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Réactualisation de la « damnatio memoriae »

Un débat de portée internationale agite en ce moment les bonnes consciences. Faut-il déboulonner les statues des personnes liées à la traite négrière et à l’esclavage ? La question se pose de manière particulièrement aiguë depuis le 7 juin dernier, lorsqu’un groupe d’activistes du mouvement Black Lives Matter a abattu la statue du marchand Edward Colston, avant de la précipiter dans les eaux sombres du vieux port de la ville de Bristol en Angleterre. A Neuchâtel, c’est la statue de David de Pury, généreux bienfaiteur de sa ville natale, qui est menacée du même sort. Une pétition pourvue de 2550 signatures a été déposée au mois de juillet à la chancellerie communale demandant que ce monument disparaisse de l’espace public pour être remplacé par une «plaque commémorative en hommage à toutes les personnes ayant subi et subissant encore aujourd’hui le racisme et la suprématie blanche». Cette semaine, à Zurich, c’est la figure d’Alfred Escher, considéré comme un des fondateurs de la Suisse moderne, qui est visée. Bien que lui-même n’ait pris aucune part directe à ce type de commerce, il doit selon le même genre d’activistes, assumer la part infamante de sa fortune héritée de son grand-père et son père. La question se pose autrement plus sérieusement pour des personnalités comme Louis Agassiz ou Carl Vogt qui prônaient de manière « scientifique » la hiérarchisation des races.

Place et monument de Pury en 1855

Dans l’histoire de la Rome antique, cette pratique visant à effacer des mémoires et des célébrations des personnalités entrées en déchéance, s’appelle la « damnatio memoriae ». Elle se traduit, par exemple, par la destruction des statues et le martelage des inscriptions portant le nom honni, voire, dans le cas de certains empereurs, allant jusqu’à la dégradation ou à la refonte de monnaies portant leur effigie. Dans la pratique cette procédure ne visait pas à une véritable disparition d’un nom dans l’histoire mais constituait seulement un acte symbolique pour marquer la réprobation publique du personnage et sa déchéance sociale. Si on examine attentivement le passé des nombreuses personnalités éminentes qui ont reçu après leur disparition le privilège d’être honorées par un monument public ou un nom de rue, je gage que bien peu passeraient sans critique l’épreuve de la probité à l’aune de la morale et de l’éthique contemporaines. Et en ce qui concerne les empereurs romains, en appliquant la grille de lecture actuelle, on ne verrait pas de grandes différences entre un bon princeps et un tyran. Tous mériteraient d’être condamnés sévèrement par la Cour européenne des Droits de l’Homme à Strasbourg ou la Cour pénale internationale de la Haye.

Recherche Apollon désespérement

Comme beaucoup de passionné(e)s d’archéologie, j’ai été attiré par un film qui promettait beaucoup : « l’Apollon de Gaza ». Le synopsis en lui-même était de nature à susciter l’intérêt et la curiosité de tout un chacun : « En 2013, une statue d’Apollon, vieille de plus de 2000 ans, est trouvée au large de Gaza avant de disparaitre subitement. Dieu des Arts, de la Beauté et des Divinations, l’Apollon suscite toutes les rumeurs, même les plus folles. A la fois film-enquête et réflexion sur l’Histoire, l’Apollon de Gaza nous immerge dans la réalité méconnue d’un territoire qui paie encore le prix des guerres et d’un blocus impitoyable, mais où la vie subsiste, insoumise. Apportant un peu de lumière dans le ciel de Gaza, la statue et son histoire stupéfiante pourrait redonner une part de dignité et d’espoir à tout un peuple ». Le teaser que l’on trouve sur le site Internet de la société de production ou celle de distribution m’a donné également l’irrésistible envie d’aller le voir.

ApollonGaza2

Image extraite de l’affiche du film

A l’issue de la projection du film, je me suis confronté à des questions auxquelles je désirais avoir des réponses. Statue vraie ou fausse ? Datée de 332 av. J-C, comme l’affirme un des protagonistes du film ? Après avoir lu l’article du Monde du 12 avril 2014 de Laurent Zecchini, qui fut, pour Nicolas Wadimoff  le réalisateur du film, l’élément déclencheur  de cette enquête et examiné les rares images publiées de cette découverte, ma conviction personnelle, confortée par les avis de la plupart des acteurs de ce documentaire, est que cette statue est bien originale. Reste à savoir où elle a vraiment été mise au jour et de quand elle date? Dans son état actuel je doute, comme certains protagonistes du film, qu’elle ait séjourné très longtemps dans la mer. Une hypothèse intéressante est qu’elle a été mise au jour lors de la construction d’un des nombreux tunnels sous Gaza. Ceux qui l’ont découvert, désirant rester discrets et cachés, compte tenu de la nature de leur ouvrage, auraient décidé de l’extraire et de la balancer en mer, dans un espace qui n’appartient à personne. Quant à sa datation, d’un point de vue stylistique et historique, je la vois comme une copie d’époque romaine (entre les 1er siècle avant et après J.-C) d’une statue grecque du Ve siècle avant J.-C, comme l’Apollon de Piombino qui se trouve exposé au musée du Louvre. Seule, bien sûr, une étude complète de la statue permettrait d’en savoir plus. Il ne nous reste plus qu’à attendre, pour boucler l’enquête, que ceux qui tiennent l’Apollon de Gaza en otage le relâche . Dans ce cas cette statue pourrait être l’élément emblématique d’un futur musée de Gaza qui attend depuis un certain temps d’être inauguré.

 

La Trinité retrouvée près de Cap Canaveral

Selon l’Unesco, cité dans la brochure 2018 du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM), 3 millions d’épaves reposent sous les eaux du Globe. Parmi les découvertes à venir s’annonce celles des premiers navires français ayant sombré en Amérique du Nord. En marge de la célébration du 450 anniversaire de l’arrivée des français en Floride, en 2012, un regain d’intérêt historique et archéologique s’est produit en France et aux Etats-Unis sur cet événement. En France cela se manifesta par la création d’une Association des descendants et du souvenir de Jean Ribault, qui pris possession de la Floride en mai 1562 au nom du roi de France Charles IX, afin d’y établir une colonie de huguenots. Cette première colonisation française de l’Amérique du Nord tourna au drame lorsque l’escadre de ravitaillement fit naufrage au cours d’une tempête le 10 septembre 1565, en plein combat contre les espagnols, qui non content de détruire l’établissement français de Fort Caroline, exécutèrent de façon horrible presque tous les colons et les naufragés sous prétexte qu’ils étaient protestants.
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Jean Ribault prenant possession de la Floride

Au Etats-Unis, à la fin de l’été 2014, une équipe d’archéologues d’un musée maritime entrepris une mission visant à découvrir la flotte française perdue de 1565, mais sans succès. En revanche, en septembre 2015, une compagnie de recherche maritime, Global Marine Exploration, mis au jour au large du célèbre Cap Canaveral aux Etats-Unis, sous 8m d’eau les vestiges d’une épave du XVIème siècle, qui se révéla être celle de « La Trinité », navire amiral de la flotte de Jean Ribault. Parmi les objets retrouvés au fond de l’eau se trouvaient une dizaine de canons en fer, trois canons en bronze ornés de la fleur de lys et une borne en marbre qui aurait dû servir à marquer les territoires revendiqués par l’explorateur.  A l’été 2018, au terme d’un long procès opposant la France à la société américaine ayant fait la découverte, les droits de la France furent reconnus en vertu de la loi américaine de 2004, le “US Sunken Military Act”, qui stipule que les épaves des navires militaires étrangers, retrouvées dans les eaux territoriales américaines restent toujours la propriété du pays d’origine du navire. Il reviendra au Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM) de mobiliser des archéologues français et américains pour réaliser les premières fouilles sur l’épave de la Trinité. Les spécialistes du DRASSM devraient s’appuyer sur la société Search Inc pour assurer une première reconnaissance scientifique du site courant 2019.

De l’Holocène à l’Anthropocène

De la Finlande à la Californie, de la Suède à la Grèce, il fait chaud et sec, même au-delà du Cercle polaire, où cela ne devrait pas être, ce qui favorise la propagation des incendies. Comment douter dès lors du réchauffement climatique lié sans doute en grande partie aux activités humaines. Au début de cette année l’Organisation Mondiale de Météorologie constatait que les années 2015, 2016 et 2017 avaient été les années les plus chaudes depuis que l’on enregistre des températures sur le globe. Il est fort à parier que l’an 2018 est bien parti pour se placer à son tour sur le podium. Si l’homme est à lui seul capable par son activité à dénaturer le climat, son impact est autrement plus sensible quand on étudie les mutations du paysage qui nous entoure. Sous la pression démographique de l’humanité, les sols s’épuisent et se désertifient, l’eau se raréfient et les ressources minières disparaissent à vue d’œil tant elles sont consommées pour nos besoins énergétiques et matériels. Quoique peuvent encore en débattre les géologues quant à son existence ou à la date de son début, l’impact de l’homme sur la Terre est manifeste : nous sommes bien entrés dans une nouvelle ère: l’Anthropocène.
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Une vision du passé (Photo: Wikipedia)

En guise d’explication succincte, l’humanité a connu ces deux derniers siècles une explosion démographique sans précédent. Il y a seulement deux mille ans, ne vivaient sur la Terre que 200 millions d’individus, répartis pour 60 millions dans ce qui était alors l’Empire romain, pour 60 millions dans l’Empire du Milieu, et les 80 millions restants dans le reste du Monde. De plus, si l’on fait le compte de tous les Homo sapiens, Cro-Magnon et Néandertaliens compris, que la Terre a porté depuis la nuit des temps, on dénombre, en tout et pour tout, environ 100 milliards d’individus de notre espèce. Il apparait formidable de constater que sur ces 100 milliards, actuellement 7,63 milliards sont nos contemporains et que 20% de la population humaine a vécu au moins une année du 20ème siècle. Ces chiffres nous laissent songeurs et  expliquent à eux seuls, pourquoi avec tous les humains présents et tout le CO2 induit par l’ensemble de nos activités, la Terre se réchauffe aussi vite, et comment nous sommes entrés dans cette nouvelle ère.

Mobilisation pour la protection du patrimoine culturel

Vendredi 24 mars, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté à l’unanimité la résolution 2347 visant à la protection du patrimoine culturel en situation de conflit armé. Le texte de la résolution affirme que le fait de lancer une attaque contre des sites et des bâtiments consacrés à la religion, à l’enseignement, à l’art, à la science ou à la bienfaisance, ou contre des monuments historiques peut constituer, dans certaines circonstances et en vertu du droit international, un crime de guerre et que les auteurs de ce genre d’attaque doivent être traduits en justice. Pour appuyer cette résolution les pays du G7 se réunissent ce jeudi et ce vendredi à Florence sur le thème de «la culture comme instrument de dialogue entre les peuples ». Le but poursuivit depuis quelques années par l’Italie vise à développer une force d’intervention pour la défense du patrimoine, sorte de « casques bleus de la culture », qui compte actuellement une soixantaine de spécialistes, alors que la France cherche à alimenter un fonds international pour la protection du patrimoine culturel en péril en période de conflit armé qu’elle a institué le 3 décembre 2016 lors de la Conférence Abou Dhabi. La réunion à Florence des ministres de la Culture du groupe des sept pays les plus riches de la planète devrait aboutir sur un document final instituant le G7 de la culture. Mais, depuis que l’humanité connait la guerre, des destructions suivies parfois de reconstructions ont toujours existé et les bonnes résolutions d’aujourd’hui ni changeront rien.

Sarajevo
La bibliothèque de Sarajevo, incendiée puis reconstruite (Photo : Christian Bickel)

A titre d’exemple, la semaine dernière, mardi 21 mars, en marge du printemps culturel 2017 « Carrefour Sarajevo », j’ai eu l’occasion d’assister à la conférence de Nadia Capuzzo Derkovic, sur la préservation et la reconstruction du patrimoine culturel en Bosnie-Herzégovine. Dans ce pays aussi, dans et autour de sa capitale Sarajevo, des destructions souvent ciblées ont mis à mal une partie importante de son patrimoine culturel entre 1992 et 1995 lors du siège de la cité. Bien avant la destruction en 2001 des Bouddhas de Bamiyan, des mausolées de Tombouctou, des cités antiques de Palmyre ou de Ninive, pas moins de 713 édifices ayant une valeur culturelle ont été complètement détruits et 554 autres, incendiés. A l’issue de la guerre, réglée par les accords de Dayton, la Bosnie-Herzégovine se voit partagée en deux entités territoriales, la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine et la République serbe de Bosnie, que se partagent trois ethnies : bosniaque, croate et serbe. Comment à partir d’une telle division un programme de reconstruction a été mis en œuvre et selon quels critères ? L’exemple bosnien montre que des choix identitaires président à la volonté de reconstruire ou de mettre en valeur certains types de monuments et pas les autres en fonction de la zone ethnique dans laquelle ils se trouvent. Ainsi une mosquée, même réduite au bulldozer à ses fondations pendant la guerre est susceptible d’être reconstruite en zone bosniaque, alors que rien ne sera fait pour elle dans la zone serbe. Le conflit a eu comme conséquence de réduire significativement la diversité ethnique dans les différents cantons du pays. Comme l’exemple bosnien nous l’a montré il y a 25 ans, la destruction et la reconstruction d’éléments relevant du patrimoine relèvent de valeurs et d’enjeux directement en prise avec les populations locales qui sont prêtes ou pas à reconnaître ces objets comme faisant partie ou non de leur patrimoine. Dans ce contexte, la restauration de la cité antique de Palmyre doit d’abord dépendre de la volonté des Syriens de la reconstruire quand le calme sera revenu chez eux. En attendant une éventuelle reconstruction en dur, un projet de restitution virtuelle a été mis en œuvre.

De la conservation des boîtes de conserve

L’Antarctique est encore un continent à découvrir. Pendant ces dernières semaines, le journaliste de la RTS Bastien Confino était à bord du navire scientifique Akademik Treshnikov pour rendre compte de la mission “Antarctic Circumnavigation Expedition” (ACE), la première mission organisée sous l’égide du Swiss polar institute. Cette expédition consistait à faire le tour de l’Antarctique en bateau pour réaliser de nombreuses expériences scientifiques. Dans ce reportage, un des interlocuteurs du journaliste relevait qu’il faut plus de temps pour rallier une base antarctique en bateau qu’il n’en faut à des astronautes pour rejoindre la Lune. Hier soir, j’assistais à la conférence de Lizzie Meek, chef de programme pour le Antarctic Heritage Trust de Nouvelle-Zélande, dont la tâche principale consiste à veiller à la conservation des huttes des premiers explorateurs de l’Antartique, à savoir : Scott, Shackleton, Borchgrevink et Hillary. Depuis plus d’une dizaine d’année la Nouvelle-Zélande a entrepris un véritable programme de conservation du matériel et des bâtiments abandonnés en Antartique dans la baie de Ross par les premières expéditions de ce dernier continent découvert par l’humanité. De fait, en association avec ces quatre camps de base, c’est une collection de plus de 20’000 objets qu’il faut traiter et conserver. En comparaison, sur la Lune, les astronautes de la mission Apollo 11 n’ont laissé qu’une centaine d’objets.

CANS
Le CANS en conserve

Parmi les objets abandonnés en Antarctique se trouvent des boîtes de conserve. Breveté au début du 19ème siècle, les boîtes représentent une importante innovation technologique et l’un des symboles de la société de consommation. Elles sont présentes dans de nombreuses collections de musées. Cependant, leur conservation est problématique, car de graves phénomènes de corrosion peuvent se produire sur elles, soit en relation avec leur environnement, soit en fonction des propriétés basiques ou acides de la matière organique qu’elles contiennent. La problématique de la conservation des conserves alimentaires présentes dans les collections muséales était le sujet d’un atelier qui s’est tenu aujourd’hui à Neuchâtel par les chercheurs du projet “Conservation of cAns in collectioNS” (CANS). Ce projet de recherche est inscrit sous la responsabilité de Régis Bertholon, directeur de la Haute Ecole Arc Conservation-restauration qui supervise le travail de Laura Brambilla, une docteure en chimie, qui s’occupe de la partie opérationnelle de cette recherche, financée par le Fonds national suisse. Avec l’aide de différents partenaires, un état de conservation de quelque 150 boîtes provenant de cinq collections helvétiques, dont l’Alimentarium à Vevey, ou le musée Burghalde à Lenzburg, a été dressé. Il apparaît ainsi que les conserves métalliques qui ont été fabriquées avant les années 1960 sont plus résistantes que les plus récentes. Par exemple, la première boîte de petits pois sortie de l’usine de l’entreprise Hero, en 1886, a encore son contenu et se trouve dans un excellent état de conservation. Dans le processus de fabrication des boîtes récentes, la couche d’acier, et surtout la couche d’étain, s’est amincie, ce qui les rend moins chère à produire, mais ce qui diminue leur potentiel de conservation. Cela aurait été bien de penser à cela avant de constituer des réserves dans nos abris anti-atomiques.

Du charme des ruines au trafic d’art

« Archives des sables – De Palmyre à Carthage » tel est le titre évocateur choisi par le Laténium pour l’exposition inaugurée officiellement le mercredi 24 août, mais ouverte au public dès le 9 juillet. Réalisée en collaboration avec la Bibliothèque orientale de l’Université Saint-Joseph à Beyrouth et en partenariat avec l’Institut suisse pour la conservation de la photographie à Neuchâtel, la présente exposition témoigne du travail de pionnier effectué par Antoine Poidebard dans le domaine de l’archéologie aérienne. A travers la sélection d’une soixantaine de clichés réalisés par ce père jésuite et d’autres reproductions photographiques, on se plonge dans une époque révolue, celle de l’effondrement de l’ancien Empire ottoman et de l’ouverture de la steppe syrienne à l’exploration archéologique. On découvre ainsi le site de Tell Brak, photographié et sondé par Antoine Poidebard, avant que ce site ne soit fouillé de 1937 à 1939 par Max Mallowan. Selon une citation que l’on attribue à tort à son épouse Agatha Christie : « Un archéologue est le meilleur mari qu’une femme puisse avoir : plus elle vieillit, plus il s’intéresse à elle ». Qu’est-ce qui nous fait donc aimer les ruines ?
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Le site de Tell Brak de nos jours (photo: Zoeperkoe / Wikimedia Commons)

C’est à cette question qu’Alain Schnapp, professeur d’archéologie à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, donne une réponse dans un cycle de conférences en ligne qui explore le rapport indissoluble que chaque civilisation entretient avec les ruines et qui sera la matière de son prochain ouvrage « Histoire universelle des ruines ».  Quand on pense aux destructions effectuées en Irak et en Syrie par Daech, et plus particulièrement à Palmyre, il est nécessaire de se pencher sur la question de savoir ce qui pousse les hommes à ruiner le passé, ou, au contraire, à le sacraliser de manière romantique. Comme le disait Chateaubriand : « Tous les hommes ont un secret attrait pour les ruines. Ce sentiment tient à la fragilité de notre nature, à une conformité secrète entre ces monuments détruits et la rapidité de notre existence ». Autrement dit, selon Goethe, cité par Alain Schnapp dans l’émission « Histoire vivante » sur La Première de la RTS du lundi 29 août : « Nous ne comprenons pas les ruines avant de devenir nous-même ruine ». Cependant, comme le souligne ce professeur, « on ne réagit pas (de la même manière) devant l’infini des ruines quand on a en face de soi les pyramides ou quand on a Palmyre, que si on a quelques éclats de silex qui affleurent dans le sable du Sahara, et, pourtant, ces quelques éclats de silex sont tout aussi des ruines que ces grands ensembles ». Cette réflexion engage notre conscience face au pillage et au saccage des antiquités qui prive l’humanité d’une part de sa mémoire. Pour en savoir plus, à voir le documentaire : « Trafic d’art, le grand marchandage » sur TSR 2, dimanche 4 septembre, à 21h00.

Être Ami des Musées ou ne pas être

Ce mois de mars qui se termine aura été marqué pour moi par ma participation à différentes assemblées générales des nombreuses sociétés d’amis des musées dont je suis membre. Ayant été élu lors d’une de ces assemblées générales à la présidence de l’une de ces associations, je me dois, en tant que nouveau président, de me poser la question de la place qu’une telle organisation doit prendre auprès du Musée, qui dans mon cas est consacré à l’archéologie. Pour cela, il faut d’abord se pencher sur les statuts d’une telle association. Un rapide tour d’horizon des buts permet de constater qu’une telle société vise généralement à réunir les personnes qu’intéresse l’archéologie, à soutenir et promouvoir les activités du Musée et à faire connaître les collections qu’il abrite en participant à la sauvegarde et à la mise en valeur du patrimoine archéologique local. Je prends ainsi conscience du rôle d’ambassadeur qui m’est dévolu pour concourir au rayonnement de cette association et à tout l’engagement qu’il me faudra mettre en œuvre pour organiser au mieux la collaboration entre le Musée et la société des Amis que je préside dorénavant.

FMAM

Sigle de la Fédération des Amis de Musées (FMAM)

Au-delà du cas particulier que chaque société d’amis de musée prise individuellement entretient avec son institution de référence, j’ai découvert qu’il existait une organisation faîtière de ces organisations : la Fédération Mondiale des Amis de Musées (FMAM) dont est membre actif, entre autres, la Fédération Française des Sociétés d’Amis de Musées (FFSAM). Cette dernière regroupe actuellement 290 sociétés d’amis de musée de France. L’un des premiers rôles de la FMAM fondée officiellement en 1975 consiste à cultiver des lignes de communication entre les associations membres et à promouvoir l’idée des Amis de musées à travers le monde. Elle tient une Assemblée Générale chaque année, ainsi qu’un Congrès international qui a lieu tous les trois ans dans différents endroits du monde. Depuis 1989, la FMAM est reconnue par l’UNESCO comme une Organisation Non Gouvernementale. En 1996, elle adopte un Code d’Ethique des Amis et Bénévoles des Musées. Le document contient les principes fondamentaux que chaque membre doit observer lorsqu’il agit au nom de son association. Le Code d’Ethique de la FMAM est officiellement approuvé par le Conseil international des musées (ICOM), à tel point que deux articles qui reconnaissent le rôle des Amis et qui promeuvent une action commune sont inclus dans le Code de déontologie de l’ICOM pour les musées. La FMAM compte aujourd’hui 18 Membres Actifs qui sont comme la FFSAM des fédérations nationales, et 27 Membres Associés (associations individuels ou groupes) qui ensemble représentent deux millions d’amis des musées et de volontaires ce qui lui permet de jouer un rôle important dans le monde de la culture. Dois-je envisager à affilier la Société des Amis que je préside à la FMAM ou pas ? Telle est la question !

Pour un permis des détecteurs de métaux

Le pillage archéologique, déjà évoqué dans ce blog, continue à préoccuper les milieux archéologiques et muséaux, que la promulgation de lois, telles la Loi sur le transfert des biens culturels (LTBC), ne semblent pouvoir endiguer. Mercredi 27 novembre, le cercle neuchâtelois d’archéologie de Neuchâtel, mieux connus sous le nom « ArchéoNE », avait invité Marc-André Haldimann, archéologue et chercheur associé à l’Université de Berne,  pour présenter une conférence  intitulée : « La question du pillage archéologique : un viol collectif de la mémoire de l’humanité », dont le sujet fait écho à l’émission de radio “Monumental” du 13 octobre dernier.  Au-delà des milliards de revenus  générés par le trafic illégal des antiquités provenant de régions qui sont au cœur de l’héritage culturel de l’humanité, le conférencier à évoqué les motivations qui poussent un individu à faire des fouilles illégales sur un site archéologique, comme celui d’Apamée en Syrie, dont le conférencier, par ailleurs expert fédéral en archéologie méditerranéenne pour l’Office Fédéral de la Culture, a montré l’ampleur des destructions. Si une personne ne dispose plus d’une source de revenus, parce que son pays est en guerre, la tentation est grande de chasser les trésors qui se cachent dans le sol près de chez lui pour s’offrir les moyens de subsister ou de s’exiler à l’étranger avec sa famille.
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Image publicitaire pour un détecteur de métaux

Près de chez nous, à côté des pillages en cours au Proche-Orient qui dévastent des sites archéologiques inscrits au Patrimoine mondial de l’Unesco,  les motivations sont d’un autre ordre, mais peuvent, à la base, résulter d’une même nécessité : celle d’améliorer son quotidien. Par exemple, il est facile pour un chômeur  de s’offrir l’un des nombreux modèles de détecteur de métaux et d’ouvrir ainsi sa petite entreprise de prospection. Par le biais d’un site internet, comme e-bay, il pourra écouler à plus ou moins vil prix, les objets de ses collectes.  Ce type de pratique représente  un désastre culturel qui se fait sous nos yeux. Il est urgent d’agir et de trouver une solution à ce vaste problème. Mais quelle solution ? Carotte ou bâton ? La solution « bâton », consisterait  à édicter de nouvelles lois, plus strictes administrativement et dissuasives pénalement. La solution « carotte » pourrait être de donner un statut, voire de récompenser ou de verser un salaire aux prospecteurs présentant leurs découvertes aux autorités compétentes et acceptant de respecter scrupuleusement les lois en vigueurs, comme le leur enjoint un site qui leur est dédié comme celui-ci . En tout cas, il faudrait envisager de soumettre l’usage des détecteurs de métaux à un permis, comparable à celui du port d’arme.  Ainsi cela permettrait de contrôler la vente de ces appareils, reviendrait à en interdire l’usage à des fins non professionnelles et freinerait pour le moins l’expansion du phénomène de la prospection et des fouilles illégales.

Vente de doublets en archéologie

Les doublets, objets en double, sont des éléments que tout collectionneur de timbres-poste ou de cartes Panini cherche à négocier de la manière la plus favorable possible, soit par échange, soit par vente.  Dans le cadre de l’archéologie, cet esprit de collection est plutôt mal perçu, comme doivent l’apprendre les amateurs de détecteur de métaux. Les lois et les règlements en vigueur dans tous les pays conscients de la valeur de leur patrimoine culturel, tendent à soustraire l’objet archéologique de sa valeur marchande, et rendent sa propriété inaliénable de celle de l’état dans lequel il a été découvert.  Pourtant, au cours de deux conférences présentées hier au Laténium dans le cadre des  journées organisées par le Projet collectif de recherche (PCR) « Archives et correspondances de Joseph Déchelette » sur « Le financement et la réglementation étatique de l’archéologie (fin XIXe- XXe)», certains participants furent surpris d’apprendre que la pratique  du doublet avait bien eu cours de manière tout à fait officielle avec les collections réunies par Paul Vouga, au nom du musée de Neuchâtel. En particulier, lors des fouilles scientifiques, méthodiques et exhaustives conduites entre 1907 et 1917 du célèbre site de La Tène, éponyme du Second âge du Fer, une partie du financement des fouilles put être obtenue grâce à la vente de doublets (ou doublons) provenant des sites palafittiques situés au bord des lacs. Pour Vouga, il ne s’agissait pas de s’enrichir personnellement, juste de couvrir une partie des frais des recherches de la “Commission La Tène”,  par ailleurs très mal subventionnée.

Fouilles interdites sous peine d’amende

Il faut cependant se demander, à l’heure des réductions des subventions étatiques dans les musées, si la pratique du doublet ne pourrait pas avoir quelque intérêt dans la gestion et la sauvegarde de certaines collections d’objets. Au demeurant, même si  tout objet est unique en soi, il ressort des typologies que l’on s’ingénie à construire que l’on peut très bien rassembler certains objets semblables, voire identiques, dans des types bien définis, comme on le fait avec des pièces de monnaies, des amphores romaines ou des haches en bronze. Ne serait-il dès lors pas possible, afin de palier aux réductions de crédits, de vendre une partie des collections des musées ou des objets de fouilles après étude, au lieu de les mettre en dépôts non visitables?  Dans le texte de l’Ordonnance sur le fonds des musées de l’Office fédéral de la culture (OFC), qui règle le cas des collections de la Fondation Musées Suisses directement gérées par la Confédération, la possibilité de vendre des objets des collections pour alimenter les comptes est bien évoquée. Cependant il est précisé que « La vente d’objets de collections n’est possible qu’en vue du financement de l’achat de nouveaux objets de collections et est soumise à l’approbation de la direction de l’OFC », ce qui est en accord avec le code de déontologie prôné par l’ICOM. Est-ce que les pays au patrimoine archéologique riche, comme l’Italie, la Grèce ou l’Egypte, mais pauvres en financement ne pourraient pas penser à la cession de leur doublets pour assurer la conservation de leurs collections ou de leur patrimoine en place de l’acquisition de nouveaux objets? Cela permettrait peut-être, par la vente d’artéfacts de fouilles légales, de casser le marché des antiquités résultant des fouilles clandestines.