Category Archives: Mondes virtuels

Plongée dans les musées sous-marins

La Grèce a inauguré le 1er août son premier musée sous-marin. Il s’agit de l’épave d’un navire qui git à près de 30 mètres de profondeur, transportant des milliers d’amphores près de l’îlot de Peristera, au large de l’île d’Alonissos, dans l’archipel des Sporades du Nord. Les amphores, dont la plupart sont intactes, révèlent les dimensions de l’ancien navire, soit au moins 25 m de long et 10 m de large. D’après le contenu de la cargaison constitué essentiellement d’amphores vinaires, ce gros navire marchand aurait coulé vers l’an 425 avant notre ère au cours d’une traversée entre la ville de Mende, en Chalcidique, dans le nord de la Grèce, et l’île de Skopélos. Le navire transportait aussi une abondante vaisselle de banquet à vernis noir d’origine athénienne. Le site fut découvert en 1985 par un pêcheur et des fouilles subaquatiques effectuées depuis 1991 ont permis de l’étudier. En ouvrant ce site, le but avoué des autorités est d’attirer en Grèce les amateurs de plongée. Les touristes qui ne pratiquent pas la plongée auront droit à une visite virtuelle, à l’aide de lunettes VR, dans un centre d’information terrestre situé à Alonissos. A terme, les autorités grecques comptent rendre accessibles aux touristes pratiquant la plongée sous-marine quatre autres sites d’épaves antiques.

Plongée au milieu des amphores (photo: ministère grec de la Culture)

Ce soudain intérêt de créer un musée sous-marin en Grèce, est sans doute à mettre en relation avec le succès des réalisations de l’artiste britannique, Jason deCaires Taylor. C’est en 2006 qu’il inaugure sur l’île de Grenade, le parc de sculptures sous-marines de Molinere Bay son premier lieu d’exposition sous-marin. Depuis lors, l’artiste a conçu une dizaine d’autres spots de plongée dont le spectaculaire Museo Subacuatico de Arte de l’isla Mujeres, près de Cancun au Mexique, et l’émouvant Museo Atlantico sur l’île de Lanzarote aux Canaries. Vu l’intérêt du public pour ce genre de réalisations, d’autres localités situées au bord de l’eau ont eu l’idée de créé leur musée sous-marin. A défaut d’œuvres-d ’art, ou d’épave, la Jordanie a coulé à plus de 20 m de profondeur, 19 pièces de matériel militaire dans le golfe d’Aquaba en mer rouge, et ouvert en juillet 2019, un musée militaire sous-marin. Mais s’il faut chercher un vrai site précurseur, c’est celui du parc archéologique submergé des champs phlégréens de Baia, près de Naples, créé en 2002. Ce parc peut être visité en barque ou en snorkeling. Un nouveau secteur ouvert à la visite a été inauguré au mois de juillet de cette année. Et pour ceux qui ne veulent ou peuvent se mettre dans le bain, grâce à l’application « Dry visit – Baiae Underwater Park », téléchargeable sur Apple Store et Google Play, ils peuvent plonger virtuellement, au sec, parmi les vestiges de ce secteur de la ville submergée de Baia.

Mégalithes d’ici et d’ailleurs

Prévue pour être visitable du 9 mars au 16 mai 2020, la nouvelle exposition «Mégalithes d’ici, Mégalithes d’ailleurs », présentée par le Laboratoire d’archéologie préhistorique et anthropologie de l’Université de Genève a dû fermer ses portes peu de temps après son ouverture en raison de la crise pandémique actuelle. En attendant une visite dans le monde réel, c’est à une visite virtuelle de cette exposition que les archéologues de l’UniGE convient les personnes intéressées. L’exposition est organisée en cinq sections. La section introductive permet d’apprendre que le phénomène mégalithique s’étend dans le temps et l’espace, soit depuis 6000 ans et dans le monde entier.  Une frise chronologique et une carte permet de s’en rendre compte très rapidement. Cette partie centrale permet aussi de préciser certaines définitions, comme de faire la différence entre : tertre, cairn et dolmen. A partir de là, quatre zones mégalithiques sont, tour à tour, à découvrir :  le Proche-Orient, entre la Turquie et la Jordanie, en passant par la Syrie et le Liban ; l’ouest de la France, avec les sites bretons, dont les vestiges remarquables de l’île de Guénioc ; l’Indonésie, avec l’édification actuelle de dolmens sur l’île de Sumba ; la région de Genève, enfin, avec la présentation des récentes découvertes effectuées sous le mandat de l’Office fédéral des routes (OFROU) lors de la construction autoroutière du Grand-Saconnex  au Pré-du-Stand. Après l’exposition « Pierres de mémoire, pierres de pouvoir », présentée il y a un peu plus de dix ans, les chercheurs de la Faculté des Sciences du le Laboratoire d’archéologie préhistorique et anthropologie  donnent au grand public une nouvelle occasion d’en savoir plus sur  le mégalithisme.
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Coup d’œil en direct à l’intérieur de Stonehenge

Pour ceux qui après cela aimeraient découvrir le mégalithisme directement à Stonehenge, un des lieux emblématiques du phénomène, ils devront eux aussi attendre un peu pour accéder à ce désir. En effet, conformément aux directives du gouvernement britannique, le site reste lui aussi fermé dans l’intérêt de la santé publique. Mais, alors que le cercle mégalithique est clos, English Heritage nous invite à y entrer en jetant un coup d’œil en vue directe entre ses pierres via l’application Skyscape. Grâce à ce dispositif mis en ligne l’année dernière, il est possible de voir en temps réels les mouvements du soleil, de la lune et des planètes au-dessus du monument. De jour, la vue à 360° du lieu, via une webcam, est actualisée toutes les cinq minutes, ce qui permet de se rendre compte des conditions météorologiques du site et de constater qu’il ne pleut pas tous les jours dans le sud-ouest de l’Angleterre. Grace aux onglets carrés situés au sommet de l’image on peut aussi observer le dernier lever et coucher de soleil. De nuit, l’image du ciel passe d’une représentation photographique à une représentation générée par ordinateur, qui affiche avec précision l’emplacement en direct des étoiles et de la Lune ainsi que des cinq planètes visibles à l’œil nu par les constructeurs de Stonehenge, à savoir Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. Enfin, last but not least, des informations supplémentaires peuvent être obtenues d’un clic, comme le nom donné aux différentes pierres, la trajectoire précise de la Lune et des planètes ou la direction exacte que devait indiquer, au Néolithique, l’astre du jour au moment des solstices.

Musées virtuels accessibles en ligne

En ces temps de pandémie de Covid-19, toutes les manifestations publiques sont devenues impossibles. Ainsi Le Laténium est fermé et le vernissage de sa dernière exposition temporaire « Celtes, un millénaire d’images » est ajourné jusqu’à nouvel avis. Il en va de même pour l’ensemble des musées privés de leurs visiteurs en raison du confinement sanitaire imposé par les autorités. Dans ce domaine muséal perturbé, le congrès « Museum and the Web », abrégé « MuseWeb », devait tenir sa 24ème session annuelle du 31 mars au 4 avril à Los Angeles. Depuis 1997, cette manifestation rassemble des centaines de professionnels du monde entier sur le thème de la technologie dans le monde des musées. Cette année ils auraient pu être 800 en provenance de plus de 40 pays. Au vu de la situation et à défaut de pouvoir se réunir physiquement, les intervenants et les participants ont acceptés, après un sondage en ligne, de se retrouver sur différentes plateformes Internet pour assister aux conférences, démonstrations et débats initialement prévus. Parmi ceux-ci se trouvent les musées, galeries, bibliothèques ou services d’archives qui soumettent leurs projets innovants en matière de patrimoine culturel, naturel ou scientifique pour être récompensé d’un GLAMi Awards. Par exemple, l’année dernière à Boston, l’application GEED fut récompensée avec le projet conçu pour le Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon.
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L’auditorium de MuseWeb dans SL prêt à recevoir les participants

En marge des conférences, pour permettre aux participants d’interagir entre eux malgré l’absence de contacts physiques, les réunions sociales prévues dans le cadre de MuseWeb 2020 (MW20), auront lieu dans la plateforme Second Life (SL). Cet univers virtuel ou métavers, développé par la société Linden Lab, offre depuis 2003 la possibilité de réunir des personnes sous la forme d’avatars dans un espace virtuel. De nombreux musées réels s’y trouvent présents à côté de musées et de galeries purement virtuels et profiteront de l’occasion pour se présenter. Comme partenaire, MW20 a requis les services de l’association Virtual Ability. Depuis plus d’une décennie, cette organisation américaine, à but non lucratif, facilite la participation dans les mondes virtuels des individus souffrant de handicaps physiques, mentaux, émotionnels ou de maladies chroniques. Elle gère dans l’univers de SL un musée d’art virtuel et une bibliothèque accessibles à tous présentant des œuvres de personnes handicapées. C’est dans ce cadre inclusif et sous la forme d’un avatar que les participants et les intervenants à MW20 seront invités à dialoguer et interagir ensemble. De la même manière ils pourront aussi assister à la conférence plénière de clôture intitulée : «le potentiel de la Réalité Virtuelle sociale afin de transcender les frontières pour une plus grande inclusion et accessibilité ». Ainsi, tout en restant confiné chez soi, il est possible de s’inviter dans les musées qui ont une existence virtuelle.

Paul Collart et le temple de Baalshamîn à Palmyre

L’exposition « Cités millénaires. Voyage virtuel de Palmyre à Mossoul » présentée à l’Institut du monde arabe, est prolongée jusqu’au 17 février 2019. Cette exposition montre de manière particulièrement spectaculaire certains sites dévastés par les conflits armés, en particulier ceux de la Syrie et de l’emblématique Palmyre, classée en 1980 au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, dont une grande partie des vestiges ont été sauvagement dynamités par des fondamentalistes. Mais au lieu de pleurer sur ces ruines, l’exposition montre aussi comment il est possible de procéder à une documentation et un archivage numérique des monuments. Dans cette présentation, la scénographie a ainsi mis en lumière l’activité d’une jeune société française, Iconem, qui depuis 2013 s’est donnée comme but de numériser les objets menacés du patrimoine. Par exemple, en 2016, c’est à l’aide de drones, qu’Yves Ubelmann, le fondateur d’Iconem, avec une équipe d’archéologues, a passé quatre jours à Palmyre afin de prendre quelque 35’000 clichés pour garder en mémoire l’état de la cité antique après destructions. Grâce aux techniques photogrammétriques, des modèles 3D ont été réalisés, qui permettent au public de se rendre compte des dégâts, mais qui ouvrent aussi des perspectives pour envisager une nouvelle manière de sauvegarder le patrimoine.
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Restitution de la cella du temple de Baalshamîn © ICONEM / UNIL

Pour le sanctuaire de Baalshamîn, sur le site Palmyre, détruit en août 2015 par les guerriers de l’Etat islamique, la société Iconem peut bénéficier de l’apport des archives léguées par l’archéologue suisse Paul Collart (1902-1981) à l’Institut d’archéologie et des sciences de l’antiquité de l’Université de Lausanne (UNIL). Collart était professeur aux Universités de Lausanne et Genève, et a pris entre 1954 à 1956 la direction de la fouille du sanctuaire de Baalshamîn. Cette fouille a été la première mission archéologique engagée par la Suisse en dehors de son territoire. Depuis 2017, pour valoriser ce fonds, l’UNIL a lancé le projet « Paul Collart et le temple de Baalshamîn à Palmyre ». Placé sous la direction de l’archéologue Patrick Michel, ce projet vise à numériser l’ensemble de ces archives qui se présentent essentiellement sous la forme de photographies, de plans, de cahiers et de lettres. D’ores et déjà, plusieurs centaines de photographies sont à disposition sur la banque d’images Tiresias de l’UNIL. En outre, en janvier 2018, a été créé une association « Paul Collart au Proche-Orient», qui vise à soutenir financièrement la réalisation de ce vaste programme. Si le projet aboutit, « la numérisation des archives Collart sur Baalshamîn ne servira pas aux seuls archéologues » comme le rapporte le résumé de présentation du projet. « Elle donnera lieu à plusieurs actions de médiation culturelle, destinées à différents publics, à travers des expositions, à travers un projet original à visée éducative et humanitaire, ainsi qu’à travers des médias audio-visuels, des conférences et des publications. Cette médiation passera aussi par la production et la mise en ligne d’une application pour smartphones et tablettes qui permettra une expérience immersive et une visite du sanctuaire de Baalshamîn à travers toutes les étapes de son histoire ». J’attends avec impatience de voir aboutir ce beau projet !

La grande histoire d’Aventicum en 3D

Les Site et Musée romains d’Avenches auront été à l’honneur en ce mois de juillet qui se termine. D’une part ils ont été choisi comme « site du mois » par ArchaeConcept. D’autre part, dans le sillage des manifestations organisées l’année dernière lors du bimillénaire de la cité, un spectacle de sons et lumières désigné sous l’appellation « La Grande Histoire d’Aventicum » a été créé tout spécialement pour mettre en valeur la Capitale des Helvètes. L’idée du projet a germé dans l’esprit de Martial Meystre, directeur d’Avenches Tourisme, séduit par le documentaire de Philippe Nicolet « Aventicum D-Couverte. La capitale des Helvètes dévoile ses joyaux après 2000 ans », film en 3D sur la vie quotidienne dans la cité romaine. Le professionnel du tourisme a proposé au cinéaste de monter un spectacle biannuel sur cette base, en lui donnant carte blanche pour établir le scénario et en faire la réalisation. Le budget devisé à 950 000 francs ne peut que laisser songeur les archéologues qui chaque année peinent à obtenir ceux de leurs interventions. Au final, le premier volet de cette grande histoire, intitulé « L’esclave et le Hibou », se présente sous la forme d’un film d’une durée de 70 minutes projeté en plein air sur trois écrans géants, dont le principal en image 3D haute définition, nécessite comme il se doit actuellement au cinéma le port de lunettes spéciales.
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Le dispositif multi-écrans en place devant les gradins

L’action principale du film « L’Esclave et le Hibou » se situe en l’an 179 de notre ère, à la fin du règne de l’empereur-philosophe Marc-Aurèle et s’inspire d’un récit, l’Âne d’Or, composé par un de ses contemporains, Lucius Apuleius dit Apulée, dans la seconde moitié du IIe siècle. L’intrigue met en scène divers protagonistes, dont l’esclave Fotis, la magicienne Anna, le noble Quintus, le menuisier Lucius et le prêtre Caïus. Le teaser du film est suffisamment explicite pour prendre connaissance ou se rappeler des moments clés de l’histoire qui, in fine, offre une hypothèse à la découverte du buste en or massif de l’empereur Marc-Aurèle, le 19 avril 1939 dans une canalisation située sous le Sanctuaire du Cigognier, trésor archéologique le plus célèbre et emblématique d’Aventicum. L’ensemble du spectacle permet de découvrir en 3D, au fil du récit, quelques éléments majeurs des collections du musée romain, dont un mystérieux objet de bronze appelé dodécaèdre, et, dans la mise en scène en plein air, de porter un éclairage sur certains monuments antiques moins connus que les arènes ou la colonne du Cigognier, comme la porte de l’Est, la Tour de la Tornallaz – seule survivante des 73 tours qui renforçaient l’enceinte de la ville – ainsi que les thermes du Forum. De plus, sont intégrés dans le film, quelques vues aériennes de la ville antique reconstituée en images de synthèse par Neng Xu, et dans la bande son quelques belles pensées de Marc-Aurèle qui nous invitent à le relire.  Si tout va bien, rendez-vous nous est donné dans deux ans pour un nouvel épisode de « La Grande histoire d’Aventicum ».

Les géants réels et virtuels de Mont’e Prama

Une des plus intéressantes nécropoles de la Sardaigne préhistorique est celle découverte à Mont’e Prama, dans la péninsule de Sinis au nord-ouest d’Oristano. Là, 33 tombes à fosse circulaire recouvertes d’une dalle y furent misent au jour entre 1974 et 1979. A l’intérieur, des adultes de sexe différent y étaient inhumés en position verticale sans mobilier funéraire. En surface, en relation avec ces sépultures, plus de 5000 fragments de grès provenant d’un groupement de statues ont été découverts et ont fait l’objet d’un long travail de restauration entre 2007 et 2011. L’ensemble final est constitué  d’une trentaine de statues masculines monumentales qui représente des pugilistes, archers et guerriers, que l’on surnomme les géants de Mont’e Prama, ainsi que de nombreux modèles réduits de nuraghes et des bétyles. Datées entre le VIIIe et le Xe siècle avant notre ère, la plus grande partie de ces statues fait actuellement l’objet d’une exposition “NOI SIAMO MONT’E PRAMA 1974-2014 !” au Musée archéologique national de Cagliari, alors que le reste, en particulier les dernières découvertes réalisée lors d’une reprise des fouilles en 2014, est exposé dans le petit musée de Cabras près d’Oristano, dans l’attente d’une extension du bâtiment, qui permettra de réunir en un même lieu la totalité de l’ensemble statuaire.
MontePrama
Du réel au virtuel

L’intérêt de cette exposition ne vient pas seulement des statues remontées telles quelles, mais également de la possibilité de les découvrir de manière virtuelle. Pour se faire, l’entreprise CRS4 Visual Computing a réalisé une couverture photographique intégrale de 27 statues montées sur leur support métallique, soit 3817 photographies. De plus toutes ces pièces ont été analysées avec un scanner 3D ayant produit 6200 scans. La combinaison des photographies et des scans a permis de produire des modèles virtuels de chacune des statues, ce qui permet aux visiteurs de les observer sous tous les angles et de découvrir des détails qu’ils ne peuvent voir que difficilement par eux-mêmes sur les pièces exposées. Grâce à la haute résolution des images de 16 points par mm, ainsi qu’à un ombrage des reliefs à l’aide d’un éclairage de synthèse, on peut mettre en évidence et en forme toutes les pièces exposées. Le résultat est vraiment fantastique et en définitive certains visiteurs, en particulier le jeune public,  peuvent être surpris à passer plus de temps à admirer les statues sous leur aspect virtuel plutôt que réel.

Les outils numériques au service du patrimoine

A la fin de la semaine dernière, dans l’enceinte du Centre archéologique européen de Bibracte, j’ai participé à l’atelier intitulé : « Les outils numériques au service de l’interprétation des sites et territoires patrimoniaux ». Organisé par le Réseau des Grands Sites de France dans le cadre du Pôle international francophone de formation et d’échanges des gestionnaires de sites patrimoniaux, l’objectif déclaré de cet atelier  était de permettre aux responsables de sites patrimoniaux de découvrir les nouveaux outils d’interprétation du patrimoine mis en place au Musée de Bibracte et dans le Morvan, de comprendre les coulisses du montage des projets numériques et d’échanger avec les acteurs de la chaîne opératoire et des autres responsables afin de mutualiser les expériences. Si l’on en juge par la participation, cette réunion fut un succès en rassemblant 80 participants parmi lesquels les représentants de 17 Grands Sites de France sur 41. En guise de présentation, nous pûmes  découvrir  que les dispositifs numériques mis en place au Musée de Bibracte apparaissent comme des moments forts de la visite. La maquette virtuelle en 3D permet en 12 minutes de résumer l’histoire de l’oppidum, de sa fondation à sa redécouverte archéologique après son abandon, et, le plan du monument appréhendé à l’aide d’une tablette numérique permet une visite virtuelle du site à travers divers filtres visuels et une quarantaine de points d’intérêts. Cette rencontre aura pour le moins permis à l’équipe de Vincent Guichard, directeur du Grand Site de Bibracte, de démontrer la qualité de leur accueil, et à la société On-Situ, basée à Chalon-sur-Saône, de mettre en valeur son savoir-faire à travers ses réalisations dans le cadre de la nouvelle exposition permanente du Musée de Bibracte et des Galeries numériques du Morvan.
Bibracte
Plan virtuel consulté sur tablette

Cependant, les échanges d’expériences au cours de cet atelier furent plutôt limités, puisque en dehors des contacts informels établis entre individus dans le cadre des pauses et des repas, il n’a pas été possible de connaître la nature des attentes des autres participants. Il semble pourtant que la plupart des personnes présentes n’étaient pas venues comme moi avec l’idée précise d’un projet à développer, mais juste pour s’informer sur l’usage des nouvelles technologies dans le cadre de la médiation culturelle. Des intervenants et de la table ronde finale, il ressort que ces dispositifs technologiques ne visent  pas à remplacer la médiation culturelle ou le guide de site, mais qu’ils doivent offrir une information utile et du sens, là où une présence humaine permanente n’est pas possible, comme dans le cadre du petit site archéologique de Compierre qui figure dans la liste des 17 ballades prévues dans l’application e-randos téléchargeable gratuitement. En outre, il faut savoir que ces dispositifs coutent parfois trop cher pour la plupart des associations. Seuls le soutien direct des pouvoirs publics et parfois l’investissement personnel des ingénieurs  chargés de les réaliser autorisent de mettre en place de tels projets. Il faut donc au préalable évaluer le retour sur investissement que l’on souhaite obtenir. Si l’on peut augmenter la fréquentation d’un site grâce à l’attrait que peut exercer les nouvelles technologies auprès des publics cibles, l’investissement en vaut sans doute la peine. Cependant, en plus des questions sur le prix de ces dispositifs, celles liées à leur maintenance, leur fragilité et leur obsolescence plus ou moins programmée doivent aussi être posées au préalable, comme le suggère l’exemple des dispositifs installés à l’Abbaye de Cluny. La mutualisation des coûts et le partage des expériences apparaissent de ce fait de bonnes pratiques à adopter pour éviter toute déconvenue future. Pour ceux que le sujet intéresse, une synthèse de l’atelier est prévue par les organisateurs sous la forme d’une publication électronique à paraître dans la série « Le fil des Grands Sites ».

Regard sur le passé et l’avenir du Castrum d’Eburodunum

Vendredi  11 octobre,  la Société de sauvegarde et de mise en valeur du Castrum d’Yverdon (ci-après Société du Castrum), a rendu un dernier hommage à son père fondateur et président d’honneur, Rodolphe Kasser, décédé mardi 8 octobre, à l’âge de 86 ans. Il a été titulaire de la chaire de copte de l’Université de Genève de 1976 à 1998 et président de l’Association Internationale d’Études Coptes de 1984 à1988. En 1964 il a mis sur pied pour l’Université de Genève, un chantier de fouilles archéologiques à la recherche des vestiges de monastères des premiers ermites chrétiens dans les déserts au nord-ouest de l’Égypte. C’est ainsi qu’il a dirigé sur le terrain, jusqu’à leur achèvement en 1990, les activités de ce chantier de fouilles au site copte des Kellia, amenant à la redécouverte de plus de 1500 cellules monacales paléo-chrétiennes étalées sur 8 km2. C’est en particulier cette activité qu’a rappelé l’ancien directeur du Laténium Michel Egloff, lors de la cérémonie funéraire à Yverdon-les-Bains. Mais c’est aussi dans le sol de sa ville natale que Rodolphe Kasser a conduit des fouilles avec l’aide d’une centaine de bénévoles du Groupe d’archéologie yverdonnoise (GrArYv) amenant à la découverte, entre autres, d’une statue celtique et d’une barque romaine parmi les mieux conservées en Suisse, à voir au Musée du d’Yverdon et région.

Statue celtique et Castrum romain
Statue, castrum et barques témoignent de Rodolphe Kasser (1927-2013)

La Société du Castrum est une association, fondée le 19 avril 1978, par un groupe de citoyens d’Yverdon précédemment sensibilisé par l’activité sur le terrain du GrArYv, qui y avait effectué dès 1974 des recherches dans le cimetière complétant les fouilles menées en 1906 par l‘archéologue cantonal Albert Naef. Forteresse et base navale-fluviale romaines construites dès 325 après J.-C. sur l’oppidum d’Eburodunum, comme en témoigne un pieu de fondation daté par la dendrochronologie, le Castrum est un grand quadrilatère irrégulier, entouré de murs de 2,50 m de largeur en moyenne à leur base et pourvu de quinze tours, qui renforcent son enceinte. Par sa taille, ce castrum est le troisième  en grandeur sur le territoire de la Suisse actuelle, après ceux de Genève et de Kaiseraugst. La Société du Castrum s’était donné pour but initial de reconstruire en pierre l’une des tours de 15 mètres de hauteur qui entourait la forteresse. Mais ce projet, compte tenu des contingences urbanistiques peu favorables à recréer en pleine ville des structures de cette nature, n’a plus aucune chance de se réaliser un jour. Aussi, c’est un nouveau projet que la Société du castrum est en train de mettre en œuvre, celle de la reconstruction virtuelle en 3D de l’ensemble du Castrum et son insertion dans l’espace réel en réalité augmentée. Cette réalisation sera un témoignage de la généreuse activité de Rudi pour mettre en valeur le passé de sa cité.

De l’archéologie virtuelle à la cyber-archéologie

Du mercredi 25 au samedi 28 septembre 2013, une soixantaine de personnes provenant aussi bien des domaines académique, publique ou privé se sont réunies au Centre culturel européen de Delphes en Grèce pour un atelier international intitulé « Virtual Archaeology, Museums & Cultural Tourism » (VAMCT 2013). Cette réunion organisée par l’Université de l’Egée, présidée par  Ioannis Liritzis et placée sous les auspices du ministère hellénique de la culture et des sports, visait à faire le point sur les nouvelles tendances dans le domaine des technologies numériques en relation avec les musées et le patrimoine culturel. Les quarante interventions grâce à leur origine interdisciplinaire ont permis de couvrir l’essentiel des questions concernant les relations entre les musées, les sites archéologiques, les objets, les technologies numériques et l’Internet et  y ont apporté des  réponses  stimulantes, permettant de se représenter ce que pourrait être l’archéologie virtuelle de demain. La richesse des exposés  présentés  par les divers intervenants  semble être de bon augure pour le grand congrès international Digital Heritage organisé à Marseille du 28 octobre au 1 novembre 2013, où plusieurs participants à l’atelier VAMCT 2013 seront aussi présents.

VAMCT2013
VAMCT 2013 à l’heure des conclusions

Une approche pleine d’avenir est celle de la visite en temps et en lieu réels de sites archéologiques tels qu’ils se présentaient autrefois.  Par le moyen de téléphones intelligents ou de tablettes numériques, les visiteurs sont invités à visualiser en 3D des monuments virtuellement reconstruits ouvrant une fenêtre sur le passé, comme c’est le cas déjà sur le Forum romain à Rome, ou comme sont en train de le mettre en œuvre les partenaires de l’application e-Chronomichani , présentée comme une e-time machine ou e-machine à voyager dans le temps sur l’Agora romaine d’Athènes par la société Diadrasis. Selon Maurizio Forte, un des instigateurs reconnu du concept, l’Archéologie virtuelle  de demain pourrait s’appeler la Cyber-archéologie comme l’indique le titre de son exposé : « From Virtual Archaeology to Cyber-Archaeology : Avatarizing the Past ». A partir des reconstructions en 3D, qui sont à la base des visites  virtuelles, on devrait parvenir à développer de vrais Cyber mondes, à la fois immersifs et interactifs. Grâce aux technologies numériques, ce ne sont pas seulement les constructions qui pourront être recrées mais également les relations entre les individus, les objets et les lieux qui seront  simulées, comme nous le suggère des réalisations comme celle de la visite de la villa de Livie à Prima Porta ou comme l’usage du storytelling dans le projet CHESS présenté par Maria Roussou. Avec de nouveaux dispositifs de vision, comme les lunettes Google ou Oculus permettant une meilleure fusion entre reconstructions 3D et visites virtuelles,  nous pouvons avoir l’espoir de nous transformer bientôt en d’actifs participants et explorateurs de lieux disparus à l’instar d’avatars du présent immergés dans un passé retrouvé.

Des journées d’archéologie, en rêve

Hier l’Institut National de Recherche en Archéologie Préventive (Inrap) et le ministère français de la Culture et de la Communication ont publié le bilan des 4e Journées nationales de l’Archéologie (JNA) organisées les 7, 8 et 9 juin 2013. Selon les organisateurs, la manifestation a rencontré un succès,  car plus de 120’000 visiteurs dans plus de 559 lieux en France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer ont participé à ce rendez-vous qui proposait plus de 1150 manifestations dans plus de 440 communes, soit une augmentation de la fréquentation de 31% par rapport à 2012. Pour ma part à l’occasion de ces journées je me suis rendu sur le site archéologique de Mandeure près de Montbéliard, pour  expérimenter  « in situ » l’application «Cicerone Mandeure» qui permet une visite en réalité augmentée sur tablette numérique ou téléphone intelligent  du théâtre gallo-romain de l’antique Epomanduodurum. Il y avait également en action la reconstitution d’un four de potier romain mis en œuvre par  Pierre Mougin, archéologue de collectivité du syndicat intercommunal de Mandeure et Mathay, la présentation par  Pierre Tison d’une maquette du pont romain de Brognard  sur l’Allan, ainsi que la démonstration d’un «odomètre», appareil mécanique antique permettant de mesurer les distances, réalisé par la Société d’histoire et d’archéologie de l’arrondissement de Lure (SHAARL) en collaboration avec l’Institut des sciences et techniques de l’Antiquité (ISTA) de l’université de Franche-Comté.
Cicerone Mandeure
L’application « Cicerone Mandeure » en action

Hier également, à l’invitation de l’association Archaeo Tourism 2012,  je me suis rendu dans le bâtiment  Anthropole de l’UNIL à  Lausanne pour assister à une Table ronde intitulée « Archéologie et événementiel ». Cette première rencontre suisse consacrée à la problématique de l’événementiel au service de l’archéologie a réuni une petite dizaine de personnes.  Devant elles, Pascal Ratier, coordinateur des Journées de l’archéologie en France, a  présenté les tenants et les aboutissants d’une telle manifestation ainsi qu’en primeur le bilan ci-dessus des JNA 2013. En fonction de leurs expériences dans le domaine de la médiation culturelle, de l’organisation de festival ou de la direction de musée, les participants ont dû évaluer  le pour et le contre de l’organisation d’un tel événement en Suisse. Du côté du pour, on peut évoquer  le besoin de reconnaissance officielle de l’archéologie et celle de la volonté des archéologues à transmettre leur savoir auprès de divers publics. Du côté du contre, l’existence établie d’autres manifestations semblables  comme les Journées européennes du patrimoine ou la Nuit des musées, et bien sûr la structure fédérale du pays qui nécessiterait au préalable une coordination entre les archéologies cantonales ou la prise en charge par une organisation faîtière comme Archéologie Suisse. En définitive, pour ceux qui voudraient organiser de telles journées en Suisse, la solution la plus simple serait sans doute de se joindre à la structure mise en place par la France, comme j’osais déjà le rêver il y a deux ans dans ce blog. Après tout, ce ne serait pas la première fois que la France initierait un événement culturel reprit ailleurs par la suite.