bien fait.  De ce fait, pratiquer la détection de loisir en dehors des zones archéologiques dûment répertoriées et protégées ne peut pas être considéré, de prime abord, comme une activité illégale, puisqu’après le refus de la motion Rossini au Conseil National, il n’existe pas de disposition fédérale à l’encontre de l’usage des détecteurs à métaux. Il revient donc aux cantons de prendre les mesures appropriées pour réglementer l’usage de ces appareils. Il se trouve que le canton de Berne est de ceux qui veulent encadrer leur usage selon les principes directeurs définis par la Conférence suisse des archéologues cantonaux (CSAC). Comment pourrait-on idéalement encadrer les activités des détectoristes ? Peut-être qu’une autre activité réglementée par l’état comme la chasse ou la pêche pourrait servir d’inspiration. Pour pouvoir prospecter, les détectoristes devraient être en possession d’un permis annuel payant de détection et se conformer aux directives du service archéologique cantonal. Chaque zone que le prospecteur aimerait sonder devrait être annoncée au préalable au propriétaire du bien fond ainsi qu’à l’autorité de surveillance, indépendamment de sa qualité de zone archéologique. Cela permettrait, en cas de découvertes ultérieures, de savoir quels sont les individus ayant prospecté dans la zone. Les gardes-faunes, gardes forestiers, policiers et gendarmes en présence d’un détectoriste pourraient ainsi procéder à des contrôles sur le terrain et vérifier que chaque personne en possession d’une autorisation s’acquitte bien de ce devoir de renseignement en remplissant scrupuleusement un carnet de découvertes. Les données de ce carnet pourraient du reste être exploitées pour compléter les cartes archéologiques. Pour s’assurer d’une bonne compréhension des enjeux patrimoniaux d’une telle procédure, les détectoristes seraient également appelés à suivre au préalable un cours de sensibilisation organisé par les services cantonaux ou des associations en charge du patrimoine. On devrait même envisager une participation obligatoire, au moins une fois par année, à une campagne de prospections organisée par le service cantonal ou par une organisation comme le Groupe de travail prospection suisse (GTP). Cela permettrait d’associer les détectoristes à la connaissance du patrimoine aux recherches archéologiques en cours et créerait une saine relation et émulation entre amateurs et professionnels. En attendant la suite de cette affaire et l’étude de la découverte, la « main de Prêles » est actuellement exposée au Nouveau Musée de Bienne (NMB) jusqu’au 17 octobre.

Participez tous à #Patrimoine 2018

Le patrimoine est l’expression de l’histoire que nous sommes en train de vivre. En février 2017, l’Union européenne a décidé de déclarer 2018 « Année du patrimoine culturel ». Cette année, des projets de médiation et de communication sur le thème du patrimoine culturel auront lieu dans toute l’Europe. Le 18 décembre dernier, le conseiller fédéral Alain Berset a lancé le volet suisse de l’Année européenne du patrimoine culturel 2018. Devenu entretemps président de la Confédération, en marge du Forum économique mondial (WEF), notre ministre de la culture a invité les 21 et 22 janvier ses homologues européens à une conférence sur le thème “Vers une culture du bâti de qualité pour l’Europe” qui a conduit à l’adoption de « Déclaration de Davos ». Pour assurer la coordination de la campagne #Patrimoine2018 en Suisse, les principales organisations sans but lucratif du domaine de la protection et de la conservation du patrimoine culturel ont fondé l’association Année du patrimoine culturel 2018. Dans tout le pays, de nombreuses manifestations se proposent de mettre en valeur cet héritage commun. Un système d’agenda permet de lier à la campagne nationale toutes les contributions des organisations nationales, régionales et locales, ainsi que celles des personnes privées en rapport avec les objectifs et la stratégie de l’Année du patrimoine culturel 2018.

Patrimoine2018
Image extraite de la vidéo de présentation

Dans le cadre de cette Année européenne du patrimoine culturel, l’Office fédéral de la culture (OFC) a lancé un concours d’idées intitulé « Le patrimoine pour tous », qui coure jusqu’au 25 mars. A ce jour, 153 idées ont été soumises. Comme modérateurs sont impliqués le personnel de l’OFC de la Section patrimoine culturel et monuments historiques (patrimoine culturel matériel) et de la Section culture et société (patrimoine culturel immatériel). Sur une plate-forme participative en ligne peuvent être émises, commentées et développées des propositions relatives aux questions suivantes : Comment la diversité culturelle peut-elle favoriser la cohésion sociale dans un environnement dynamique ? De quelle manière peut-on améliorer l’accès au patrimoine et favoriser la participation démocratique ? Comment le patrimoine culturel contribue-t-il concrètement à améliorer la qualité de vie ? Comment communiquer de façon intéressante et efficace sur la thématique, pour les publics de tous âges et de tous niveaux de formation ? Comment susciter les débats et permettre les rencontres ? Les idées les plus appréciées par le public seront présélectionnées, puis évaluées par un jury de 6 membres, parmi lequel se trouve Tania Chytil, journaliste et productrice de «RTS Découverte ». Le 4 mai 2018 aura lieu, à Berne, une fête, à laquelle seront invités toutes celles et ceux qui auront participé d’une manière ou d’une autre. Les lauréates et lauréats y seront primés et célébrés. Ensuite, l’OFC lancera en mai 2018 un concours de projets. Lors de cette seconde étape, les idées primées seront développées sous la forme de projets concrets. Les propositions pourront être remises jusqu’à fin août 2018. À partir de l’automne 2018, les projets lauréats seront mis en œuvre avec le soutien de la Confédération au cours des deux années suivantes.

Le Patrimoine culturel est menacé à Neuchâtel

Dans le canton de Neuchâtel, comme ailleurs, lorsqu’un gouvernement est à la recherche de coupes rases dans la forêt de son budget, c’est la culture qui est en première ligne pour subir les lames des tronçonneuses. A l’orée de ce bouquet culturel, l’archéologie est malheureusement bien placée pour être menacée, car au fond de ses fouilles, elle est plus facile à enterrer. L’Office du patrimoine et de l’archéologie du canton de Neuchâtel (OPAN) est constitué de trois sections : la conservation du patrimoine, l’archéologie et le Laténium ou parc et musée d’archéologie. Il y a quelques mois, pour répondre à une contribution d’exploitation assurée au Laténium pour les cinq prochaines années par l’Office fédéral de la Culture, le gouvernement s’était engagé à assurer dans cet intervalle la subvention cantonale allouée au musée et même à la développer. Engagé par cette promesse, l’exécutif du canton, autrement dit le Conseil d’Etat (CE) en mal de réductions budgétaires, ne pouvait abattre sa foudre olympienne, tel Jupiter, que sur les deux autres entités de l’OPAN. Ainsi, sans concertation aucune avec les responsables de section directement concernés, le CE a proposé dans son plan financier de diminuer à terme de 40% les moyens alloués à l’archéologie et de 25% ceux de la conservation du patrimoine.
ManifestationOPAN
Soutien au Patrimoine culturel dans la cour du château

Face a une volonté affirmée et certainement nécessaire de diminuer les déficits récurrents de l’Etat, il y a peu de choses possibles à entreprendre, sinon se rendre visible et se coucher devant le bulldozer chargé de détruire ce qu’il reste de la maison, comme l’ont déjà fait par deux fois, les 5 et 19 décembre, le personnel de l’OPAN et les personnes désireuses de soutenir l’archéologie et le patrimoine neuchâtelois. Car le Grand Conseil et le CE devraient savoir que l’on ne peut conserver une structure en ne gardant que le toit. En attaquant les fondations, que défend l’archéologie et les murs sauvegardés par le patrimoine, le toit visible de loin, qui couvre les salles et les vitrines du musée, perd son assise et est directement touché lui aussi, même si la volonté initiale était de l’épargner. Il faut savoir que l’OPAN est issu du regroupement, en 2012, de l’Office de la protection des monuments et des sites et de l’Office et musée d’archéologie. A cette époque déjà, le but était de diminuer les dépenses de l’Etat en fusionnant les Offices pour n’en faire qu’un, et de n’en garder que la substantifique moelle pour que les entités puissent remplir leurs taches légales en synergie les unes par rapport aux autres. Dès lors, comment comprendre cinq ans plus tard, que l’on puisse encore diminuer ce qui a déjà été réduit au minimum vital sans remettre en cause l’ensemble de l’OPAN. Après avoir subi une réduction de ses membres, il ne peut se résoudre à voir sans manifester le corps amputé de sa tête. Alors que 2018 est annoncé en Suisse et en Europe comme l’Année du Patrimoine culturel, force est de constater que dans le Canton de Neuchâtel cette année est déjà placée sous de bien sombres auspices.

Patrimoine vaudois à brader

Les Vaudois, dans le domaine de la protection du patrimoine ont été des précurseurs en promulguant en 1898, sous l’impulsion de l’archéologue Albert Naef, Chef du Service des monuments historiques du canton, la première législation et organisation cantonale en Suisse pour la protection des monuments et des antiquités. En 1997, le canton de Vaud se posait des questions concernant la gestion de son patrimoine naturel, historique et archéologique. Cette réflexion menée par une quinzaine de professionnels du domaine réunis sous la bannière des Etats généraux de l’Association pour le patrimoine naturel et culturel du canton de Vaud, se concrétisa sous la forme d’une déclaration d’intention intitulée : « Le patrimoine vaudois existe, nous l’avons rencontré ». En avant-propos de ce plaidoyer on pouvait y lire l’engagement des autorités vaudoises d’améliorer la situation, à travers les commentaires des trois conseillers d’états concernés par le sujet. Dans l’esprit de ses instigateurs, cette déclaration dite de Chillon, devait être un premier essai d’évaluation de la situation patrimoniale dans le canton de Vaud et aurait dû déterminer la direction à prendre dans le futur pour toutes les actions en lien direct avec les divers aspects du patrimoine. C’est ainsi que le patrimoine, en tant que notion essentielle à la vie sociale, fut pris en compte dans la Constitution vaudoise du 14 avril 2003, en stipulant à l’article 52 que «L’Etat conserve, protège, enrichit et promeut le patrimoine naturel et le patrimoine culturel.»
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A brader, patrimoine historique et archéologique

Vingt ans plus tard, en vue des élections pour le Conseil d’Etat du canton de Vaud qui se déroulent aujourd’hui, certains des initiateurs de ces Etats généraux, aujourd’hui à la retraite, ont à nouveau interpellé leur gouvernement dans une lettre ouverte qui lui a été adressée, en jugeant que le patrimoine historique et archéologique vaudois est actuellement en danger. La principale demande des onze signataires de cette missive, qui se font par la même occasion les porte-paroles de tous les actifs du domaine qui ne peuvent s’exprimer publiquement sans exposer leur carrière professionnelle, est que : « la Division patrimoine du Service immeubles, patrimoine et logistique ne soit plus rattachée au Département des finances et des relations extérieures. Depuis que le Patrimoine a quitté le Département des infrastructures et des ressources humaines en 2012, nous constatons qu’il subit de graves atteintes dues à l’absence d’une vision politique à long terme et à une volonté d’économiser sur les budgets de fonctionnement. Si le Département des finances accorde des subsides en tout dernier ressort et après de longues années d’atermoiements (l’abbatiale de Payerne, le théâtre romain d’Avenches, le château de La Sarraz), s’il est prêt à délier sa bourse pour des dépenses de prestige (le château Saint-Maire et le portail Montfalcon de la cathédrale à Lausanne), il n’octroie en revanche pas les moyens nécessaires pour assurer la protection globale de notre riche héritage historique ». Cette lettre ouverte “Patrimoine vaudois en danger“, transformée en pétition en ligne à la fin du mois de mars, a reçu le soutien de plus de 1200 personnes en l’espace de 4 semaines. Elle a été remise au chancelier de l’Etat de Vaud, le mardi 25 avril. Espérons que cette lettre ouverte ne restera pas lettre-morte et que le nouveau Conseil d’Etat vaudois qui sortira des urnes saura en tenir compte lorsqu’il s’agira de réorganiser les départements.

Hors-jeu olympique à Lausanne

Sur le chantier des nouveaux bâtiments administratifs du Comité international olympique (CIO), les archéologues ont mis au jour les vestiges du port romain de Lousonna, dont l’emplacement exact était jusqu’alors inconnu, mais dont on ne pouvait que pressentir l’existence vue l’importance de la navigation pour le transport des marchandises à l’époque romaine. Ce n’est pas pour rien d’ailleurs que sur la Table de Peutinger, unique copie d’une carte romaine du IVe siècle, le lac Léman est nommé Lacus lausannensis. Vu l’emplacement choisi pour le futur siège du CIO sur les berges du lac, non loin à l’ouest des ruines connues de Lousonna et à deux pas du Musée romain de Vidy, on peut s’étonner que des investigations plus précoces n’aient pas été entreprises sur les 24’000 m2 de la surface prévue pour l’édification de ce bâtiment pour permettre aux archéologues de prendre le temps de dégager ces vestiges important pour l’histoire de la localité. De la céramique, plusieurs monnaies et des pilotis en bois et des enrochements de quai figurent parmi les objets découverts sur le site situé sur les berges de Vidy à Lausanne. Lieu de rupture de charge, le vicus gallo-romain de Lousonna profitait alors d’une situation stratégique privilégiée, à la fois portuaire et routière, propice au transfert de marchandises entre les bassins fluviaux du Rhône et du Rhin.
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Le nouveau siège du CIO prévu à Lausanne (Image : 3XM)

C’est la raison pour laquelle Denis de Techtermann, le président de la section vaudoise de l’association Patrimoine suisse, a exprimé des regrets concernant ce dossier. En effet on peut s’étonner que des dispositions n’aient pas été prévue par les maîtres d’œuvres pour préserver et mettre en valeur, autant que faire se peut, les traces du passé de Lausanne, dont l’existence et le nom dérive directement de ces installations portuaires. Alors qu’à Rome ou à Athènes, deux villes qui ont accueillis les Jeux Olympiques, et dont les infrastructures nécessaires comme le métro, ont permis la découverte de précieux témoins de l’Antiquité on a su intégré les éléments du passé dans les constructions, quitte à prendre du retard dans le planning des chantiers, il semble qu’à Lausanne aucune directive particulière n’aient été prise dans ce sens. Au contraire, sous prétexte de préservation des intérêts privés, ceux du CIO, il est hors de question pour les autorités de faire prendre à la construction, devisée à 160 millions de francs, le moindre retard, ni même de demander aux architectes danois du bureau 3XN de revoir leur projet pour y intégrer d’une manière ou d’une autre les éléments significatifs de ce patrimoine, comme a su si bien le faire, l’architecte Bernard Tschumi, lors de la construction du nouveau Musée de l’Acropole à Athènes. Selon Jan Ammundsen, l’un des architectes partenaires de 3XM, le nouveau siège du CIO a été conçu selon les trois éléments clés :  mouvement, flexibilité et durabilité. Manifestement, en restant sourd et immobile envers les critiques de Patrimoine suisse, en ne voulant pas modifier les bases du projet et en ne contribuant pas d’une manière ou d’une autre à la sauvegarde d’un patrimoine millénaire, le projet du CIO manque à l’évidence de ces trois éléments et doit être dénoncé hors-jeu.

La Fedpol délaisse le trafic des biens culturels

La semaine dernière l’Office fédéral de la police (Fedpol), dirigé par Nicoletta della Valle, avait convoqué une conférence de presse à l’occasion de la publication de son dernier rapport annuel. Parmi les éléments principaux à retenir pour l’année 2015, l’importance donnée au terrorisme, mais aussi à la cybercriminalité et au blanchiment d’argent, des domaines criminels qui ont fortement augmenté. Dans ce rapport on peut lire, entre autres, que « l’Etat Islamique (EI) pratique un racket organisé (une soi-disant imposition) sur le territoire qu’il occupe et administre à la manière d’un Etat. Il se procure des fonds par le biais de cambriolages de banques, de brigandages et d’expropriations. Il tire ses revenus de l’agriculture, du contrôle et du commerce de matières premières et du pillage et de la vente de biens culturels ». En relation avec ce dernier aspect, la Suisse est a priori bien préparée. En effet, demain, 1 juin 2016, cela fera exactement 11 ans que la loi fédérale sur le transfert international des biens culturels (LTBC) aura été mise en vigueur. Si bien que nous sommes prêts, légalement, à faire face à toutes les tentatives de l’EI à se procurer des ressources financières par ce biais. Cependant, rien n’est moins sûr.
TabletteEgyptienne
Tablette restituée à l’Egypte (Photo : © Ministère public genevois)

Pour endiguer le trafic de biens culturels il faut aussi avoir des policiers aptes à pouvoir reconnaître les objets susceptibles de provenir de ce trafic. Or, Jean-Robert Gisler, le seul archéologue employé actuellement par la Suisse pour coordonner la lutte contre le trafic de biens culturels avec les partenaires internationaux prendra prochainement sa retraite et personne n’est prévu pour le remplacer sous prétexte d’économie et de restructuration en cours à l’Office fédéral de la police. Comme cela a été dit de manière succincte lors de la conférence de presse de la Fedpol relayée par l’ATS, « la lutte contre le terrorisme passe aussi par une plus grande flexibilité et la fixation de priorités, a expliqué Mme della Valle. 24 nouveaux postes ont été promis mais, programme d’économie oblige, fedpol devra mettre la pédale douce dans d’autres domaines comme les stupéfiants ou l’archéologie ». Comment croire, alors que la Fedpol annonce de nouvelles arrivées, qu’un seul poste d’archéologue, dans un office qui ne compte pas moins de 350 collaborateurs, est un luxe que la Suisse n’est plus apte à s’offrir ? France Desmarais, directrice de l’observatoire du trafic international des biens culturels auprès du Conseil international des musées (ICOM) annonce dans son fil Twitter le ressentis des spécialistes du domaine : « La Suisse abolira le poste d’archéologue au sein de son service de police. Perte d’une expertise précieuse. Dommage! ». Pour preuve : l’Office fédéral de la culture et l’Administration fédérale des douanes ont procédé à 382 contrôles de biens culturels en 2015. Une trentaine de ces contrôles ont débouché sur l’ouverture d’enquêtes par les procureurs cantonaux. Enfin, depuis l’entrée en vigueur de la LTBC en 2005, 85 condamnations ont été prononcées en Suisse, comme le seront sans doute les personnes impliquées dans la procédure pénale ouverte pour escroquerie par le Ministère public genevois pour le vol d’une tablette des sept huiles sacrées, restituée à l’Egypte le 2 mars 2016. Un archéologue parmi les policiers, n’est-il vraiment pas nécessaire ?

Mémoire 21 Valais-Wallis, la fin du début

Après deux années de réflexion, de discussion et de concertation entre spécialistes, dans le cadre des Etats généraux du patrimoine historique enfoui et bâti, Claire Epiney-Nicoud, présidente de l’Association valaisanne d’archéologie (AVA-WAG), cheville ouvrière du projet, a pu présenter à la population le plan d’action pour la sauvegarde du patrimoine. Ce plan a été remis officiellement jeudi 28 avril à la conseillère d’Etat Esther Waeber-Kalbermatten dans le cadre solennel de la Salle du Grand Conseil à Sion. Ayant pu suivre le projet « Mémoire 21 Valais – Wallis » depuis ses débuts, je ne voulais pas manquer cette occasion d’en prendre connaissance en primeur, avant sa publication prévue au mois de juin.  Ce plan a été structuré en sept défis (société, gouvernance, protection intégrée, recherche, conservation, médiation et promotion), réparti en dix lignes directrices d’action. Il en résulte un plan d’action qui s’organise autour de trente-deux mesures à réaliser par étape dans les dix années à venir. Parmi les éléments à retenir, il faut savoir que le patrimoine historique est une ressource non renouvelable, au même titre que certaines ressources naturelles, et à l’exemple de la sauvegarde de la biodiversité, on doit envisager la notion d’archéodiversité, immobilière ou mobilière, constituée de sites archéologiques, de monuments, d’artefacts, d’archives et de documents scientifiques. Une faible promotion du patrimoine historique auprès de la population entraine un manque de compréhension et de soutien, soit en définitive, une perte de légitimité.
Memoire21Sion
Stèle néolithique du Petit-Chasseur à Sion (Photo : Mémoire 21)

En recevant officiellement ce rapport stratégique, au nom des autorités cantonales, la conseillère d’Etat nous a donné l’espoir dans son message que ce document  « n’est pas le terme mais le début d’un processus ». Bien que parfois difficile à reconnaître, le patrimoine historique enfoui et bâti du Valais peut s’appuyer sur des bases légales solides, comme le démontre l’évaluation présente dans le rapport de la Commission archéologie et aménagement du territoire de l’association Archéologie suisse. L’exemple valaisan est donc utile pour les autres régions du pays, car les bases stratégiques font encore défaut en Suisse pour la protection du patrimoine. Mais, comme l’avertit dans son message Nina Mekacher, représentante de la section Patrimoine culturel et monuments historiques de l’Office fédéral de la culture, « bien des stratégies restent lettre morte ». Le plan d’action doit donc être poursuivit avec persévérance et avec le soutien des acteurs privés et publics. En ce sens le projet « Mémoire 21 Valais-Wallis » va tout à fait dans la direction envisagée par la Déclaration de Namur, adoptée le 24 avril 2015 lors de la 6ème conférence des ministres du patrimoine culturel du Conseil de l’Europe, qui dans son article 2 précise que : « Le patrimoine culturel est un élément constitutif primordial de l’identité européenne ; il relève de l’intérêt général et sa transmission aux générations futures fait l’objet d’une responsabilité partagée ; il est une ressource unique, fragile, non renouvelable et non délocalisable ». C’est aussi pour cette raison que le domaine « relations publiques et médiation culturelle » a été fixé comme l’un des nouveaux axes prioritaires du Message culture de la Confédération pour la période 2016-2020, et dans cette perspective, la démarche entreprise par le canton du Valais est vraiment pionnière et novatrice. Mais il ne suffit pas d’avoir des idées, il faut encore se donner les moyens financiers pour les réaliser. Ce n’est donc que la fin d’un début prometteur. A suivre !

Horizons 2015 : Le bilan Final

Selon ses organisateurs, le projet « Horizons 2015 » avait pour objectif d’encourager la collaboration entre les diverses institutions et organisations intervenant dans l’archéologie suisse. A la suite du colloque initial de 2010 et du bilan intermédiaire de 2013, la rencontre finale a eu lieu le 11 septembre 2015 sur le thème « résultats et perspectives ». La question des outils numériques utilisés par les milieux de l’archéologie suisse destinés à l’information du grand public était la problématique que le groupe « Nouvelle Technologie et médias », que j’ai pris en charge, a voulu aborder durant les cinq années du projet Horizons 2015. A l’heure du bilan final, nous n’avons pas pu constater beaucoup de changements dans l’architecture des sites Internet des archéologies cantonales, qui en raison de la structure fédérale du pays demeurent la principale porte d’accès de l’information archéologique numérique en Suisse. La grande majorité des sites se développe sous la forme de « brochures », dont la structure est plus ou moins riche, selon qu’elle présente des « Frequent Ask Question », des « News », une liste de sites, des cartes ou des liens vers la législation relative à la sauvegarde du patrimoine. Ces sites reprennent la structure du portail cantonal dans lequel ils sont hébergés. Seuls les archéologues du canton du Jura disposent d’un site Internet qui se développe en marge de la structure du portail cantonal. Mais plus pour très longtemps parait-il. Depuis le bilan intermédiaire de 2013, nous avons remarqué l’actualisation du site Internet d’Archéologie Suisse, et la création en automne 2013 du portail des Sciences de l’Antiquité. Mais, comme les autres, ces sites Internet apparaissent dans leur structure plutôt destinés à donner des informations et des liens à un public de connaisseurs. Il manque donc encore une mise en réseau de tous les acteurs de l’archéologie. Chacun dispose dans son petit coin de pays de toutes les connaissances sur son patrimoine, mais, dans l’ensemble des cas, a de la peine à le mettre en valeur et à le faire connaître à un large public.

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L’heure du bilan final d’Horizons 2015

Nos observations nous ont montrés qu’il existe pourtant un grand potentiel de dispositifs différents aptes à valoriser et mettre en valeur le patrimoine archéologique. Une manière d’attirer l’attention sur l’archéologie c’est, par exemple, de communiquer des informations sur les réseaux sociaux, ou de mettre en ligne des animations ludiques comme le petit jeu « Pfahlbauer von Pfyn » mis en place par l’archéologie cantonale du canton de Thurgovie. L’apparition de nouveaux outils technologiques et numériques pour informer les visiteurs sur les lieux intéressants du patrimoine archéologique nait timidement. L’initiative prise par ArcheoTourism et ArchaeoConcept de créé le «Site du mois» est une voie intéressante pour approcher le grand public. Cette approche pourrait constituer l’amorce  de la mise en place d’une véritable information touristique sur tous les sites archéologiques visitables de Suisse, à l’exemple de ce que l’on trouve en Angleterre avec le site Internet et l’application pour smartphone et tablette numérique d’English Heritage, qui donnent un accès aux sites archéologiques visitables du pays par l’intermédiaire de la géolocalisation. L’usage de la géolocalisation et du GPS embarqué dans les téléphones portables est sans aucun doute une bonne solution pour réveiller la mémoire d’un patrimoine le plus souvent invisible in situ. Comme exemples suisses d’applications utilisant la fonction GPS de nos mobiles signalons : l’application «Palafittes Guide», qui fait l’inventaire de tous les sites Unesco, l’application «Archaeo Tour» qui permet une balade dans le temps, de l’âge du Bronze au Moyen-Age, de la colline de la cathédrale de Bâle, enfin, l’application StoriaBox qui invite à une visite en réalité augmentée de la villa gallo-romaine d’Orbe-Boscéaz et du Castrum romain d’Yverdon-les-Bains. Mais l’objectif final, selon nous, aurait été de disposer sur une même plateforme de l’ensemble des informations disponibles sur les sites archéologiques de Suisse. A l’heure du bilan final d’Horizons 2015, cela n’a pas été fait. Cela pourrait se faire en contribuant au projet de portail sur l’Archéologie, organisé par Wikipédia, dans chacune de nos langues nationales, soit en français, en allemand et en italien.

Douze mois, douze sites !

La manifestation nationale « Site du mois », vient de débuter sur le site du Banné dans le canton du Jura. Sur cette colline, située au-dessus de la ville de Porrentruy, une zone de fouilles permet à tout le monde, enfants ou adultes, d’expérimenter le travail du paléontologue en découvrant par soi-même la faune d’invertébrés qui peuplait la mer jurassique il y a 152 millions d’années. Chaque mois, jusqu’en juin 2016, un autre site du patrimoine suisse sera mis à l’honneur. Sous le slogan « découvrez les trésors de l’archéologie et de la paléontologie suisse au gré des promenades et des saisons » cette manifestation a pour but, selon ses concepteurs, « de faire connaître le patrimoine archéologique suisse et de le promouvoir en tant que produit touristique durable ». C’est dans la dynamique des réflexions initiées par l’association ArchaeoTourism 2012, qui vise à mettre en relation les acteurs du tourisme et de l’archéologie, que se place cette manifestation dont la conception apparaît comme une bonne synthèse entre le Mois de l’Archéologie du Québec et les Journées Nationales de l’Archéologie en France ou l’Objet du Mois présenté dans certains musées.
LeBanné
Le Banné, site du mois de juin (photo: Site du Mois)

Le projet est organisé à une échelle locale par des partenaires locaux et les offices du Tourisme régionaux, et coordonné pour l’ensemble du pays par ArchaeoConcept, une entreprise indépendante dirigée par Cynthia Dunning, ancienne archéologue cantonale du canton de Berne. Pour promouvoir l’aspect touristique durable, les douze sites sélectionnés sont accessibles par les transports publics et situés au voisinage immédiat de lieux d’accueils pour les visiteurs, tels que restaurants et hôtels. Destinée avant tout à un public national sensible à son passé, cette manifestation vise à démontrer que même si les vestiges archéologiques en Suisse sont dans l’ensemble moins impressionnants que dans d’autres parties du monde, comme l’Italie, la Grèce ou l’Egypte, il n’en demeure pas moins intéressants dès le moment où ils jouissent d’une bonne mise en valeur. Ainsi, dans la liste des sites choisis en relation directe avec l’archéologie, on peut relever, la Villa romaine de Pully,  le Laténium à Hauterive, le parcours archéologique de Bioggio et les sites funéraires de Sion. En novembre 2015, ce sera le mois du Castrum romain d’Eburodunum, dont la visite se fera en réalité augmentée à l’aide d’une application pour tablette numérique. Développée par la société Storiabox cette application sera mise en service à la fin de ce mois et présente actuellement, en plus du Castrum, sept autres itinéraires de visites scénarisées alliant patrimoine culturel et tourisme. Voici de quoi occuper nos week-ends des prochains mois !