Tomb Raider à Prêles

Cette histoire commence pour moi à fin août par la lecture d’un petit article du Migros Magazine, intitulé « La fille d’Indiana Jones » célébrant la passion d’une jeune fille de 13 ans pour la détection dite de loisir. J’ai d’abord été surpris et presque choqué de voir en une du journal une publicité aussi évidente faite à une activité généralement réprouvée par les membres de ma profession. Mais ensuite je fus rassuré en poursuivant ma lecture de savoir que « les objets présentant un intérêt historique sont systématiquement confiés aux bons soins des services d’archéologie cantonaux ». De même, j’apprenais dans cet article qu’une découverte importante avait été faite par son beau-père, mais que c’était pour l’heure « encore un secret, qui ne sera dévoilé qu’à la sortie d’une publication scientifique consacrée à sa trouvaille ! ». Un secret pourtant bien visible comme je le constatais en visionnant la vidéo de présentation de la découverte sur la chaîne YouTube de la sympathique émule de Lara Croft.
Le 18 septembre, un communiqué de presse du canton de Berne annonçait qu’en octobre 2017, une main en bronze parée d’un bracelet en or avait été découverte par deux particuliers aux abords du village de Prêles, de même qu’une lame de poignard en bronze et une côte humaine, le tout daté entre 1500 et 1400 av. J.-C. Tous ces objets furent remis dès le lendemain au service archéologique du canton de Berne, mais pour des raisons qui le regardent, ce service ne procéda à des fouilles complémentaires qu’en juin 2018, amenant à la découverte sur les lieux d’un doigt manquant à la main, d’une épingle, d’une spirale en bronze et de plaques d’or détachées du bracelet enserrant le poignet de la main, le tout associé à la tombe d’un homme adulte. Cependant les archéologues constatèrent également qu’entretemps des fouilles clandestines avaient été opérées, laissant supposer que d’autres objets se trouvaient dans cette tombe, d’où l’ouverture d’une procédure pénale par la justice du canton de Berne.
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La main de Prêle exposée au NMB

La découverte d’un objet archéologique faite en dehors d’une zone archéologique ne peut être que fortuite et assez rare puisque rien n’indique au préalable sa présence. Du reste, la grande majorité des objets mis au jour par les détectoristes relèvent de ce qu’eux-mêmes qualifient de « merdouilles », soit des objets n’ayant aucun intérêt sinon celui de polluer le sol.  En enlevant tous les déchets métalliques des terrains qu’ils prospectent les détectoristes font ainsi œuvre de dépollueurs et évitent un danger potentiel pour l’environnement et les animaux. Quant aux rares antiquités ainsi découvertes, elles doivent être annoncées auprès de l’autorité compétente, comme le signale la plupart des législations cantonales qui se réfèrent à l’article 724 du Code civil suisse. C’est ce que les découvreurs de la main de Prêles ont bien fait.  De ce fait, pratiquer la détection de loisir en dehors des zones archéologiques dûment répertoriées et protégées ne peut pas être considéré, de prime abord, comme une activité illégale, puisqu’après le refus de la motion Rossini au Conseil National, il n’existe pas de disposition fédérale à l’encontre de l’usage des détecteurs à métaux. Il revient donc aux cantons de prendre les mesures appropriées pour réglementer l’usage de ces appareils. Il se trouve que le canton de Berne est de ceux qui veulent encadrer leur usage selon les principes directeurs définis par la Conférence suisse des archéologues cantonaux (CSAC). Comment pourrait-on idéalement encadrer les activités des détectoristes ? Peut-être qu’une autre activité réglementée par l’état comme la chasse ou la pêche pourrait servir d’inspiration. Pour pouvoir prospecter, les détectoristes devraient être en possession d’un permis annuel payant de détection et se conformer aux directives du service archéologique cantonal. Chaque zone que le prospecteur aimerait sonder devrait être annoncée au préalable au propriétaire du bien fond ainsi qu’à l’autorité de surveillance, indépendamment de sa qualité de zone archéologique. Cela permettrait, en cas de découvertes ultérieures, de savoir quels sont les individus ayant prospecté dans la zone. Les gardes-faunes, gardes forestiers, policiers et gendarmes en présence d’un détectoriste pourraient ainsi procéder à des contrôles sur le terrain et vérifier que chaque personne en possession d’une autorisation s’acquitte bien de ce devoir de renseignement en remplissant scrupuleusement un carnet de découvertes. Les données de ce carnet pourraient du reste être exploitées pour compléter les cartes archéologiques. Pour s’assurer d’une bonne compréhension des enjeux patrimoniaux d’une telle procédure, les détectoristes seraient également appelés à suivre au préalable un cours de sensibilisation organisé par les services cantonaux ou des associations en charge du patrimoine. On devrait même envisager une participation obligatoire, au moins une fois par année, à une campagne de prospections organisée par le service cantonal ou par une organisation comme le Groupe de travail prospection suisse (GTP). Cela permettrait d’associer les détectoristes à la connaissance du patrimoine aux recherches archéologiques en cours et créerait une saine relation et émulation entre amateurs et professionnels. En attendant la suite de cette affaire et l’étude de la découverte, la « main de Prêles » est actuellement exposée au Nouveau Musée de Bienne (NMB) jusqu’au 17 octobre.


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