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Du charme des ruines au trafic d’art

« Archives des sables – De Palmyre à Carthage » tel est le titre évocateur choisi par le Laténium pour l’exposition inaugurée officiellement le mercredi 24 août, mais ouverte au public dès le 9 juillet. Réalisée en collaboration avec la Bibliothèque orientale de l’Université Saint-Joseph à Beyrouth et en partenariat avec l’Institut suisse pour la conservation de la photographie à Neuchâtel, la présente exposition témoigne du travail de pionnier effectué par Antoine Poidebard dans le domaine de l’archéologie aérienne. A travers la sélection d’une soixantaine de clichés réalisés par ce père jésuite et d’autres reproductions photographiques, on se plonge dans une époque révolue, celle de l’effondrement de l’ancien Empire ottoman et de l’ouverture de la steppe syrienne à l’exploration archéologique. On découvre ainsi le site de Tell Brak, photographié et sondé par Antoine Poidebard, avant que ce site ne soit fouillé de 1937 à 1939 par Max Mallowan. Selon une citation que l’on attribue à tort à son épouse Agatha Christie : « Un archéologue est le meilleur mari qu’une femme puisse avoir : plus elle vieillit, plus il s’intéresse à elle ». Qu’est-ce qui nous fait donc aimer les ruines ?
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Le site de Tell Brak de nos jours (photo: Zoeperkoe / Wikimedia Commons)

C’est à cette question qu’Alain Schnapp, professeur d’archéologie à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, donne une réponse dans un cycle de conférences en ligne qui explore le rapport indissoluble que chaque civilisation entretient avec les ruines et qui sera la matière de son prochain ouvrage « Histoire universelle des ruines ».  Quand on pense aux destructions effectuées en Irak et en Syrie par Daech, et plus particulièrement à Palmyre, il est nécessaire de se pencher sur la question de savoir ce qui pousse les hommes à ruiner le passé, ou, au contraire, à le sacraliser de manière romantique. Comme le disait Chateaubriand : « Tous les hommes ont un secret attrait pour les ruines. Ce sentiment tient à la fragilité de notre nature, à une conformité secrète entre ces monuments détruits et la rapidité de notre existence ». Autrement dit, selon Goethe, cité par Alain Schnapp dans l’émission « Histoire vivante » sur La Première de la RTS du lundi 29 août : « Nous ne comprenons pas les ruines avant de devenir nous-même ruine ». Cependant, comme le souligne ce professeur, « on ne réagit pas (de la même manière) devant l’infini des ruines quand on a en face de soi les pyramides ou quand on a Palmyre, que si on a quelques éclats de silex qui affleurent dans le sable du Sahara, et, pourtant, ces quelques éclats de silex sont tout aussi des ruines que ces grands ensembles ». Cette réflexion engage notre conscience face au pillage et au saccage des antiquités qui prive l’humanité d’une part de sa mémoire. Pour en savoir plus, à voir le documentaire : « Trafic d’art, le grand marchandage » sur TSR 2, dimanche 4 septembre, à 21h00.

Pas à pas dans le passé de la Suisse

Donner un aperçu des découvertes archéologiques réalisées dans les cantons suisses en se baladant sur le terrain, tel est l’ambition que s’est donnée la collection « Le passé pas à pas » (en allemand : Ausflug in die Vergangenheit) des éditions Librum Publishers. Son directeur-fondateur, Dominique Oppler, a commencé son activité éditoriale en 2012, après avoir réalisé un rêve d’enfance en faisant des études d’archéologie à l’université de Fribourg et de Bâle. La série qu’il a créé est avant tout destinée au grand public, en particulier aux familles qui aiment les randonnées et qui veulent découvrir, chemin faisant, des sites et des lieux témoins du passé, de la préhistoire au Moyen-Age, et leur insertion dans l’environnement d’aujourd’hui.  En plus de l’archéologie et de l’histoire proprement dites, le concept éditorial aborde également des aspects concernant la géologie, l’histoire du paysage, la transformation de la végétation et de la faune. Comme il s’agit avant tout d’un guide de randonnée, tous les aspects pratiques des balades sont abordés comme la longueur et la durée des parcours, les transports publics utilisables, les musées visitables, et les lieux de restauration. Le format des volumes de la collection n’étant pas fait pour être mis dans la poche d’un randonneur, l’éditeur a prévu que toutes les balades peuvent se faire également à l’aide de l’application « GPS-Tracks » téléchargeable sur un smartphone ou une tablette de type Apple ou Android, qui permet de se diriger d’un point d’intérêt à un autre grâce aux cartes topographiques fournies et affichées sur l’écran de l’appareil.
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Couvertures des deux premiers volumes de la série

Le premier volume de la série, paru en 2014, présente les sites du canton de Bâle-Campagne, et le second celui des cantons de la Suisse primitive: Uri, Schwyz, Obwald et Nidwald. Le prochain volume, consacré au canton de Zurich, sera publié au printemps 2016 et devrait servir de base à la nouvelle exposition permanente sur l’histoire du canton de Zurich prévue dans la nouvelle annexe du Musée National dont l’ouverture est annoncée en 2017. Sur cette lancée, les volumes de Berne et de Soleure sont en cours de rédaction, et, par voie d’annonces dans la revue AS, des rédacteurs sont d’ores et déjà engagés pour les cantons d’Argovie, de Zoug, de Lucerne, du Valais, de Vaud, de Genève, de Neuchâtel ainsi que pour la Suisse italienne et le site d’Augusta Raurica. Ce projet concernant toute la Suisse, reçoit le soutien financier de l’Office fédéral de la Culture (OFC), des cantons et de fondations privées. L’aspect novateur de l’approche éditoriale, alliant le livre et aux nouveaux médias, répond tout à fait à la nouvelle tendance de la promotion touristique en général. De plus, pour les enseignants des écoles primaires, un support didactique et pédagogique est en voie d’achèvement et devrait leur permettre de préparer leur cours et leurs futures courses d’écoles avec les connaissances acquises dans cette collection.

Balades archéologiques en Romandie

La couverture du numéro 30 de l’Illustré, publié le 22 juillet, vu à la devanture d’un kiosque ne pouvait que m’interpeller. En gros titre sur une image de blocs erratiques de la forêt de Gals on peut lire : « La magie des balades préhistoriques romandes », en sous-titre « Grottes, sentiers, forêts, menhirs : voyage aux sources de notre civilisation » et encore en exergue dans une pastille rouge bien visible « 20 destinations étonnantes ». Je n’achète généralement pas cet hebdomadaire, mais exception à la règle, je ne pouvais pas résister à la tentation d’en savoir plus, d’autant plus que c’est l’Archeoweek sur Twitter. Je me demandais bien quels pouvaient être les vingt sites préhistoriques romands ayant pu retenir l’attention du magazine. En ouvrant la publication on découvre dans le sommaire que la préhistoire s’étend à l’époque romaine : « Des menhirs celtes aux ruines romaines, ce guide vous propose 20 balades en Romandie à travers le temps et l’espace». Cela se présente mal : des menhirs celtes ? Le coup du menhir du livreur Obélix a encore frappé de folie un éditorialiste. Mais trêve de raillerie, je me porte à la page 43 pour découvrir « Le guide balades » dont la page d’ouverture s’ouvre sur une image du menhir de Vauroux vu comme un «Mystérieux géant » auquel s’adresse une question «Quelle signification donner à ces pierres que dressaient les anciens ? ».
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Extrait de la couverture de L’Illustré

Ce n’est en tout cas pas dans ce guide que l’on en trouvera la réponse. Pour cela, il faudrait pouvoir visiter une exposition dans l’esprit de « Pierres de mémoire, pierres de pouvoir ». De plus ce ne sont pas 20 balades préhistoriques qui sont proposées, mais juste quinze, car les autres appartiennent déjà à l’histoire, comme le tour de ville d’Avenches, la voie antique du Pierre-Pertuis, ou les mosaïques des villas d’Orbe-Boscéaz et de Vallon. De même, les sites présentés ne se limitent pas à la Suisse romande, puisque l’on y trouve trois sites en territoire alémanique, dont une grotte dans le canton de Lucerne et la cité romaine d’Augst dans le canton de Bâle-Campagne, site qui a lui seul résume que l’annonce de la une de couverture de l’Illustré est tout à fait trompeuse. Mais je ne peux tout de même pas bouder mon plaisir de découvrir, au creux de l’été, une partie du tourisme archéologique helvétique mis en vedette dans une publication à très large diffusion. J’y ai retrouvé quelques sites que j’aurais  pu moi-même recommander si on m’avait demander d’en faire une sélection, comme le village lacustre de Gletterens, le Laténium à Hauterive, les menhirs de la baie de Clendy près d’Yverdon-les-Bains, le Préhisto-Parc de Réclère ou les fouilles du Banné à Porrentruy qui était du reste le site archéologique du mois de juin. En définitive, la meilleure partie de ce guide se trouve dans l’encarté « En savoir plus » puisqu’il propose aux lecteurs de se procurer les guides édités par Archéologie suisse, qui présentent chacun au moins une centaine de sites archéologiques à visiter.

A la découverte des cités perdues

Dans un blog consacré à l’archéologie, il est souvent fait mention de l’une ou l’autre cité perdue qui demeure dans la mémoire des hommes. Aujourd’hui la nouvelle diffusion sur la Première de la RTS de l’émission Monumental consacrée aux «cités perdues» avec pour invitée Aude de Tocqueville, auteure du livre “Atlas des cités perdues” aux éditions Arthaud m’a rappelé à cette évidence. Comme la page de l’émission l’indique, « tout comme les civilisations, les villes sont mortelles et peuvent en peu de temps, être rayées de la carte. Que ces villes soient fantômes, oubliées ou disparues, elles fascinent et intriguent toujours ». Au détour des posts de ce blog j’ai évoqué la cité d’Angkor, l’ancienne capitale de l’empire Khmer, la cité romaine de Pompéi, détruite par l’éruption du Vésuve le 24 août 79, ou encore Babylone, l’une des plus grandes et des plus importantes cités antiques située en Irak. Toutes ces villes font partie de la liste dressée dans cet Atlas.

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Pompéi au pied du Vésuve (Photo : Wikipédia)

Ce que le livre d’Aude de Tocqueville nous signale en plus c’est que « les villes sont mortelles et peuvent disparaître de la carte du monde » et cela encore aujourd’hui. « La cité d’Epecuen en Argentine a fini engloutie par les eaux, Centralia en Pennsylvanie est consumée depuis des années par un feu souterrain, Colesbukta en Norvège ou Kadykchan en Russie, toutes deux villes minières ont été abandonnées dès les derniers gisements épuisés. Kantubeck en Ouzbekistan, centre de recherche d’armes biologiques durant la Guerre froide est aujourd’hui métamorphosé en dangereux no man’s land. Prypiat en Ukraine est morte d’une explosion nucléaire (celle de Tchernobyl), tandis qu’au Japon, Hashima Island a été transformée en décor de films… Folie de la nature ou des hommes, déclin économique ou guerres, lentement ou brutalement, ces disparitions nous fascinent et nous interrogent ». L’Atlas des cités perdues relate les destins merveilleux et pourtant bien réels de 44 cités dont les vestiges antiques ou modernes hantent la planète. Mais la liste dressée est loin d’être exhaustive car il manque dans l’index de cet ouvrage d’autres cités, comme Ostie, port et comptoir de Rome, la mystérieuse cité de Pétra cachée parmi les roches aux parois abruptes en Jordanie ou la ville mythique de Troie, immortalisée dans les œuvres de Virgile et Homère, redécouverte par l’archéologue allemand Heinrich Schliemann.

D’Agaune à Saint-Maurice

L’année 2015 s’annonce d’ores et déjà placée sous  par la commémoration du 1500e anniversaire de la fondation de l’Abbaye de Saint Maurice d’Agaune. Après une année 2014 déjà marquée par une série d’évènements comme l’exposition du trésor de l’abbaye au Musée du Louvre à Paris du 14 mars au 16 juin, la sortie au mois de septembre d’une application pour smartphone “Abbaye1500” servant d’audioguide de la Basilique et au chemin du pèlerinage, et  la messe de minuit du 24 décembre célébrée en Eurovision à la télévision par l’abbé de Saint-Maurice, Mgr. Roduit, c’est un ouvrage historique en deux volumes qui est à paraître en avril 2015. Cette publication constitue une synthèse des connaissances sur le plus ancien monastère d’Occident toujours en activité et représente le fruit de six ans de travail d’une équipe internationale de plus de trente chercheurs en histoire, en archéologie, en architecture et en histoire de l’art. Le premier volume sera consacré à l’histoire, l’archéologie et l’architecture de l’abbaye, le second à son remarquable trésor de reliques, qui sera présenté dans des locaux plus vastes et selon une nouvelle muséographie. Quant aux archives anciennes, elles ont été numérisées et sont consultables en ligne.
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Site archéologique de l’abbaye

Le dernier numéro de la revue AS-archéologie suisse (37-2014.4), consacre son dossier au monastère d’Agaune au premier millénaire. L’auteure, Alessandra Antonini, archéologue responsable des dernières fouilles, montre que les vestiges archéologiques témoignent d’une histoire plus ancienne que celle du pèlerinage, puisque dès la fin du 2e siècle apr. J.-C., une nécropole s’établit sur le futur site de l’Abbaye, à proximité d’une source consacrée aux Nymphes. Un oratoire accolé à un monument funéraire, sépulture d’un personnage important, marque l’emplacement le plus élevé et devait déjà servir de lieu de culte avant même la dépose à cet endroit, par l’évêque Théodule, aux alentours de 380, des reliques des martyrs de la légion thébaine. Selon la tradition, à la fin du troisième siècle, vers 290, une troupe fut appelée d’Egypte, pour appuyer l’empereur Maximien dans ses combats contre les barbares. Cette légion est dite thébaine, du nom de la ville de Thèbes (actuellement Louksor) en Haute-Egypte. Cette troupe campait près d’Agaune et Maximien voulut contraindre ces soldats chrétiens à agir contre leur conscience en sacrifiant aux dieux et en persécutant d’autres chrétiens. Saint Maurice et ses compagnons refusèrent d’agir contre leurs coreligionnaires et pour ce refus d’ordre, la troupe fut décimée comme le voulait la règle dans l’armée romaine. C’est le 22 septembre 515, sur le tombeau de Saint-Maurice et des martyrs que le roi burgonde Sigismond fonde le monastère d’Agaune qui aura pour effet de modifier le nom de la localité en Saint-Maurice.

Aux racines de la vigne et du vin

Les sources antiques, de nature philologiques, épigraphiques ou iconographiques, concernant la culture de la vigne et la production du vin sont nombreuses. Selon une légende de l’ancienne Egypte, ce sont les yeux d’Horus, subtilisés par Seth qui plantés dans le sol devinrent une vigne. Ainsi, le vin ne serait autre que les larmes d’Horus.  On sait par ailleurs par des textes mésopotamiens que l’Anatolie méridionale est la région qui fournit le roi en vin. Ce vin était transporté par bateaux qui, à partir du marché de Karkemish, descendaient le cours de l’Euphrate pour arriver à Ur, Uruk ou Babylone. C’est semble-t-il en Grèce que le vin, dès l’époque mycénienne, se démocratise et n’est plus seulement une boisson réservée aux banquets des élites ou des dieux, comme en Egypte ou en Mésopotamie, mais des hommes ordinaires. Pour les Grecs, c’est Dionysos qui aurait appris à Icarios, roi d’Athènes, comment cultiver la vigne et produire du vin, introduisant ainsi la viticulture parmi les hommes.

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Dionysos, Acmé et Icarios sur une mosaïque de Paphos

Au-delà de ces textes et de ces légendes quelques spécialistes, qui se donnent le nom d’ampélologues, cherchent à établir l’origine du premier vin de l’histoire. L’ampélographie est le champ d’étude des quelques 8000 cépages décrits à partir de leurs caractéristiques morphologiques et physiologiques.  Mais, depuis quelques années, à cette approche traditionnelle purement descriptive s’ajoute dorénavant une analyse plus objective par le recours à la biologie moléculaire et au séquençage de l’ADN.  Grâce à ces nouvelles méthodes scientifiques des chercheurs, tel José Vouillamoz, ampélologue-généticien valaisan, sont en passe de dévoiler l’origine des premiers vignobles. Il semble que l’arbre généalogique de centaines de cépages actuels commence avec treize variétés d’un raisin sauvage cultivées dans le sud-est de l’Anatolie, soit dans une région qui fait partie d’un ensemble plus vaste le «  Croissant fertile »  qui a vu naître également l’agriculture. De ce berceau d’origine, qui remonte au 6e, voire 7e millénaire, Vitis vinifera va se répandre en Mésopotamie au 5e millénaire, en Palestine et en Egypte au 4e millénaire et en Grèce au 3e millénaire. Quant à la Suisse, malgré quelques découvertes de pépins de raisin dans quelques sites de l’âge du Fer, comme Gamsen/Waldmatte au Valais, c’est sans doute à l’époque romaine qu’une vraie viticulture va se mettre en place. Parmi tous les vignobles cultivés en suisse, c’est l’histoire du chasselas qui est certainement le cépage le plus emblématique. A travers d’autres publications, comme  l’«Histoire de la Vigne et du Vin du Valais» (2009), l’«Origine des cépages valaisans et valdôtains» (2011) et surtout «Wine Grapes» (2012), José Vouillamoz a par ses analyses redessiné les arbres généalogiques de nombreux cépages.

La sexualité à Rome

Jeudi 19 décembre, l’auditoire du Laténium accueillait pour une conférence publique Jean Dufaux et Philippe Delaby, les auteurs de la série BD Murena, sur le thème de « La sexualité à Rome ».  Cette manifestation était modérée par Olivier Christin, professeur en histoire moderne à l’Université de Neuchâtel et directeur d’une « master class » transfrontalière franco-suisse sur la bande dessinée, et animée par Laurent Flutsch, directeur du Musée romain de Lausanne-Vidy, qui prépare en ce moment une exposition sur le sujet.  Il ressort de cette discussion que  l’image que l’on se fait généralement de la sexualité dans l’Empire romain est trompeuse. Certes, si à cette époque on exhibe volontiers un phallus sur  le mur des maisons, ce n’est pas pour servir d’enseigne à quelque sordide lupanar, mais comme figure apotropaïque servant à éloigner le mauvais œil de la domus d’honnêtes citoyens, afin de leur apporter chance et prospérité.  Ainsi, bien qu’ils acceptent la nudité dans les vitrines du Musée romain de certaines statuettes, d’amulettes en forme de pénis  ou de scènes amoureuses décorant des lampes à huile, certains visiteurs s’offusquent de l’image d’un baiser lesbien dans l’exposition permanente. Cela me rappelle que dans son exposition AMOR, le Musée romain d’Avenches avait dû mettre des mises en garde avant la visite. Dans la série Murena, les gladiateurs combattants nus ont dû être affublés de caleçons dans l’adaptation étatsunienne. Aussi, on doit avant tout penser que l’exposition des corps sous le dessin de Philippe Delaby interroge plus notre approche de la sexualité  que sur celle de nos prédécesseurs. Une édition spéciale du tome 9 de Murena, paru dernièrement,  présente deux planches supplémentaires à l’érotisme sans complexe, intelligemment complétées par un dossier de Claude Aziza, professeur à l’Université de Paris III, sur l’art d’aimer à Rome, de A à Z.
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Extrait de la couverture spéciale du tome 9 de Murena

S’il est relativement facile de se représenter la Rome impériale, par la visite de ses monuments, la réalisation de dessins comme ceux de Gilles Chaillet, ou les restitutions élaborées dans le cadre du projet « Rome Reborn », il est malaisé de percevoir ce monde comme les Romains le vivaient. C’est pourtant ce défi que la série Murena , prévue en 16 volumes, parvient à nous narrer. Le récit s’attache au parcours de vie de Lucius Murena, un jeune patricien, qui évolue dans l’ombre du règne de Néron.  Difficile de se défaire de l’image de Peter Ustinov, interprétant le rôle de l’empereur dans le film « Quo Vadis ? ». Toutefois, c’est l’un des mérites du scénario de nous dépeindre une vision plus nuancée et moins manichéenne de ce règne. Les auteurs ne jugent pas, ils essayent de comprendre. Comme le souligne à juste titre Jean Dufaux : « l’Antiquité,  est une autre planète peuplée d’humains comme nous ». L’histoire du règne de Néron est abordé par un regard humain, celui de Murena, parti pris réussi qui est aussi celui de la série « Rome » pour la fin de la République, vue à travers les regards de Lucius Vorenus et Titus Pullo. La BD est le lieu de rendez-vous privilégié entre l’écriture et l’image. Le dessin enrichi le scénario. Ces deux éléments fixés sur les planches des albums nous interpellent souvent plus que les images et les mots fuyants des péplums.  De plus, tout en étant souvent plus réaliste, cela coute nettement moins cher à produire. De toutes ces réflexions, il ressort pour moi que l’archéologue et l’historien plongeant dans l’espace-temps se font parfois une image des Romains  pas plus juste que celle des membres d’équipage de l’Enterprise de la série Star Trek se trouvant face à des Romuliens vêtus des oripeaux et des accessoires confectionnés pour les péplums des années 50 et 60.

La Saga de Paris en 3D

Après nous avoir fait découvrir l’hypothèse de Jean-Pierre Houdin sur la construction de la Grande Pyramide, puis nous avoir entrainé dans une reconstitution de la villa de Livie à Prima Porta au bord de la via Flaminia, la technologie 3DVia de Dassault Système va nous permettre d’entrevoir à notre aise les principaux  monuments de Paris  à travers le temps en 3D interactive. Le lancement officiel de cette nouvelle animation doit avoir lieu ce soir à 21h sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris. C’est à  une expérience interactive inédite comme le montre le teaser de l’évènement que sont conviés les Parisiens et les hôtes de la capitale la plus visitée au monde, par plus de 20 millions de touristes par année. Neuf écrans géants seront mis en œuvre pour présenter des extraits des vues réalisées pour faire ce programme.

Visite libre du Forum romain de Lutèce

On peut d’ores et déjà parcourir en visite guidée ou en navigation libre (avec la souris et/ou le clavier) divers monuments comme l’oppidum de l’époque gauloise de -52 av.J-C. au moment de la conquête de la Gaule par Jules César  ou les Arènes, les Thermes et le Forum de la Lutèce gallo-romaine vers 210 après J.-C. D’autres monuments sont en préparation comme le Louvre sous Charles V , Henri IV et  Napoleon 1er ou La Bastille lors de la révolution française. En plus de la navigation sur Internet, une application pour  i-Pad, un livre en réalité augmentée  édité aux Editions Flammarion et une série documentaire sur 3 DVDs édités par Studio Canal permettront dès le 3 octobre de prolonger l’expérience.

Des prix pour les archéologues britanniques

Alors que Londres, la Grande-Bretagne et le monde vivent à l’heure des XXX ème jeux olympiques de l’ère moderne, les archéologues britanniques ont aussi eu l’occasion, en ce mois de juillet, de concourir pour des distinctions attribuées par leur pairs, lors des XX ème British Archaeological Awards (BAA). Les prix archéologiques britanniques constituent une véritable vitrine de l’archéologie du Royaume-Uni et représentent un événement central dans le calendrier archéologique. Fondés en 1976 et attribués tous les deux ans, ils englobent maintenant six prix, couvrant tous les aspects de l’archéologie du pays : meilleur projet, meilleur projet communautaire, meilleur livre, meilleure représentation dans les médias, meilleure découverte, meilleure innovation. L’annonce des résultats a été faite le 9 juillet lors d’une cérémonie organisée à Londres au British Museum. Le site Internet des BAA présente des informations sur tous les nominés et les vainqueurs de cette année et des cérémonies précédentes.


Aperçu de quelques découvertes du site de la Must Farm

Sans entrer dans les détails des nominations et des prix distribués, que je vous invite à découvrir par vous-même, relevons malgré tout quelques éléments. Ainsi, le meilleur projet archéologique a consacré l’étude faite autour  du site de la « Must Farm » travail réalisé dans le district du Fenland par l’unité archéologique de l’Université de Cambridge pour mieux connaître les paysages archéologiques de l’âge du Bronze sur une large échelle à l’aide de l’observation des dépôts sédimentaires particulièrement bien préservé dans cette région plate et sans relief. Associés a cette véritable étude du paysage de nombreux objets comme des épées, des pointes de lance et des pirogues monoxyles ont été mis au jour dans un état de conservation qui n’a rien a envié à ce que nous trouvons pour la même période dans les Palafittes situés autours des lacs alpins. C’est du reste la découverte de 6 pirogues monoxyles dans ce cadre qui valent à l’équipe de la « Must Farm » de remporter également le prix de la meilleure découverte. Quand au prix du meilleur ouvrage archéologique britannique  il est revenu à Alasdair Whittle, Frances Healy et Alex Bayliss pour leur ouvrage « Gathering Time : Dating the Early Neolithic Enclosures of Southern Britain and Ireland ». Cet ouvrage présente les résultats d’un important programme de datation des enceintes préhistoriques qui permet de réécrire les débuts du Néolithique en Grande-Bretagne et en Irlande. L’ouvrage  a combiné des centaines de nouvelles datations au radiocarbone avec des centaines de dates existantes, en utilisant la puissance discriminante et robuste de la statistique bayésienne pour accroitre la précision des dates proposées.

Les archives du sol

Le dernier numéro de la revue « environnement », publiée par l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) téléchargeable ici, traite dans sa partie dossier des principales fonctions du sol. En tant qu’archéologue aimant ouvrir la terre à la recherche du passé, il est utile de s’intéresser à la façon dont les sols se construisent naturellement par l’accumulation de matières organiques et minérales et sous l’action des organismes qu’ils contiennent ou disparaissent sous l’effet de l’érosion. Mais de manière générale, la plus grande cause de perturbation des sols est actuellement due à l’activité humaine, ce qui nécessite nos interventions sur le terrain. En effet, chaque seconde qui passe dans notre pays, c’est près d’un mètre carré de sol qui est transformé en zone industrielle, en surface d’habitation ou en infrastructure de transport. Le sol est aussi une source de matières premières et l’élément essentiel à la production de notre alimentation. Mais lui et les organismes vivants qu’il contient doivent aussi faire face à un danger de pollution de plus en plus important qui menace leur fertilité, et notre propre survie. Au fil des pages on apprend que le plus grand organisme vivant connu est un champignon, dont le mycélium s’étend sur une superficie de neuf kilomètres carrés, qu’il pèse près de 600 tonnes et qu’il serait vieux de 2400 ans. On apprend également que le ver de terre le plus courant peut appartenir à deux espèces différentes. Cette connaissance doit faire plaisir à une étudiante en archéologie que j’ai connue et qui n’aimait pas fouiller par dégoût des vers de terre.

Hochdorf LU (extrait de la couverture)
Ce dossier instructif se termine avec un article avec lequel il aurait pu commencer, puisqu’il traite de la fonction d’archivage du sol. Il est basé sur une interview d’Elena Havlicek, actuellement collaboratrice à la section protection des sols de l’OFEV, qui a eu l’occasion de participer en tant que pédologue aux travaux archéologiques de l’Office cantonal d’archéologie de Neuchâtel, liés au chantier de Rail 2000 et de l’autoroute A5, en particulier sur le site de Saint-Aubin/Derrière la Croix. Cet article montre combien les sols représentent de bons témoins de l’histoire du paysage, du climat et des hommes, tant et si bien que l’on pourrait même être encouragé à définir des “pédotopes”. De fait, comme le rappelle dans son éditorial Gérard Poffet, sous directeur de l’OFEV, les mots « homme » et « humus » proviennent de la même origine étymologique indo-européenne. Il nous faut donc retrouver ce lien qui uni l’Homme à la Terre, en prônant une utilisation durable du sol, car c’est une ressource limitée . En conclusion, nous devons nous aussi veiller dans nos recherches à sa sauvegarde, au même titre que les sites archéologiques qu’il contient, en séparant et en préservant ses divers horizons dans nos travaux de terrassement. Une partie de nos archives du passé s’y trouve aussi.