Alliance patrimoine monte au front

Il y a un peu plus d’un mois, le 28 mai 2014, le Conseil fédéral a ouvert la procédure de consultation sur le Message concernant l’encouragement de la culture pour les années 2016 à 2019 (Message culture). Ce document définit les objectifs, les mesures et les crédits qui seront alloués aux institutions culturelles de la Confédération pour une période de quatre ans.  Les milieux intéressés sont invités à prendre position sur le projet mis en consultation avant le 19 septembre 2014. Après évaluation des prises de position, le message sera soumis à l’approbation du Conseil fédéral à la fin de l’année. Pour mettre en œuvre la politique culturelle de la Confédération, le Conseil fédéral demande un crédit-cadre de 894,6 millions de francs, ce qui correspond à une croissance annuelle moyenne de 3,4 %. Cette demande sera traité par le Parlement en 2015, qui sera appelé à voter  les crédits nécessaires à la mise en œuvre de cette politique, en vue d’une entrée en vigueur le 1er janvier 2016.
AlliancePatrimoine
Extrait du site Internet d’Alliance Patrimoine

Le même jour, le 28 mai 2014, Alliance Patrimoine célébrait le premier anniversaire de sa création. Cette structure rassemble quatre organisations totalisant 92‘000 membres : Archéologie Suisse (AS), le Centre national d’information sur le PATRIMOINE CULTUREL (NIKE), Patrimoine suisse (PS) et la Société d’histoire de l’art en Suisse (SHAS). Son but est de s’engager sur le plan politique en faveur de la préservation durable du patrimoine culturel suisse. Or si le crédit-cadre alloué à la Culture tend à croitre d’une manière générale, il n’en est rien en ce qui concerne les montants qui seront alloués à l’entretien et à la conservation des monuments historiques, des sites construits et des sites archéologiques pour la période en question. Pour que les travaux nécessaires puissent être réalisés, le domaine du patrimoine culturel et des monuments historiques a besoin d’une  contribution annuelle de la Confédération se montant à  30 millions de francs au minimum. Sans ce soutien  aux cantons et aux communes, des biens culturels inestimables seront définitivement perdus. Or depuis 2004, ces domaines subissent de manière constante des réductions budgétaires déjà mis en évidence lors du précédent «Message culture», alors que le patrimoine culturel est toujours plus menacé par l’extension continue des constructions. Il faut donc s’attendre à une prise de position plutôt critique et sévère de la part des archéologues et des conservateurs des monuments et des sites.

Les outils numériques au service du patrimoine

A la fin de la semaine dernière, dans l’enceinte du Centre archéologique européen de Bibracte, j’ai participé à l’atelier intitulé : « Les outils numériques au service de l’interprétation des sites et territoires patrimoniaux ». Organisé par le Réseau des Grands Sites de France dans le cadre du Pôle international francophone de formation et d’échanges des gestionnaires de sites patrimoniaux, l’objectif déclaré de cet atelier  était de permettre aux responsables de sites patrimoniaux de découvrir les nouveaux outils d’interprétation du patrimoine mis en place au Musée de Bibracte et dans le Morvan, de comprendre les coulisses du montage des projets numériques et d’échanger avec les acteurs de la chaîne opératoire et des autres responsables afin de mutualiser les expériences. Si l’on en juge par la participation, cette réunion fut un succès en rassemblant 80 participants parmi lesquels les représentants de 17 Grands Sites de France sur 41. En guise de présentation, nous pûmes  découvrir  que les dispositifs numériques mis en place au Musée de Bibracte apparaissent comme des moments forts de la visite. La maquette virtuelle en 3D permet en 12 minutes de résumer l’histoire de l’oppidum, de sa fondation à sa redécouverte archéologique après son abandon, et, le plan du monument appréhendé à l’aide d’une tablette numérique permet une visite virtuelle du site à travers divers filtres visuels et une quarantaine de points d’intérêts. Cette rencontre aura pour le moins permis à l’équipe de Vincent Guichard, directeur du Grand Site de Bibracte, de démontrer la qualité de leur accueil, et à la société On-Situ, basée à Chalon-sur-Saône, de mettre en valeur son savoir-faire à travers ses réalisations dans le cadre de la nouvelle exposition permanente du Musée de Bibracte et des Galeries numériques du Morvan.
Bibracte
Plan virtuel consulté sur tablette

Cependant, les échanges d’expériences au cours de cet atelier furent plutôt limités, puisque en dehors des contacts informels établis entre individus dans le cadre des pauses et des repas, il n’a pas été possible de connaître la nature des attentes des autres participants. Il semble pourtant que la plupart des personnes présentes n’étaient pas venues comme moi avec l’idée précise d’un projet à développer, mais juste pour s’informer sur l’usage des nouvelles technologies dans le cadre de la médiation culturelle. Des intervenants et de la table ronde finale, il ressort que ces dispositifs technologiques ne visent  pas à remplacer la médiation culturelle ou le guide de site, mais qu’ils doivent offrir une information utile et du sens, là où une présence humaine permanente n’est pas possible, comme dans le cadre du petit site archéologique de Compierre qui figure dans la liste des 17 ballades prévues dans l’application e-randos téléchargeable gratuitement. En outre, il faut savoir que ces dispositifs coutent parfois trop cher pour la plupart des associations. Seuls le soutien direct des pouvoirs publics et parfois l’investissement personnel des ingénieurs  chargés de les réaliser autorisent de mettre en place de tels projets. Il faut donc au préalable évaluer le retour sur investissement que l’on souhaite obtenir. Si l’on peut augmenter la fréquentation d’un site grâce à l’attrait que peut exercer les nouvelles technologies auprès des publics cibles, l’investissement en vaut sans doute la peine. Cependant, en plus des questions sur le prix de ces dispositifs, celles liées à leur maintenance, leur fragilité et leur obsolescence plus ou moins programmée doivent aussi être posées au préalable, comme le suggère l’exemple des dispositifs installés à l’Abbaye de Cluny. La mutualisation des coûts et le partage des expériences apparaissent de ce fait de bonnes pratiques à adopter pour éviter toute déconvenue future. Pour ceux que le sujet intéresse, une synthèse de l’atelier est prévue par les organisateurs sous la forme d’une publication électronique à paraître dans la série « Le fil des Grands Sites ».

Pour un portail de l’archéologie suisse

Depuis mi-octobre 2013, a été mis en ligne le Portail Sciences de l’Antiquité (PSA) en Suisse, dont le souhait est de servir le rôle de fil d’Ariane dans le labyrinthe que représente parfois Internet pour les personnes qui cherchent de l’information dans ce domaine. Comme le rapporte la page d’accueil du site, le projet PSA fut initié en février 2013, avec le soutien financier de l’Académie suisse des sciences humaines et sociales (ASSH), par un groupe de huit associations et commissions réunies dans le Groupe de coordination PSA, à savoir : Archéologie Suisse (AS), Association des amis de l’art antique, Association suisse pour l’étude de l’Antiquité (ASEA), Commission Corpus Americanensium Antiquitatum (CAA), Commission du Dictionnaire de latin médiéval (CDLM), Inventaire des trouvailles monétaires suisses (ITMS), Société suisse de numismatique(SSN), Société suisse pour l’étude du Proche-Orient ancien (SSPOA).
PSA
Extrait du bandeau d’accueil du PSA

En parcourant ce nouveau site, qui a au moins le mérite d’être bilingue (français, allemand),  il faut admettre d’emblée que le public cible est clairement celui des chercheurs et des professionnels de l’archéologie qui se trouvent engagés dans les académies, les musées ou les institutions. En effet, à part la page « Actualité » qui établit le lien direct vers les manifestations et expositions en cours sur le sujet, guère plus d’informations utiles pour le grand public qui s’intéresserait de façon générale au domaine de l’archéologie en Suisse que les liens Internet déjà établis par d’autres sites, comme celui de l’organisation faîtière Archéologie suisse.  Seule la structuration des liens apporte à l’ensemble une meilleure visibilité. En revanche, le développement des contenus, cantonalisation de la culture oblige, dépend toujours  et encore des informations plus ou moins bien présentées dans les sites des Offices cantonaux ou des institutions en charge de l’archéologie dont le PSA donne les liens.  Il ne s’agit donc, en définitive, que d’une simple passerelle de liens Internet et non d’un véritable portail d’informations sur l’archéologie en Suisse dans le sens souhaité par le groupe de travail « Nouvelles technologies et médias » constitué dans le cadre d’Horizons 2015. Mais pour parvenir à cet objectif, il faudrait sans doute obtenir une ressource plus importante que celle d’un poste de rédaction à 15% destiné à entretenir le site. La vraie révolution serait de disposer formellement de la collaboration active de tous les professionnels du domaine pour qu’ensemble ils mettent à jour et développent ce nouveau portail d’informations centralisé afin de le rendre utile pour tous les publics.

Motion Rossini, les archéologues déchantent

A Berne, mercredi  5 mars 2014, à 15h, la motion déposée le 13 décembre 2012 par le conseiller national valaisan et socialiste Stéphane Rossini pour  la «coordination de la protection des sites archéologiques» a été rejetée par le Conseil National par 100 voix contre, 74 pour, et  5 abstentions. Le texte soumis au vote des parlementaires proposait en particulier la mise en œuvre d’une réglementation des détecteurs de métaux au niveau fédéral. Arguant du fait que: «en vertu de l’article 78 alinéa 1 de la Constitution fédérale (RS 101), la protection de la nature et du patrimoine, à laquelle l’archéologie est rattachée, est du ressort des cantons », la Confédération ne peut pas entreprendre de démarche dans ce sens. Seule consolation apportée par la voix d’Alain Berset dans la discussion, c’est que «le Conseil fédéral mesure les risques pour le patrimoine archéologique que représentent les prospections qui ne sont ni autorisées, ni encadrées. De tels actes ont parfois pour conséquence la destruction irréparable de sources d’information primordiales pour notre histoire.»
Vigousse
Dessin extrait du n°133 de Vigousse

Il revient donc aux cantons de prendre toutes les mesures appropriées pour réglementer de leur propre chef l’usage des détecteurs de métaux. Selon Alain Berset, « la Conférence suisse des archéologues cantonaux a édicté en septembre dernier des directives qui réglementent les activités des particuliers et l’usage de détecteurs de métaux ».  Nous sommes ravis de l’apprendre. Le seul problème c’est qu’au lieu d’avoir une loi et une réglementation valable sur l’ensemble du territoire suisse, on va se retrouver avec, au mieux, 26 dispositions cantonales plus ou moins contraignantes.  En outre, sachant que dans six cantons il n’existe pas encore de Service cantonal d’archéologie, on ne voit pas bien qui dans ces entités va pouvoir prendre l’initiative de tels actes juridiques.  Ce que le Conseil fédéral et la majorité du Parlement n’ont pas compris, c’est qu’ils acceptent de ratifier des conventions internationales, comme la Convention de Malte, et de promulguer des lois, comme la Loi fédérale sur le transfert international des biens culturels (LTBC), mais ils ne se préoccupent pas de les mettre en vigueur dans les cantons. Autrement dit, ils s’en lavent les mains une fois que cela est fait et les archéologues n’ont qu’à porter seuls leur croix devant leurs autorités cantonales. C’est ce qu’a bien dû faire Carmen Buchiller, archéologue cantonale de Fribourg, qui depuis octobre 2013 oblige tous les amateurs de détecteur de métaux à respecter une série de règles pour obtenir une autorisation de prospection sur le territoire fribourgeois. Souhaitons que son exemple soit suivi à terme par l’ensemble des archéologues cantonaux.

Aux racines de la vigne et du vin

Les sources antiques, de nature philologiques, épigraphiques ou iconographiques, concernant la culture de la vigne et la production du vin sont nombreuses. Selon une légende de l’ancienne Egypte, ce sont les yeux d’Horus, subtilisés par Seth qui plantés dans le sol devinrent une vigne. Ainsi, le vin ne serait autre que les larmes d’Horus.  On sait par ailleurs par des textes mésopotamiens que l’Anatolie méridionale est la région qui fournit le roi en vin. Ce vin était transporté par bateaux qui, à partir du marché de Karkemish, descendaient le cours de l’Euphrate pour arriver à Ur, Uruk ou Babylone. C’est semble-t-il en Grèce que le vin, dès l’époque mycénienne, se démocratise et n’est plus seulement une boisson réservée aux banquets des élites ou des dieux, comme en Egypte ou en Mésopotamie, mais des hommes ordinaires. Pour les Grecs, c’est Dionysos qui aurait appris à Icarios, roi d’Athènes, comment cultiver la vigne et produire du vin, introduisant ainsi la viticulture parmi les hommes.

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Dionysos, Acmé et Icarios sur une mosaïque de Paphos

Au-delà de ces textes et de ces légendes quelques spécialistes, qui se donnent le nom d’ampélologues, cherchent à établir l’origine du premier vin de l’histoire. L’ampélographie est le champ d’étude des quelques 8000 cépages décrits à partir de leurs caractéristiques morphologiques et physiologiques.  Mais, depuis quelques années, à cette approche traditionnelle purement descriptive s’ajoute dorénavant une analyse plus objective par le recours à la biologie moléculaire et au séquençage de l’ADN.  Grâce à ces nouvelles méthodes scientifiques des chercheurs, tel José Vouillamoz, ampélologue-généticien valaisan, sont en passe de dévoiler l’origine des premiers vignobles. Il semble que l’arbre généalogique de centaines de cépages actuels commence avec treize variétés d’un raisin sauvage cultivées dans le sud-est de l’Anatolie, soit dans une région qui fait partie d’un ensemble plus vaste le «  Croissant fertile »  qui a vu naître également l’agriculture. De ce berceau d’origine, qui remonte au 6e, voire 7e millénaire, Vitis vinifera va se répandre en Mésopotamie au 5e millénaire, en Palestine et en Egypte au 4e millénaire et en Grèce au 3e millénaire. Quant à la Suisse, malgré quelques découvertes de pépins de raisin dans quelques sites de l’âge du Fer, comme Gamsen/Waldmatte au Valais, c’est sans doute à l’époque romaine qu’une vraie viticulture va se mettre en place. Parmi tous les vignobles cultivés en suisse, c’est l’histoire du chasselas qui est certainement le cépage le plus emblématique. A travers d’autres publications, comme  l’«Histoire de la Vigne et du Vin du Valais» (2009), l’«Origine des cépages valaisans et valdôtains» (2011) et surtout «Wine Grapes» (2012), José Vouillamoz a par ses analyses redessiné les arbres généalogiques de nombreux cépages.

Mots-clés: trésor, tombeau, pharaon, Toutankhamon

L’exposition « Toutankhamon – son tombeau et ses trésors » a fermé ses portes hier soir à Genève.  En quatre mois, le contenu de la Halle 7 de Palexpo aura accueilli plus de 175’000 visiteurs. Une exposition identique se poursuit à Nuremberg en Allemagne, jusqu’au 26 janvier. Et une nouvelle installation prendra place dès le 6 mars à Linz en Autriche. L’attirance du public pour l’Egypte ancienne en général et pour le règne de Toutankhamon en particulier ne se dément pas, exposition après exposition. Depuis sa première présentation au public en 2008 à Zürich, ce sont plus de 4,5 millions de visiteurs qui ont franchis les portes des installations disséminées dans des villes en Asie et en Europe, dont Munich, Hambourg, Madrid, Barcelone, Budapest,  Dublin, Bruxelles, Séoul, Cologne, Francfort, Paris, Amsterdam, Prague et Berlin.  Et pourtant, le millier d’objets présentés ne sont que des reproductions des artéfacts découverts dans la tombe du Pharaon. Ce succès légitime, dû à une mise en scène particulièrement soignée, doit permettre au visiteur de se mettre dans la peau d’un archéologue et de ressentir l’émotion éprouvée par Howard Carter et Lord Carnarvon à la vue de « tant de merveilles » concentrées dans un si petit espace.  En 2004, la présentation sous vitrines de 120 pièces originales provenant du Musée Égyptien du Caire dans l’exposition « Toutankhamon, l’or de l’au-delà, trésors de la vallée des rois» avait à elle seule attiré en six mois quelque 600’000 personnes dans les salles du Musée des antiquités de Bâle, dont ma famille et moi-même.
ChambreTutankhamon
Reconstitution de la première chambre aux trésors

On peut se demander ce qui incite autant de monde à aller voir ces grandes expositions ? Une constante se dégage, le terme « trésor ». C’est bien ce mot qui semble le trait commun du succès de ces manifestations. D’autres mots-clés, comme « tombeau », « or », « roi », « empereur » ou « pharaon » sont aussi porteurs.  Cette règle s’est vérifiée récemment  avec  « Qin – L’empereur éternel et ses guerriers de terre cuite », exposition qui en huit mois a attiré plus de 300’000 personnes au Musée d’histoire de Berne, soit la plus grande affluence de visiteurs pour une exposition dans cette institution. C’est aussi en utilisant l’un de ces mots, gage de succès, que Le Laténium propose jusqu’au 3 mars 2014 à ses hôtes de venir respirer ses « Fleurs des pharaons ». Pas étonnant dès lors que lorsque je me présente sous la profession « archéologue » l’une des premières questions que l’on me pose est : « trouvez-vous des trésors ? ». C’est pour pouvoir répondre positivement à cette question que la tombe de Toutankhamon (KV62) dans la Vallée des Rois, ou celle encore à découvrir de Qin Shi Huangdi sous une colline de Xi’an, représentent tout ce qu’un archéologue professionnel peut rêver de mettre au jour pour sentir à son tour le vent de l’histoire porté par le souffle de ces illustres souverains.  Pour les quelques amateurs d’archéologie qui ne se focalisent pas sur l’un des mots-clés signalés ci-dessus, je leur signale qu’ils peuvent toujours découvrir d’authentiques objets fabriqués et utilisés par nos ancêtres dans le cadre de l’exposition « Archéo A16 » au Musée jurassien des sciences naturelles à Porrentruy (jusqu’au 31 mars 2014) ou au Centre nature Les Cerlatez près de Saignelégier (dès le 18 avril et jusqu’au 2 novembre 2014). Mots-clés : pierre, os.

La sexualité à Rome

Jeudi 19 décembre, l’auditoire du Laténium accueillait pour une conférence publique Jean Dufaux et Philippe Delaby, les auteurs de la série BD Murena, sur le thème de « La sexualité à Rome ».  Cette manifestation était modérée par Olivier Christin, professeur en histoire moderne à l’Université de Neuchâtel et directeur d’une « master class » transfrontalière franco-suisse sur la bande dessinée, et animée par Laurent Flutsch, directeur du Musée romain de Lausanne-Vidy, qui prépare en ce moment une exposition sur le sujet.  Il ressort de cette discussion que  l’image que l’on se fait généralement de la sexualité dans l’Empire romain est trompeuse. Certes, si à cette époque on exhibe volontiers un phallus sur  le mur des maisons, ce n’est pas pour servir d’enseigne à quelque sordide lupanar, mais comme figure apotropaïque servant à éloigner le mauvais œil de la domus d’honnêtes citoyens, afin de leur apporter chance et prospérité.  Ainsi, bien qu’ils acceptent la nudité dans les vitrines du Musée romain de certaines statuettes, d’amulettes en forme de pénis  ou de scènes amoureuses décorant des lampes à huile, certains visiteurs s’offusquent de l’image d’un baiser lesbien dans l’exposition permanente. Cela me rappelle que dans son exposition AMOR, le Musée romain d’Avenches avait dû mettre des mises en garde avant la visite. Dans la série Murena, les gladiateurs combattants nus ont dû être affublés de caleçons dans l’adaptation étatsunienne. Aussi, on doit avant tout penser que l’exposition des corps sous le dessin de Philippe Delaby interroge plus notre approche de la sexualité  que sur celle de nos prédécesseurs. Une édition spéciale du tome 9 de Murena, paru dernièrement,  présente deux planches supplémentaires à l’érotisme sans complexe, intelligemment complétées par un dossier de Claude Aziza, professeur à l’Université de Paris III, sur l’art d’aimer à Rome, de A à Z.
Couverture Murena Tome 9
Extrait de la couverture spéciale du tome 9 de Murena

S’il est relativement facile de se représenter la Rome impériale, par la visite de ses monuments, la réalisation de dessins comme ceux de Gilles Chaillet, ou les restitutions élaborées dans le cadre du projet « Rome Reborn », il est malaisé de percevoir ce monde comme les Romains le vivaient. C’est pourtant ce défi que la série Murena , prévue en 16 volumes, parvient à nous narrer. Le récit s’attache au parcours de vie de Lucius Murena, un jeune patricien, qui évolue dans l’ombre du règne de Néron.  Difficile de se défaire de l’image de Peter Ustinov, interprétant le rôle de l’empereur dans le film « Quo Vadis ? ». Toutefois, c’est l’un des mérites du scénario de nous dépeindre une vision plus nuancée et moins manichéenne de ce règne. Les auteurs ne jugent pas, ils essayent de comprendre. Comme le souligne à juste titre Jean Dufaux : « l’Antiquité,  est une autre planète peuplée d’humains comme nous ». L’histoire du règne de Néron est abordé par un regard humain, celui de Murena, parti pris réussi qui est aussi celui de la série « Rome » pour la fin de la République, vue à travers les regards de Lucius Vorenus et Titus Pullo. La BD est le lieu de rendez-vous privilégié entre l’écriture et l’image. Le dessin enrichi le scénario. Ces deux éléments fixés sur les planches des albums nous interpellent souvent plus que les images et les mots fuyants des péplums.  De plus, tout en étant souvent plus réaliste, cela coute nettement moins cher à produire. De toutes ces réflexions, il ressort pour moi que l’archéologue et l’historien plongeant dans l’espace-temps se font parfois une image des Romains  pas plus juste que celle des membres d’équipage de l’Enterprise de la série Star Trek se trouvant face à des Romuliens vêtus des oripeaux et des accessoires confectionnés pour les péplums des années 50 et 60.

Pour un permis des détecteurs de métaux

Le pillage archéologique, déjà évoqué dans ce blog, continue à préoccuper les milieux archéologiques et muséaux, que la promulgation de lois, telles la Loi sur le transfert des biens culturels (LTBC), ne semblent pouvoir endiguer. Mercredi 27 novembre, le cercle neuchâtelois d’archéologie de Neuchâtel, mieux connus sous le nom « ArchéoNE », avait invité Marc-André Haldimann, archéologue et chercheur associé à l’Université de Berne,  pour présenter une conférence  intitulée : « La question du pillage archéologique : un viol collectif de la mémoire de l’humanité », dont le sujet fait écho à l’émission de radio “Monumental” du 13 octobre dernier.  Au-delà des milliards de revenus  générés par le trafic illégal des antiquités provenant de régions qui sont au cœur de l’héritage culturel de l’humanité, le conférencier à évoqué les motivations qui poussent un individu à faire des fouilles illégales sur un site archéologique, comme celui d’Apamée en Syrie, dont le conférencier, par ailleurs expert fédéral en archéologie méditerranéenne pour l’Office Fédéral de la Culture, a montré l’ampleur des destructions. Si une personne ne dispose plus d’une source de revenus, parce que son pays est en guerre, la tentation est grande de chasser les trésors qui se cachent dans le sol près de chez lui pour s’offrir les moyens de subsister ou de s’exiler à l’étranger avec sa famille.
Detecteur
Image publicitaire pour un détecteur de métaux

Près de chez nous, à côté des pillages en cours au Proche-Orient qui dévastent des sites archéologiques inscrits au Patrimoine mondial de l’Unesco,  les motivations sont d’un autre ordre, mais peuvent, à la base, résulter d’une même nécessité : celle d’améliorer son quotidien. Par exemple, il est facile pour un chômeur  de s’offrir l’un des nombreux modèles de détecteur de métaux et d’ouvrir ainsi sa petite entreprise de prospection. Par le biais d’un site internet, comme e-bay, il pourra écouler à plus ou moins vil prix, les objets de ses collectes.  Ce type de pratique représente  un désastre culturel qui se fait sous nos yeux. Il est urgent d’agir et de trouver une solution à ce vaste problème. Mais quelle solution ? Carotte ou bâton ? La solution « bâton », consisterait  à édicter de nouvelles lois, plus strictes administrativement et dissuasives pénalement. La solution « carotte » pourrait être de donner un statut, voire de récompenser ou de verser un salaire aux prospecteurs présentant leurs découvertes aux autorités compétentes et acceptant de respecter scrupuleusement les lois en vigueurs, comme le leur enjoint un site qui leur est dédié comme celui-ci . En tout cas, il faudrait envisager de soumettre l’usage des détecteurs de métaux à un permis, comparable à celui du port d’arme.  Ainsi cela permettrait de contrôler la vente de ces appareils, reviendrait à en interdire l’usage à des fins non professionnelles et freinerait pour le moins l’expansion du phénomène de la prospection et des fouilles illégales.

Regard sur le passé et l’avenir du Castrum d’Eburodunum

Vendredi  11 octobre,  la Société de sauvegarde et de mise en valeur du Castrum d’Yverdon (ci-après Société du Castrum), a rendu un dernier hommage à son père fondateur et président d’honneur, Rodolphe Kasser, décédé mardi 8 octobre, à l’âge de 86 ans. Il a été titulaire de la chaire de copte de l’Université de Genève de 1976 à 1998 et président de l’Association Internationale d’Études Coptes de 1984 à1988. En 1964 il a mis sur pied pour l’Université de Genève, un chantier de fouilles archéologiques à la recherche des vestiges de monastères des premiers ermites chrétiens dans les déserts au nord-ouest de l’Égypte. C’est ainsi qu’il a dirigé sur le terrain, jusqu’à leur achèvement en 1990, les activités de ce chantier de fouilles au site copte des Kellia, amenant à la redécouverte de plus de 1500 cellules monacales paléo-chrétiennes étalées sur 8 km2. C’est en particulier cette activité qu’a rappelé l’ancien directeur du Laténium Michel Egloff, lors de la cérémonie funéraire à Yverdon-les-Bains. Mais c’est aussi dans le sol de sa ville natale que Rodolphe Kasser a conduit des fouilles avec l’aide d’une centaine de bénévoles du Groupe d’archéologie yverdonnoise (GrArYv) amenant à la découverte, entre autres, d’une statue celtique et d’une barque romaine parmi les mieux conservées en Suisse, à voir au Musée du d’Yverdon et région.

Statue celtique et Castrum romain
Statue, castrum et barques témoignent de Rodolphe Kasser (1927-2013)

La Société du Castrum est une association, fondée le 19 avril 1978, par un groupe de citoyens d’Yverdon précédemment sensibilisé par l’activité sur le terrain du GrArYv, qui y avait effectué dès 1974 des recherches dans le cimetière complétant les fouilles menées en 1906 par l‘archéologue cantonal Albert Naef. Forteresse et base navale-fluviale romaines construites dès 325 après J.-C. sur l’oppidum d’Eburodunum, comme en témoigne un pieu de fondation daté par la dendrochronologie, le Castrum est un grand quadrilatère irrégulier, entouré de murs de 2,50 m de largeur en moyenne à leur base et pourvu de quinze tours, qui renforcent son enceinte. Par sa taille, ce castrum est le troisième  en grandeur sur le territoire de la Suisse actuelle, après ceux de Genève et de Kaiseraugst. La Société du Castrum s’était donné pour but initial de reconstruire en pierre l’une des tours de 15 mètres de hauteur qui entourait la forteresse. Mais ce projet, compte tenu des contingences urbanistiques peu favorables à recréer en pleine ville des structures de cette nature, n’a plus aucune chance de se réaliser un jour. Aussi, c’est un nouveau projet que la Société du castrum est en train de mettre en œuvre, celle de la reconstruction virtuelle en 3D de l’ensemble du Castrum et son insertion dans l’espace réel en réalité augmentée. Cette réalisation sera un témoignage de la généreuse activité de Rudi pour mettre en valeur le passé de sa cité.

De l’archéologie virtuelle à la cyber-archéologie

Du mercredi 25 au samedi 28 septembre 2013, une soixantaine de personnes provenant aussi bien des domaines académique, publique ou privé se sont réunies au Centre culturel européen de Delphes en Grèce pour un atelier international intitulé « Virtual Archaeology, Museums & Cultural Tourism » (VAMCT 2013). Cette réunion organisée par l’Université de l’Egée, présidée par  Ioannis Liritzis et placée sous les auspices du ministère hellénique de la culture et des sports, visait à faire le point sur les nouvelles tendances dans le domaine des technologies numériques en relation avec les musées et le patrimoine culturel. Les quarante interventions grâce à leur origine interdisciplinaire ont permis de couvrir l’essentiel des questions concernant les relations entre les musées, les sites archéologiques, les objets, les technologies numériques et l’Internet et  y ont apporté des  réponses  stimulantes, permettant de se représenter ce que pourrait être l’archéologie virtuelle de demain. La richesse des exposés  présentés  par les divers intervenants  semble être de bon augure pour le grand congrès international Digital Heritage organisé à Marseille du 28 octobre au 1 novembre 2013, où plusieurs participants à l’atelier VAMCT 2013 seront aussi présents.

VAMCT2013
VAMCT 2013 à l’heure des conclusions

Une approche pleine d’avenir est celle de la visite en temps et en lieu réels de sites archéologiques tels qu’ils se présentaient autrefois.  Par le moyen de téléphones intelligents ou de tablettes numériques, les visiteurs sont invités à visualiser en 3D des monuments virtuellement reconstruits ouvrant une fenêtre sur le passé, comme c’est le cas déjà sur le Forum romain à Rome, ou comme sont en train de le mettre en œuvre les partenaires de l’application e-Chronomichani , présentée comme une e-time machine ou e-machine à voyager dans le temps sur l’Agora romaine d’Athènes par la société Diadrasis. Selon Maurizio Forte, un des instigateurs reconnu du concept, l’Archéologie virtuelle  de demain pourrait s’appeler la Cyber-archéologie comme l’indique le titre de son exposé : « From Virtual Archaeology to Cyber-Archaeology : Avatarizing the Past ». A partir des reconstructions en 3D, qui sont à la base des visites  virtuelles, on devrait parvenir à développer de vrais Cyber mondes, à la fois immersifs et interactifs. Grâce aux technologies numériques, ce ne sont pas seulement les constructions qui pourront être recrées mais également les relations entre les individus, les objets et les lieux qui seront  simulées, comme nous le suggère des réalisations comme celle de la visite de la villa de Livie à Prima Porta ou comme l’usage du storytelling dans le projet CHESS présenté par Maria Roussou. Avec de nouveaux dispositifs de vision, comme les lunettes Google ou Oculus permettant une meilleure fusion entre reconstructions 3D et visites virtuelles,  nous pouvons avoir l’espoir de nous transformer bientôt en d’actifs participants et explorateurs de lieux disparus à l’instar d’avatars du présent immergés dans un passé retrouvé.